– J'ai besoin d'un détective.
Elle fit quelques pas mal assurés et saisit le dossier d'une des chaises en bois disposées devant le bureau. Sa course dans l'escalier l'avait visiblement laissée hors d'haleine.
– Et d'un verre ?
– Oui, aussi.
Un des secrets de la vie de couple, j'imagine, implique qu'il faut savoir la fermer.
Le salaud se trouvait juste de l'autre côté de la rue. Il était sur un banc en face de l'hôtel, occupé à lire un journal. Culotté ? Ou simplement trop jeune et inexpérimenté pour savoir que je pouvais le flairer de là où j'étais ?
Me relevant, je m'abritai les yeux, faisant mine de contempler les vitrines des magasins. Lorsque je me retournai dans sa direction, il se cacha derrière son journal, mais d'un geste lent. Culotté. Et merde.
En temps normal, j'aurais été ravi de montrer à un jeune cabot impudent ce qui m'avait valu ma réputation. A cet âge-là, une bonne raclée suffisait. Mais bordel, c'était ma lune de miel.
Je traversai la rue et m'engouffrai dans la première ruelle venue.
Le cabot pouvait réagir de deux façons, selon la raison qui le poussait à filer le train à Elena. Soit c'était un prétexte très maladroit pour me défier. Totalement idiot : n'importe quel loup savait que sa compagne n'allait pas lever la queue devant le premier jeune mâle qui croiserait son chemin. Seul un humain piquerait une crise de jalousie et provoquerait son rival en duel. Mais si son but était de m'inciter à attaquer en premier, alors il me suivrait dans l'allée.
Soit il lui courait réellement après. Il ne serait pas le premier cabot à s'imaginer qu'elle puisse vouloir d'un nouveau partenaire.
Soudain, elle redressa la tête et pourra un hurlement de pur défi primal - un son si puissant, si brut, si primitif, qu'il semblait à peine humain. Ce n'était pas un mot, mais il communiquait parfaitement la rage de Gard, son mépris total du danger, de la vie... et de la mort. Ce cri de guerre me flanqua la chair de poule, et je n'en étais même pas la cible. [...] Elle n'avait plus rien de la professionnelle imperturbable que j'avais connue au service de Marcone. En fait, je n'avais jamais vu personne se transformer en berserker à l'ancienne. Mais ce cri... J'eus l'impression d'entendre l'écho des siècles oubliés issus d'un monde antique, un monde plus sauvage perdu dans l'abîme du temps.