AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de markko31


Oui, je sais, Bret Easton Ellis c'est comme la poutine (le « top » de la gastronomie québécoise, pas Vladimir version queer) ou un litron de mojito sous un soleil de plomb, on adore ou on déteste et on a du mal à s'en remettre de suite.
Pour ma part, étant un admirateur du monsieur, (excepté peut-être pour Suites Impériales), je ne suis pas loin de considérer Lunar Park comme son chef-d'oeuvre, la clé de voûte faisant tenir tout son univers tout en le dépassant.

D'Ellis on connait l'attrait pour les drogues, le sexe, les morts violentes, le cynisme et surtout pour un vide quasi existentiel contaminant l'Amérique.
La vacuité incommensurable des êtres disséquée dans Les lois de l'attraction ou American Psycho faisait froid dans le dos tout en réservant des moments d'humour très noir en assumant ce néant jusqu'à l'absurde. Name-dropping, litanies de marques et de poses sexuelles dénuées de tout désir, sentiments anesthésiés, victimes d'une glaciation émotionnelle… le style d'Ellis, totalement détaché, factuel, pragmatique et implicitement ironique, le tout charrié par les logorrhées incessantes et vaines des personnages (je n'ose dire les héros), faisait merveille jusqu'ici. Au risque de la redite évitée de justesse dans Glamorama.

Ici, Bret Easton Ellis devient son propre personnage. Il est assez réjouissant de lire le retour que fait l'auteur sur son passé, son style et son « fonds de commerce » ainsi que sur la célébrité trash et un peu hystérique qui en a résulté. Un peu d'autodérision nous le rendrait presque léger.
Bien vite, on voit qu'Ellis le personnage n'est pas à proprement parler l'auteur, des faits diffèrent rapidement de la réalité. Dans le livre, le voilà affublé d'une épouse-actrice et d'un gamin, presque à son corps défendant. Après des années d'excès en tous genres, le Sale gosse qu'il était se trouve plus ou moins prêt pour une vie rangée. Malheureusement, une flopée d'évènements étranges va mettre à mal ces bonnes résolutions et l'équilibre mental d'Ellis.

Le plus fascinant dans ce livre est cette mise en scène de l'auteur par l'auteur, comme une autofiction fantasmée. Voire une introspection complétement hantée, d'abord par un de ses personnages, le Patrick Bateman d'American Psycho, qui fait office de croquemitaine. Mais ce croquemitaine en cache un autre, beaucoup plus noir, plus réel bien que disparu: le propre père de l'auteur. Ellis en parle ainsi dès le début du roman :
« Il restait constamment enfermé dans une sorte de fureur démente, en dépit de l'apparente douceur des circonstances de sa vie. […] Mes soeurs et moi avons découvert un côté sombre de la vie à un âge exceptionnellement précoce. Nous avons appris de notre père que le monde manquait de cohérence et qu'au sein de ce chaos, les gens étaient condamnés à l'échec et ce fait projetait son ombre sur la moindre de nos ambitions. »
C'est là le coeur du roman, le sujet profond : la paternité ou comment ne pas répéter les mêmes erreurs, la filiation ou comment vivre avec elles. Après tous ces personnages vides, ces fantômes glacés, Ellis fait de lui-même un personnage avec des failles et capable d'émotions.

Au fur et à mesure, alors que des enfants disparaissent, la raison d'Ellis vacille (c'est le moins qu'on puisse dire). Entre autres visions infernales disséminées tout au long de l'intrigue, l'auteur nous sert un combat homérique contre une peluche maléfique qui ressemble à un pastiche de Stephen King, (rien que pour ça, le livre vaudrait le détour).

Et à la fin du livre, peut-être pour la première fois dans l'oeuvre de Bret Easton Ellis il y a quelque chose qui vous prend par suprise, juste quelques lignes qui donnent dans le sentiment sans fard et qui serrent le coeur.

Commenter  J’apprécie          437



Ont apprécié cette critique (27)voir plus




{* *}