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Critique de CorinneCo


Rien ne peut être plus cruel et plus risqué que l'idéalisme déçu. L'amour inconditionnel se transforme vite en haine profonde et parfois irrémédiable. L'idéal et l'humiliation sont des vecteurs dangereux. Ward J. Littell en est l'effigie, l'emblème dans American Tabloïd. Il apparait furtivement dans Perfidia. Je dirai qu'il manque le lien entre ces deux livres pour savoir pourquoi Littell est tel qu'on le découvre dans les premières pages d'American Tabloid, alors qu'on l'a laissé « autre » dans Perfidia, mais je fais toute confiance à Ellroy pour trouver la jonction. Ward J. Littell est un saint jetant sa foi aux orties pour boire au chaudron du Diable. Nous sommes dans l'Histoire : les Kennedy, la Mafia (je devrais peut-être dire les mafias), le FBI, la CIA, Cuba. Foisonnant, limpide et pourtant tellement, tellement, tellement ….. dense. Je n'ai pas trouvé de longueurs, juste cette cadence soutenue qui ne souffre aucune distraction d'attention. Je concède que l'imbroglio cubain peut paraître par moment touffu pour ne pas dire un peu obscur.
La réalité et la fiction sont si emmêlées, si imbriquées, si semblables aussi que tout paraît impitoyablement vrai. Une trame très serrée commençant par une tentative de vol de voiture et se terminant par le jour de l'assassinat de Jack Kennedy. Plusieurs intrigues, des personnages principaux, secondaires, furtifs. Collusions, recoupements, trahisons, complots, meurtres, extorsions, une foule d'événements grands et petits qui tels des ruisselets se rejoignent peu à peu pour former un fleuve qui va tout balayer sur son passage.
Je suis d'accord avec Darkcook, Ellroy est plutôt « gentil » avec Jack et Bobby Kennedy, disons qu'il ne leur enfonce pas trop la tête sous l'eau.
Les Mafieux – réels ou fictifs – sont décrits comme de dangereux abrutis ce qui nous donne un festival de dialogues idiots, drôles et très souvent en-dessous de la ceinture. On finirait par se demander comment ces personnes peuvent être aussi redoutées. Les écoutes téléphoniques sont délicieuses.
Les extrémistes de droite, les membres du Ku Klux Klan sont définis comme des bandes de tarés psychopathes de la meilleure eau.
Hoover est un monstre qui détruit tout ce qu'il touche, obsédé par la gauche, la pensée de « gauche », les communistes. C'est une sorte de dieu sanguinaire sur son piédestal attendant les sacrifices.
James Ellroy les passe à la moulinette de sa sagacité, son acidité, sa férocité, sa prose satirique, sa plume caustique s'en donne à coeur joie. Comme toujours j'adhère complètement.
Et puis il y a Kemper Boyd, Pete Bondurant, Ward J. Littell. Ce ne sont pas des saints, on pourrait même dire qu'ils sont des criminels. Boyd et Littell sont du FBI, Bondurant est un ancien flic devenu escroc, homme de main « à tout faire », J'ai eu une grande sympathie pour eux avec même l'envie qu'ils s'en sortent (pourtant leur âme n'est pas parsemée de fleurs des champs). James Ellroy leur donne une humanité, une charge émotionnelle, une forme de nudité morale qui appelle la compassion et la clémence. Dans le désespoir de leur âme noircie subsiste une flamme d'amour et de pardon. Pourtant la folie les a depuis longtemps pris dans ses bras.
Il est toujours une question de rachat chez Ellroy ; et là qui rachète qui ? Et quoi ? Littell et sa foi chrétienne dénaturée ? Boyd et sa revanche sociale impossible ? Bondurant et son péché originel insoluble ? Qui sont ces trois hommes ? Pris dans les filets de l'Histoire, foulés par celle-ci ; figures de papier ? Ombres chinoises ? ils s'assemblent, se ressemblent (Ward Littell ne devient-il pas un double de Kemper Boyd à la fin ? )
Les personnages de femmes sont en arrière plan dans ce roman, elles passent ; elles servent de balise des sentiments. Elles sont pour le sacrifice et la revanche. Elles sont invisibles et pourtant bien là. On croirait presque qu'elles attendent leur heure.
Un salut amical au personnage de Lenny Sands, trublion sans gloire et sans joie.
Un livre comme un credo
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