Voici cinq traductions de ce verset, toutes également sérieuses,
dans l'ordre: la traduction oecuménique de la Bible, La Bible de Jérusalem, La King James Bible, la Bible Segond et la Bible du rabbinat.
Tous les mots sont usés, on ne peut plus les dire, l'oeil ne se contente pas de ce qu'il voit, et l'oreille ne se remplit pas de ce qu'elle entend.
Toute parole est lassante ! Personne ne peut dire que l'oeil n'est pas rassasié de voir, et l'oreille saturée par ce qu'elle a entendu.
All things are full of labour; man cannot utter it: the eye is not satisfied with seeing, nor the ear filled with hearing.
Toutes choses sont en travail au- delà de ce qu'on peut dire; l'oeil ne se rassasie pas de voir, et l'oreille ne se lasse pas d'entendre
Toutes choses sont toujours en mouvement; personne n'est capable d'en rendre compte. L'oeil n'en a jamais assez de voir, ni l'oreille ne se lasse d'entendre
Je souhaite n'examiner que le début du verset, les quatre à six premiers mots;
deux axes de traduction: le mot hébreu Debarim דְּבָרִים a plusieurs sens - outre qu'il est le nom donné au cinquième livre de la Torah (le deutéronome dans les bibles chrétiennes) – il signifie la parole/le mot ou la chose.
Dans un cas comme celui-ci, que pouvons- nous faire, nous, lecteurs déconcertés ?
Nous irons consulter le Targoum de Qohélet et le Zohar, pour ne rien trouver qui nous éclaire sur ce point,
nous nous réfèrerons alors aux controverses entre confucianistes et taoïstes – à peu près aux mêmes époques – qui se disputaient pour établir la relation entre le terme qui désigne la chose et la chose elle-même;
toujours sur notre faim, nous nous laisserons enfin guider par notre analyse de la phrase, on nous parle de l'oeil puis de l'oreille, il semble clair qu'ici l'auteur a voulu placer la parole (de la bouche) et nous y ajouterons la beauté des mots,
pour moi : ‘tous les mots sont usés…'
J'emploie ce mot de beauté des mots à dessein; en effet, L Ecclésiaste (comme le Cantique des Cantiques) a rencontré des obstacles avant d'être admis dans le canon des livres de la bible et leur présence a longtemps été contestée.
Il fallait beaucoup de courage aux gardiens de la tradition biblique pour admettre un texte (Qohélet) qui fait fi de toute idée de rétribution et un autre (Le Cantique des Cantiques) que seules des acrobaties intellectuelles et vertueuses ressassées depuis une vingtaine de siècles peuvent faire passer pour autre chose qu'un chant d'amour sensuel – et en ce qui me concerne je pense pour partie écrit par une femme – quelque fois sur la marge étroite de l' érotisme le plus cru (5.4).
Je reviens à la force de la beauté des mots, Qohélet et le Cantique sont des oeuvres littéraires d'une qualité si peu partagée dans l'histoire des mots que je crois que cela a été ressenti par les hommes chargés de veiller à la conformité et que pour cette raison ils les ont acceptés dans le canon, tout en faisant de très nombreux commentaires (lisez les targoums et les commentaires haggadiques – passionnants en ce qui concerne L Ecclésiaste) voire des rajouts : les versets huit à quatorze du chapitre douze ont été ajouté pour favoriser cette adoption (peut être le verset treize de ce même chapitre est-il de la main de l'auteur de Qohélet – je parle ici de celui qui a cet immense talent, du principal, celui qui a écrit tout le début jusqu'au septième verset du quatrième chapitre )
J'ai fait allusion aux controverses entre confucianistes et Taoïstes là où j'aurais pu évoquer celles entre philosophes à Athènes, mais j'ai commencé avec Lao Tseu, alors j'ai continué, par paresse.
Alambiqué et répétitif, érudit jusqu'à la cuite. Je n'en suis pas venue à bout et pourtant j'adore le texte dont il traite. J'ai une approche intuitive de la Bible et le message de l'Ecclésiaste ne m'avait pas parru si complexe... Cependant cet essai a eu le mérite de m'éclairer sur les origines du texte et de me poser des questions. A lire donc (en diagonale) si on a été touché par l'Ecclésiaste.
« Il y a une vanité qui est faite sur la terre : c’est qu’il y a des justes qui sont traités selon l’œuvre des méchants, et des méchants qui sont traités selon l’œuvre des justes ; j’ai dit : cela aussi est vanité » (VIII, 14).
Elle est multiforme cette vanité, elle se manifeste en tout. Une de ses manifestations est donc celle-là : le juste et l’injuste sont traités de la même façon. Il n’y a pas de justice. Il n’y a pas de récompense à attendre en faisant le bien, en étant juste. Tout est interverti, ou perverti, ou confondu par le grand mouvement de la vanité.
(page 132)
En tant que chrétiens nous devons savoir fermement que nous n’avançons en rien vers le Royaume de Dieu. Que celui-ci ne se constitue pas au travers de l’Histoire, qu’il ne viendra pas lorsque peu à peu le monde aura été christianisé, converti, lorsque la société sera devenue plus juste, etc.
Il est absolument formidable (au sens étymologique !) de constater la permanence, la perpétuation de cette énorme hérésie (qui dans nos temps modernes culmine chez Teilhard de Chardin…) selon laquelle les progrès spirituels, religieux, culturels nous font avancer vers le Royaume de Dieu. Comme si celui-ci était la conclusion normale de notre histoire, comme si elle aboutissait normalement dans le Royaume, comme un fleuve dans la mer. (page 78)
Il faut placer toute étude de la vanité sous le frontispice de G. Bernanos : « Pour être prêt à espérer en ce qui ne trompe pas, il faut d’abord désespérer de tout ce qui trompe. »
Tout Qohelet est là.
(page 59)
Il faut une singulière vanité ou une rare inconscience pour écrire encore de nos jours un texte sur l'Ecclésiaste ! En présence d'une bibliographie qui couvre des pages - et des dizaines de commentaires aussi savants les uns que les autres. Je ne suis ni savant, ni exégète, ni herminette, ni théologien. Mon seul titre ici est que ce texte je l'ai lu, médité, prié, pendant plus d'un demi-siècle. Il n'y a probablement pas de texte de la Bible que j'aie autant fouillé, dont j'aie autant reçu - qui m'ait autant rejoint et parlé. Mettons que j'exprime ce dialogue.
(page 11)
Le travail est une nécessité. Ce n’est ni une valeur, ni une vertu, ni un bien, ni un remède, ni l’expression de l’homme, ni le révélateur… C’est cela que veut dire « l’âme n’est pas comblée » - le ventre peut l’être. Mais c’est une perversion grave lorsque toute une société prétend combler l’âme par le travail ! Ceci ne peut produire qu’un grand vide, une absence terrible, dans laquelle vont s’engouffrer toutes les autres passions. (page 113)
Jésus était-il vraiment Juif ?