Avec
Personne, recueil publié en 2020 aux Éditions Unes, je poursuis ma découverte de la poésie d'
Antoine Emaz. Dans ce livre qui regroupe plusieurs de ses ouvrages imprimés en tirage limité, je retrouve son écriture si caractéristique, faite d'épure et de retenue.
Même si sa poésie est composée d'éléments autobiographiques, ceux-ci sont toujours mêlés au commun. Chez Emaz, l'utilisation du On indéfini est récurrente. Elle marque chez lui le refus du Je différencié, qui cherche à imposer le Moi de l'écriture. Ainsi dans ses poèmes, le regard que le Je porte sur un paysage n'est ni tout à fait celui du poète, ni tout à fait celui d'un autre. Il est indéfini.
« Vent de peine perdue de vie
Une détresse sans visage vibre
Efface et tourne ramène et tord
Dans le même temps
Une longue traîne de passé vide »
Dans
Personne, un lieu est omniprésent, celui d'un bord de mer. La plage de sable, le mouvement des vagues, le ciel, l'air et le vent servent à dépeindre l'étendue côtière, sans trop en dire cependant. Comme souvent chez Emaz, les éléments ne sont jamais prétexte à créer une vision réaliste du paysage, à susciter des sentiments concordants. Tout dans son écriture reste comme au bord des choses :
« passent la vie courte et le sable des gens
le peu de poids des jours
s'en va
au fond du vent jusqu'à
plus rien que du son sans oreilles »
Chez Emaz, les images nées de choix descriptifs, peuvent s'entendre ensemble ou séparément. Elles se rattachent les unes aux autres et se séparent dans le même mouvement. Ainsi, les éléments stables du paysage que sont le sable et le ciel se confondent-ils avec ceux instables que sont le vent et les vagues. Ils sont ce ressassement ininterrompu de la nature, fait de mouvement et d'inertie.
« revenir seulement aux vagues
leur calme lancinant fatigué
à marée basse
leur énergie qui se replie
tirer dedans comme un drap
lourd d'écume et de sel
du ciel un peu aussi
et dans les plis
les êtres
passés
pas plus
des ombres
des bouts »
Passer, passant, passé sont quelques-uns des mots qui reviennent souvent dans le recueil, ils expriment à eux-seuls tout ce qui glisse au travers d'un paysage et à travers soi, un échange
entre un dehors et une intériorité qui se nourrissent l'un l'autre.
Ce qui me plaît dans l'écriture d'
Antoine Emaz, Ce sont ces juxtapositions, ce jeu des implicites et l'utilisation des blancs, de la place laissée vacante sur la page. Il y a toujours en elle ce sentiment d'inquiétude, d'incertitude qui domine, une appréhension tout en réserve, comme atténuée de l'intérieur. Sa poésie n'en paraît ainsi que plus précieuse.
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