« Je n'avais d'autre interlocutrice que moi-même, et il est absurde de coucher par écrit ce que l'on se dit à soi. »
Lucy Ellmann a pris le contre-pied de cette phrase d'
Edith Wharton dans son roman
Les Lionnes, laissant son personnage de mère de famille soliloquer à sa guise sur plus de mille pages bien serrées. Celle dont on ignorera même le prénom jusqu'à la toute fin, cuisine tartes et gâteaux dans sa maison de Newcomerstown, Ohio, revendus à quelques commerces du coin. Son second mari Leo, ingénieur civil, est souvent en déplacement pour son travail et la charge de la maisonnée lui incombe donc en grande partie. Quatre enfants à aimer, éduquer et soutenir : Stacey, 15 ans, Ben, 9 ans, Gillian, 8 ans et Jake, 4 ans, plus quelques poules dans son jardin, sans oublier deux chats et un chien. Bref, le quotidien d'une mère au foyer tentant de garder le cap.
J'ai été déroutée au début par le style télégraphique des phrases, les digressions abondantes, les accumulations de faits divers et les sigles et acronymes (avant de constater trop tard leur définition dans une liste placée à la fin du livre). En plus de pratiquer des associations inconscientes (tous frais payés, touffe rayée; Fox News, fake news, barbouze; austère,
Jane Austen; où est Jake, chèque, chaque, lac), la narratrice se lance dans des diatribes intérieures contre les armes à feu, la pollution, la politique (Trump), la violence conjugale, l'ingratitude des ados, les blessures d'enfance et j'en passe. En parallèle, comme une pause à tout ce verbiage, on suit le parcours d'une femelle couguar et de ses petits, retour à l'instinct maternel originel ancré dans la nature.
Obsédant, hypnotisant, ce roman m'a ébloui, me projetant dans les pensées incessantes de cette femme, ses peurs, ses rêves, ses souvenirs, ses projections. Une femme ordinaire prise dans le tourbillon de la vie moderne et connectée, timorée en société, mais qui affiche intérieurement une pensée solide, un bon jugement et un amour indéfectible envers sa famille. le roman s'avère une critique cinglante de la société américaine autant dans son histoire passée que dans ce qu'elle représente aujourd'hui. J'ai bien ressenti cet énorme cri du coeur d'une citoyenne en alerte car ce que nous observons et constatons depuis quelques années, de l'autre côté de la frontière, est loin d'être rassurant pour le futur.
Et pour reprendre le fil de la narration, le fait est que c'est un maudit bon roman!