Attendre, sans savoir quand cette attente s'arrêtera, ni ce qu'on découvrira, après…
De cette période hors du temps, sa vie suspendue à l'attente, littéralement, l'auteure fait émerger des réflexions tantôt brutales et désarmantes, tantôt profondes et existentielles sur le simple fait de respirer, sur le poids des mots, sur le regard de l'autre, sur le corps et sur la vie.
De cette fermentation du temps jaillit un levain riche dans lequel des bulles d'introspection éclatent en grandes interrogations. Un regard intérieur unique et mordant sur l'attente de la greffe, important, rare et précieux.
Cette lecture, rapide sans être simple, d'une grande qualité littéraire pour un témoignage, résonne longtemps.
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Je suis huitième sur la liste d’attente à Lyon pour
mon groupe sanguin. Autant dire que ça ne va
probablement pas arriver dans les deux semaines, ni
même dans les deux mois. Ils m’ont dit de ne pas avoir
trop d’espoir que ça arrive avant six mois, mais on ne
peut jamais savoir. Je dois rester joignable en
permanence, jour et nuit, ce qui suppose que j’adopte
comme une seconde nature le comportement compulsif
et anxieux des gens obnubilés par la qualité du réseau
téléphonique cellulaire et le degré de charge de la
batterie de leur portable. Au moment de l’appel, j’ai
trois heures maximum pour arriver à l’hôpital. À partir
d’aujourd’hui, chaque jour va ressembler au précédent,
ou presque. Je vais avoir du temps pour surmonter mes
craintes, me soigner, m’ennuyer ferme et tourner en
rond.
J’ai beau savoir qu’on bricole un peu les humains, et que
malheureusement ça n’a pas toujours été fait dans la
meilleure intention, j’ai, comme tout le monde, une
conscience naturelle de ma propre intégrité physique. Et
voilà qu’on va briser cette intégrité, cette identité, en
remplaçant un bout de moi par un bout d’un autre.
C’est chimérique. Je n’arrive pas à savoir si ça tient de la
transcendance ou de la plomberie ; j’imagine qu’on peut
faire le choix de l’envisager de l’un ou l’autre de ces
points de vue.
La condition pour m’avoir moi, c’est de me prendre en entier. Je ne suis intègre qu’à une condition, il n’y a pas d’autre mot et celui-là dit strictement ce qu’il veut dire : c’est ma condition. Je ne suis moi-même qu’à une condition, celle de mon propre corps.
Interrogation numéro un : vais-je trouver
facilement un sens à ma vie lorsque je n’aurai plus à
lutter pour survivre ?