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Critique de Presence


Ce tome regroupe les épisodes 1 à 12 de la série du même nom, initialement parus en 1997/1998, soit les 2 premiers de l'édition américaine. C'est donc le début de Transmetropolitan écrit par Warren Ellis et dessiné par Darick Robertson.

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- Back on the streets (épisodes 1 à 6) -
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Suite à un suicide collectif dans lequel il a sa part de responsabilité, Spider Jerusalem a choisi de se retirer dans les montagnes où il coule une vie heureuse faite de beuveries, de drogues et d'air pur, pendant 5 ans. Malheureusement, il doit encore 2 livres à son éditeur qui trouve le moyen de l'obliger à retourner à la Ville (une version futuriste de New York). Spider Jerusalem est adepte du journalisme gonzo. Dans les 3 premiers épisodes il se fait réembaucher par un grand quotidien et il couvre une révolte organisée dans un quartier de la Ville qui veut faire sécession. Dans le quatrième épisode, son employeur lui affecte une assistante dénommée Channon Yarrow et ils s'en vont interviewer le président des États-Unis. Dans le cinquième épisode, Spider Jerusalem prend l'un des plus gros risques de sa vie : il décide de passer une journée à regarder la télévision. Dans le sixième épisode, il se lance à la recherche d'une religion valable parmi toutes celles qui sont présentes dans la Ville.

"Transmetropolitan" est une série parue de 1997 à 2002 qui comprend 60 épisodes regroupés en 11 tomes (numérotés de 1 à 10 + le tome 0). Dans un premier temps, Warren Ellis a souhaité rendre hommage au journalisme Gonzo popularisé par Hunter S. Thompson (au-delà de ses écrits, le film Las Vegas Parano peut donner une petite idée du concept.). le journalisme gonzo est une méthode d'investigation journalistique axée sur l'ultra-subjectivité : informer le plus possible le lecteur sur la nature et l'intensité des facteurs déformant son point de vue pour recomposer une image vraisemblable de la réalité. Donc Spider Jerusalem est adepte des drogues qui transforment la vision de la réalité, il n'hésite pas à mouiller sa chemise en étant au coeur de l'action, voire parfois en en étant son catalyseur ou même son acteur. Il est à la recherche de la vérité et rien de l'arrêtera pour exposer les faits. Warren Ellis s'en donne à coeur joie pour tirer à boulet rouge sur tout ce qu'il n'aime pas. Son personnage en quête d'absolu dénonce tout ce qu'il croise sur son chemin : les manipulations politiques quand la fin justifie les moyens, la nature terriblement humaine de nos dirigeants, la société de spectacle télévisuelle, le besoin artificiel d'églises toutes plus loufoques les unes que les autres et la mascarade des faux prophètes.

De son coté, Darick Robertson a la tâche peu enviable de créer un univers visuel cohérent à partir de tous ces éléments. Et le résultat est tout à fait convainquant. le personnage de Spider Jerusalem frappe l'imagination avec sa petite silhouette, ses expressions faciales décidées et sarcastiques et ses superbes tatouages tribaux (qui restent consistant d'une illustration à l'autre). Sa conception d'un futur proche et probable plonge le lecteur dans une anticipation plausible, sans ridicule (sauf peut être pour le chat à 3 yeux et 2 bouches, mais on peut penser qu'il s'agissait d'une exigence du scénario). En particulier, Robertson a très bien représenté la surcharge d'informations visuelles liées aux publicités agressives. Les décors regorgent de détails qui leur donnent une densité et une réalité palpable qui provoque une immersion totale dans ce monde. Et puis chaque émotion traverse les visages des personnages d'une manière très expressive et très réaliste (avec une réussite exceptionnelle pour le marathon télé). Cette capacité à représenter les émotions provoque une empathie totale avec l'état psychologique des personnages et de Spider Jerusalem en particulier. Il sait parfaitement doser les éléments informatifs avec quelques touches d'humour visuel qui viennent compléter l'histoire sans la phagocyter (page 38, la semelle de Spider est magnifique, les attributs des différents prêtres sont inventifs, etc.).

En tant qu'introduction, ce tome est une vraie réussite : personnage principal abouti, abrasif et unique + environnement captivant. En tant qu'histoires en elles mêmes, je reste un tout petit peu sur ma faim. Warren Ellis pointe du doigt plusieurs travers de nos sociétés, en restant sur un mode destructif qui ne propose rien à la place.

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- Lust for life (épisodes 7 à 12) -
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Dans l'épisode 7, Channon Yarrow explique à Spider Jerusalem que son ex-petit ami a choisi de se faire télécharger (download) ; elle ne sait pas très bien ce à quoi cela correspond. Il se trouve que l'entreprise qu'il a choisie pour ce téléchargement est gérée par une vieille connaissance de Jerusalem. Ce dernier fait en sorte que Channon puisse assister à l'opération.

Dans l'épisode 8, Warren Ellis nous invite à suivre Spider Jerusalem lors de ses recherches pour l'écriture d'un article sur les personnes cryogénisées qui sont ramenées à la vie pour être guéries et rendues à la société.

Toujours dans le cadre de l'écriture d'un article, Jerusalem enquête et se rend dans les réserves de protection de civilisations qui existent dans la Cité.

Ce tome se conclut par une histoire en 3 parties dans laquelle Spider Jerusalem doit faire face aux conséquences d'un de ses articles qui dénonçait les pratiques abusives d'une entreprise, au risque du retour de son ex-femme et à un enfant qui semble être de lui. Et comme une catastrophe n'arrive jamais seule, il a également été déconnecté du réseau et un flic d'une race inattendue est à ses trousses.

Avec cette deuxième partie, Warren Ellis passe la vitesse supérieure et aborde de front de possibles avancées technologiques avec une prise de position marquée. Par exemple, la désincorporation du petit ami de Channon aborde la question de la nature de l'être humain et d'une certaine manière de son âme (sans connotation religieuse), tout en faisant miroiter une application possible du tout électronique. le retour à la vie des cryogénisés revient sur un thème de science fiction classique avec une approche sociétale inattendue, tout en étant en parfaite cohérence avec le personnage de Spider Jerusalem. Les réserves de civilisation en voie de disparition emmènent le lecteur dans une direction inattendue, tout en continuant à insérer des variations sur le questionnement de "Que devenir quand la science permet tout ?".

L'histoire finale constitue un mélange de 3 histoires racontées simultanément et qui ne semblent avoir été mélangées que pour tenter une structure narrative différente. Je ne suis pas vraiment convaincu par cette structure. Par contre Ellis continue de donner un point de vue original sur l'impossibilité d'accéder au réseau, sur une nouvelle race de policiers et sur une nouvelle variation de choix de vie sur la base de convictions personnelles déconcertantes, choix rendu possible à nouveau par une technologie d'anticipation.

Même s'il est facile de l'oublier tellement le scénario est fort, Darick Robertson accomplit un travail ahurissant de création d'images à la hauteur des concepts et des scènes comiques du scénario. Spider Jerusalem continue d'avoir une apparence très particulière (les tatouages y sont pour beaucoup), mais aussi un langage corporel spécifique avec des attitudes qui n'appartiennent qu'à lui (en particulier sa sale habitude de mordre les filtres). Chaque vision d'un nouveau quartier de la Ville apporte une atmosphère particulière très forte et pleinement habitée par les particularités de ce quartier et de ses commerces. La visualisation des êtres désincorporés suggère des possibilités qui complètent les éléments contenus dans les dialogues. Les expressions faciales des êtres décryogénisés brillent par leur justesse et leur densité émotionnelle. Et les personnages créés pour la dernière histoire resteront longtemps dans ma mémoire que ce soit le policier Stomponato, l'ex-stagiaire de Jerusalem, et les membres du culte bizarroïde. le boss de Spider a droit à de superbes pages et Spider lui-même a droit à une séquence mémorable dans des sanisettes.

Warren Ellis ne se limite pas à inventer des technologies futuristes, à sonder leurs implications pour l'homme de la rue, il raconte des histoires captivantes avec un humour à froid très anglais, très incorrect et très drôle. Avec cette partie, j'ai découvert que cette série n'a pas volé sa réputation.
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