... Et je m'en veux quand les jours passent et que soudain je me rends compte qu'ils sont passés sans que j'aie pensé à lui, comme si je l'avais oublié. Je n'oublie pas, Marie. Je te jure.
- je te crois. Continuer à vivre, ce n'est pas oublier ses morts. Je crois même que c'est leur rendre hommage. Je crois que c'est ce que ton père souhaiterait que nous fassions, vivre, continuer à vivre. Ici, ailleurs...
Marie est assise à Patmos, dans sa chambre, devant la fenêtre ouverte. Aujourd'hui est une journée sans vent, tous les voiliers retenus au port depuis plusieurs jours se sont échappés comme des oiseaux d'une volière. Elle les compte. Une vingtaine. Un par un, elle les repique sur sa feuille blanche. Après, sous eux, elle fera la mer. Une mer très profonde.
D'un bleu dont on ne peut toucher le fond
Il glisse dans le sommeil sans bruit, comme dans de la neige poudreuse. (p.132)
Elle s'endort comme une pierre jetée au fond d'un puits en rase campagne. (p.115)
Elle regarde la Grande Ourse, là-haut dans le ciel, et se demande ce qu'elle peut bien transporter dans son petit chariot, soir après soir. (p.22)
Mon loup, elle l'appelle, mon loup ! Il a une peau de loup, un sourire de loup, une dent de loup. Un loup apprivoisé pour elle, rien que pour elle. Quelle illusion !
Carnassier sous son pelage d'hiver.
Carnassier sous son duvet de printemps.
Jean ne se pose pas de questions. Jean ne la met plus en garde. L'amarre est rompue. Leur barque vogue au large.
Son timon flottant au creux d'une main distraite.
Jean ne dit rien.
Le courant les fait dériver.
Il ne sait pas où ils vont.
Il ne veut pas perdre sa femme, elle est tout ce qu'il a.
Il ne veut pas d'une femme qui le trompe.
Quand la digue est si fine, il ne faut pas s'en approcher. Elle craque pour un rien. Ce n'est pas le poids qui fait qu'elle craque. C'est la minceur de la paroi. Pas une vrai digue.
Sa vie est comme une mer démontée qui vient se fracasser aux pieds de Marie. Elle l'éclabousse.
Septembre 2004, Marie vient de rentrer de Patmos où elle passe tous ses étés avec son mari et leurs enfants. Elle rêve d'autre choses, elle ne sait pas de quoi. Avant elle rêvait du théâtre dans une famille où personne ne r^vait. Elle y est arrivée. Pourquoi pas le reste ? Se reconnaîtrait-elle si ce reste arrivait ?