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Xavier Collette (Autre)Patrick Dechesne (Traducteur)
EAN : 9782492403248
256 pages
Argyll éditions (01/10/2021)
3.53/5   69 notes
Résumé :
Charley est un humain, mais Charley est surtout un animal apprivoisé.

Sur une Terre devenue leur monde d’accueil, les Hoots, des extraterrestres herbivores, ont transformé les humains en montures. Charley, jeune garçon sélectionné pour ses mensurations et ses capacités reproductives, est destiné à devenir l’une d’entre elles; mieux encore, il est entraîné quotidiennement car promis à un futur dirigeant hoot, celui qu’il appelle Petit-Maître.
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Critiques, Analyses et Avis (29) Voir plus Ajouter une critique
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Un accident, un vaisseau qui s'écrase sur la Terre, une race extra-terrestre qui se retrouve sur notre planète et qui la domine. Les Hoots qui ont des difficultés à se déplacer sur notre sol, ont vite transformé les hommes (les Sams) et les femmes (les Sues) en montures. Comme des chevaux, Les hommes sont élevés dans des stalles avec lit, eau chaude et froide, nourriture, vêtements. Des races sont aussi sélectionnées par les envahisseurs : les Tennessees sont les plus fins et les Seattles les plus robustes.

« Vous serez libres. Vous aurez un lit. Vous aurez un robinet et une étagère. Nous vous complimenterons si vous faites les choses assez vite et si vous ne faites pas les difficiles. Nous masserons vos jambes et nettoierons vos pieds, à vous, à tous les Sams et à toutes les Sues, et vous, les Sams, vous avez intérêt à bien vous tenir. Vous nous appelez toujours extraterrestres, bien que nous habitions votre monde depuis des générations. D'ailleurs, pourquoi appeler étrangers ceux-là même qui vous ont apporté la santé et le bonheur ? Regardez comme nous nous complétons, vous et nous. Comme si nous étions faits l'un pour l'autre alors que nous provenons de mondes éloignés. »

Le roman débute trois cent ans après l'arrivée des extraterrestres. Nous suivons Charley, un jeune humain qui est destiné à devenir la monture du futur chef des Hoots « Son-Excellence-Vouée-À-Devenir-Notre-Maître-À-Tous. » Elevé dans l'amour des maîtres, il ressent un certain dégoût pour les autres humains, les Sauvages qui vivent en liberté dans les montagnes. Ceux-ci refusent de respecter les règles édictées par les Maîtres et surtout ils se reproduisent sans respecter la pureté des races…

« Je suis un Seattle. Nous sommes les meilleurs en termes de taille et de force, même si nous ne sommes pas aussi rapides que les Tennessee. Je veux être un bon Seattle. Je veux être le meilleur de tous. Dans mon ancienne écurie, au-dessus de mon étal, il était écrit : « SMILEY », et en dessous, « FILS DE MERRY MARY. Sera bon pour le trait, bon trotteur de longues distances et bon étalon. » Ils l'avaient écrit dans notre écriture et dans la leur. Je peux les lire toutes les deux. Je serai libre de me proposer pour n'importe quelle fille de Seattle. J'aurai peut-être même le choix. »

Dans son roman, Carol Emshwiller prend le parti de nous raconter son récit à travers les yeux du jeune Charley âgé de 11 ans. le style est naïf et manque d'impartialité car écrit à la première personne. En effet, notre héros est partie prenante pour les envahisseurs. On est tellement habitué à se tenir du côté des opprimés que l'on a du mal à s'immerger dans cette histoire. C'est assez déstabilisant mais on finit par comprendre que toutes ces années de domestications ont pu empêcher ces hommes de développer un intellect propre à la liberté.

« Ils n'arrêtent pas de dire que les seuls qui soient vraiment libres, c'est nous.« Où serions-nous sans vos fidèles et sûrs appuis ? » Et puis, ils battent des oreilles (c'est leur rire) tellement ils sont heureux de nous avoir. C'est facile à comprendre, que feraient-ils sans nous ? Dans leurs maisons, ils doivent se déplacer en se traînant sur de petits tabourets. Je n'aimerais pas ça du tout. Nous sommes vraiment les plus chanceux. »

Le rapport dominant et dominé prend toute sa valeur dans la deuxième partie du livre lorsque Charley rencontre son père, un sauvage qui veut libérer tous les hommes de la suprématie des Hoots. Entre la soif de liberté du père et le conformisme à outrance du fils, La Monture est un roman qui sort des sentiers battus et possède une force qui lui a permis de recevoir le prix Philip K Dick et la reconnaissance de la critique pour son originalité.

« Mais nous, les Sauvages, nous sommes revenus, nous nous reproduisons en secret dans les montagnes. Mon père dit qu'ils ne peuvent pas avoir la moindre idée de notre nombre. Il dit qu'ils ont perdu notre trace parce qu'ils n'aiment pas les collines, encore moins les montagnes. Ils ont besoin d'endroits plats et sans relief. »

Ce roman est un hymne de 200 pages à l'humanité autant qu'à l'animal. Les deux se mêlent intimement l'un à l'autre au point que l'on ne sait plus très bien qui est qui et qui domine qui. On est perdu dès le départ. La dignité humaine devra-t-elle correspondre à une vie d'esclave douce et rangée ou devra-t-elle être une vie libre mais dure et dangereuse ? La solution n'est certainement pas simple et le livre essaiera pourtant de nous donner une réponse. Si vous êtes prêt pour ce voyage déroutant, si vous êtes prêt à être chevauché par un Hoot, si vous êtes prêt à remettre en cause votre perception de la nature humaine, alors cette aventure est faite pour vous. Je vous invite à la découvrir et à l'apprécier comme je l'ai fait.

« Comme si cette fleur était différente de toutes les autres, même de sa propre espèce. Comme si toi aussi tu n'étais pas de ton espèce, mais de toi-même, ni moi de mon espèce. Avance, avance, avance, maintenant, avance.
Nous avançons. »
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‌Je remercie Patounet, notre cher Juke-box, de m'avoir choisi ce livre, qui me sortait de ma zone de confort. Je ne lis pas beaucoup de science-fiction, mais je suis toujours prête à relever un défi venant d'un de mes amis.

Mon retour de lecture reste mitigé, et paradoxalement ce n'est pas l'aspect SF qui m'a dérangée. J'ai aimé cette vision imaginée par l'auteur où la terre est passée sous la domination d'un autre peuple, les Hoots, et où les hommes les servent. Les plus chanceux, ceux à qui la sélection et la reproduction contrôlée ont permis l'amélioration des qualités athlétiques, servent de montures à leurs maitres. Cela vous rappelle quelque chose : eh oui, les Hoots traitent les hommes comme les hommes traitent les chevaux. Travaux des champs pour certains, courses et médailles pour d'autres.

Ce qui m'a empêchée de vraiment savourer cette lecture, c'est d'abord le style. L'autrice raconte par l'intermédiaire d'un jeune adolescent (Une douzaine d'années) et le style reflète ce choix. il est simple, presque naïf. Et en dehors du style, le fond reflète aussi l'age du narrateur; beaucoup de répétitions, d'hésitations, de questionnements. Ce qui est normal a cet âge d'autant plus que cet ado va connaître de profonds bouleversements. Mais, j'ai été tenue à distance par les mots, ne parvenant pas à ressentir de l'empathie pour ce personnage et peu d'émotions globalement. Assez rédhibitoire pour moi. Je ne sais pas exactement pourquoi ayant déjà lu d'autres livres racontes par des ados sans ressentir cette distance.

Et pourtant, les thèmes évoqués m'ont intéressée. Faut-il préférer une vie confortable, prévisible à une existence sauvage, aux milieux d'hommes qui vous apparaissent inférieurs, dans l'incertitude des jours à venir, sans toujours manger à sa faim ? La réponse évidente pour nous est non, rien ne peut remplacer la liberté, la possibilité de faire ses propres choix.

La réponse n'est pas si claire pour ce jeune homme, destiné à une existence où il aura un rôle important. Il sera la monture du chef des Hoots, actuellement enfant comme lui. Et ils s'entraînent ensemble, créent des liens. Alors que penser quand ils se retrouvent au fin fond de la montagne, dans un village au confort spartiate, ayant toujours faim (par ailleurs ayant élevé trois garçons, avoir toujours faim a l'adolescence est une caractéristique qui ne me surprend guère).

L'autrice nous décrit l'évolution de ce jeune homme, comment les évènements l'obligent à réfléchir, se poser des questions, parfois agir à l'encontre de ses sentiments. Il ne sait pas toujours ce qu'il veut vraiment, et ses préférences oscillent entre liberté et sécurité. Ils oscillent d'ailleurs un peu trop pour moi. J'aurais aimé que la fin soit plus tranchée, mais cependant elle est à l'image de tout le livre. Il est difficile pour lui de choisir d'exercer son libre-arbitre même s'il ne ressemble plus à celui qu'il était au début du roman.
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Tombée dans l'oubli en France, l'américaine Carol Emshwiller méritait très certainement un coup de projecteur. C'est grâce aux jeunes éditions Argyll et à l'excellent traducteur Patrick Dechesne (à qui l'on doit la découverte en France de Sofia Samatar qui sera bientôt réédité aux mêmes éditions Argyll avec Un Étranger en Olondre) que l'on peut enfin lire dans la langue de Molière l'une des oeuvres les plus singulières de la romancière avec La Monture, un court roman d'environ 200 pages qui marie à la fois le conte philosophique et la science-fiction pour résultat totalement inattendu. Sous la sublime couverture du livre-objet concocté par Xavier Collette, voici venir le temps des Hoots…

« Ho ! »…
Mais qui sont les Hoots ? Il s'agit en réalité d'une race extra-terrestre qui a échoué sur la planète Terre quelques siècles avant le récit qui nous est ici rapporté. Ces étranges visiteurs aux mains imposantes et aux bonds mortels ont une faiblesse évidente : leurs jambes fragiles et quasiment incapables de les porter. du moins, c'est ce dont ils sont intimement convaincus…et ce qui les fait admirer la musculature des êtres humains qui peuplent cette étrange planète bleue. Sans que l'on sache réellement comment, Carol Emshwiller explique que les Hoots ont réussi à imposer leur domination. Est-ce que leurs fameux bâtons qui lancent des boules de feu ont fait ployer l'humanité ou est-ce leur étrange cri à base de « Ho » dont ils tirent leur surnom et qui paraît insupportable pour les oreilles humaines ? Peu importe, les Hoots ont mis l'humain à leur botte et les survivants sont désormais des « montures ».
Les hommes et les femmes du roman de Carol Emshwiller sont des esclaves, ou, plutôt, des animaux serviles pour un maître qui se pense miséricordieux et particulièrement supérieur. Divisé entre Sue (femme) et Sam (homme), les humains sont aussi scindés en « races » avec les Seattle (les plus grands et les plus forts) et les Tennessee (les plus rapides) et ne vivent que pour servir de monture aux Hoots, concourir dans des courses organisées par les extra-terrestres aux larges mains et faire la fierté de leur maître en tant que Dompté. Charley (ou Smiley de son nom de monture) a onze ans. C'est un Seattle très prometteur mais qui souffre de la brutale séparation d'avec sa mère Merry Mary. Charley n'est pas n'importe qui puisqu'il est destiné à devenir la monture d'un Hoot de haut rang appelé son Excellente Excellence, Vouée-à-Devenir-Notre-Maître-à-Tous. Mais Charley préfère l'appeler Petit-Maître. Lors d'une attaque surprise des humains sauvages qui vivent dans les montagnes, Charley et Petit-Maître s'accrochent l'un à l'autre pour survivre jusqu'à ce que le jeune Seattle tombe sur un homme immense et charismatique nommé Héron. Ce nom, il ne le connaît pas encore puisque c'est sous son nom Hoots, Beauty, qu'Héron est connu de Charley. Son père l'a enfin retrouvé pour le mener sur le chemin de la liberté…mais qu'est-ce que la liberté quand on a toujours été esclave dans une stalle avec de l'eau fraîche et un lit douillet ?
Après un prologue énigmatique, mais qui s'éclaire rapidement une fois que l'on avance dans l'histoire, La Monture adopte le point de vue de Charley, jeune homme captif depuis son enfance et prisonnier d'un système où l'humain est traité comme un animal (et notamment comme un cheval de course ou de trait). Ce choix délibéré de l'autrice sera primordial pour la suite du récit et donne une fausse sensation de naïveté au lecteur puisque Charley s'exprime de façon simple et naïve, embourbé dans sa propre conception d'un système dont il est la première victime. Notre narrateur n'est pas tout à fait fiable mais Carol Emshwiller est assez intelligente et roublarde pour faire filtrer la colère, la tristesse et l'injustice à travers la vision biaisée de notre jeune héros.

La conjonction des dominations
De prime abord, La Monture fait furieusement penser à Cadavre Exquis d'Agustina Bazterrica où certains êtres humains sont traités comme du bétail et consommés pour pallier au manque de nourriture. Pourtant, là où Cadavre Exquis joue la carte du décalque de la cause animale à l'homme et utilise le choc de la souffrance et de la déshumanisation pour désarçonner son lecteur, La Monture se révèle bien plus subtil et nuancé, provoquant un sentiment plus dérangeant encore à la lecture. En effet, alors que Carol Emshwiller aurait pu simplement se contenter de décrire l'horreur d'une société où l'homme est traité comme une bête par des extra-terrestres cruels et hypocrites, elle choisit de mêler le destin d'un Hoot, Petit-Maître, à celui d'un humain encore (trop) naïf, Charley. Cet élément qui peut paraitre anodin va cependant avoir une importance cruciale pour le récit car cela va permettre de comprendre une chose qui paraîtrait autrement inconcevable : l'oppresseur est aussi la victime d'un système qui broie tout le monde en son sein. Dès les premiers chapitres, le lecteur comprend que Petit-Maître, enfant lui aussi, est dressé/éduqué comme peut l'être Charley afin de correspondre au profil-type de son espèce dominatrice et de sa culture. On lui inculque des valeurs et des manières qui perpétueront finalement la société en vigueur. Sauf que Charley et Petit-Maître, loin des instructeurs et de leurs brimades, forgent une amitié interdite et qui déjoue les stéréotypes. Petit à petit, les deux deviennent inséparables et finissent par se comprendre en tentant de se mettre à la place de l'autre. Cette nuance incroyable dans un récit qui fustige pourtant la domination permet à Carol Emshwiller d'interroger en profondeur son lecteur et la grille de lecture qu'il applique au système des Hoots. En comprenant l'endoctrinement de Charley qui a bien du mal à comprendre lui-même qui il est vraiment, on en arrive à comprendre que Petit-Maître et les Hoots sont dans une situation similaire et qu'ils se perçoivent certainement eux-mêmes comme des gens bons et respectueux du bien-être des « montures » dont ils ont la responsabilité. Plus qu'un discours sur le rapport entre dominant et dominé, c'est aussi une réflexion tout en nuances sur la perception de ses propres erreurs et de ses propres manquements, souvent voilé par l'inconscience de sa propre cruauté.
Comment en sortir ? Comment aller faire l'autre ? Comment contourner un système qui finit par provoquer la haine de part et d'autre lorsque les victimes se révoltent ?

Demain, ensemble
Carol Emshwiller adapte son récit de façon extrêmement fine puisque le monde qu'elle présente peut être perçu à la fois comme une charge contre le traitement des animaux par l'homme mais également comme une métaphore des différents systèmes d'oppression de sexe et de race. Plus fort encore, les subtiles allusions à l'esclavage des noirs (où l'on regarde les dents avant d'acheter pour évaluer la bonne santé, que l'on éduque pas parce qu'ils en ont pas besoin et qu'ils sont trop bêtes de toute façon), à la domination masculine sur les femmes (où l'on évite d'enseigner la lecture et l'écriture car à quoi cela servirait pour elles, surtout qu'elles n'ont qu'un but de reproduction, un sentiment que les Talibans n'auraient certainement pas renié) ou encore à l'invasion des Amériques par les colons européens (qui débarquent comme les Hoots avec une avance technologique certaine et des bâtons de feu) permet de comprendre que tous les systèmes de domination partagent des traits communs qui permettent de réduire l'autre à rien, ou presque. Il est d'ailleurs édifiant de s'apercevoir que dans le monde où vit Charley, si l'on est ni un Seattle ni un Tennessee…on est un rien. Et puisque les humains subissent des tortures et des brimades terribles (de l'isolement aux mors qui détruisent les dents et empêchent la parole), c'est bien parce qu'ils sont considérés comme des animaux ou, pire, comme des riens. C'est le fondement même de tous les régimes et systèmes de pensée fascistes/génocidaires modernes : réduire l'autre à l'état de cafard ou de rat, que l'on soit Juif ou Tutsis.
Là où le récit touche pourtant au sublime, c'est par la confrontation entre le point de vue du narrateur englué dans sa position de victime qui ne connaît que cette vue à priori bien plus confortable que le rude climat des montagnes où vivent les Sauvages libérés des Hoots, et celui d'Héron, le père du héros, démolit par sa vie de servitude et dont la rage devient le moteur de son existence pour faire en sorte que son fils ne finissent pas comme lui. La rudesse du traitement d'Héron n'est qu'entraperçue et laisse le soin aux lecteurs d'imaginer toutes les horreurs qu'il veut. Mais comme toujours Carol Emshwiller montre également la part sombre de cette révolte fondée sur l'abus et la violence. Une révolte qui tient en équilibre sur la haine et qui mène à des individus brutaux et dangereux comme ces montures de garde violentes et, pour tout dire, effrayantes. Pour mettre fin à ce système d'oppression vieux de plusieurs centaines d'années, doit-on détruire l'oppresseur en le massacrant ou faut-il trouver un autre moyen de bouger les lignes pour un résultat qui ne fera pas entrer l'histoire dans un cercle vicieux de révoltes où l'oppresseur de jadis se rêve en oppresseur de demain ? C'est ce que ne cesse de se demander Carol Emshwiller qui n'apporte pas de solution parfaite, puisqu'elle n'existe pas, mais qui préfère substituer un sentiment indispensable pour une société plus juste : l'amour de son prochain.
L'amour entre Lily et Charley qui brise le carcan des races et des riens, l'amour entre Petit-Maître et Smiley qui offre une nouvelle perspective d'entente et de respect à deux peuples pourtant ennemis.
Peut-être que c'est pas la compréhension et l'empathie que passeront les injustices d'hier et non par les extrémismes et les réactions épidermiques…

Simplement époustouflant par ses nuances, La Monture est une réflexion profonde et salutaire sur la manière dont se construit un système de domination et les façons d'en sortir. Carol Emshwiller livre un roman passionnant, émouvant et dérangeant qui hante par son refus des évidences et réjouit par la grandeur d'âme de ses personnages.
Lien : https://justaword.fr/la-mont..
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La Terre a été envahie. Les extra-terrestres l'ont emporté et ont réduit les humains en esclavage. Les Hoots, qui ont du mal à se déplacer sur notre planète, ont transformé les femmes et les hommes en montures. Tels les chevaux, ils les élèvent, les dressent. Ces derniers vont-ils se laisser ainsi dominer par ces créatures qui ressemblent à des chats ?

Autant le dire tout de suite, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce livre. Je l'ai même laissé de côté après un premier essai, histoire de nous offrir une chance. Et bien m'en a pris, même si, et je vais expliquer pourquoi, je ne suis pas vraiment parvenu à m'immerger totalement dans le récit.

Dans le premier chapitre, nous sommes dans l'esprit d'un Hoot qui nous offre sa vision du monde : là, tout n'est qu'ordre et beauté, aurait dit l'autre. Et c'est bien cela qui semble se dessiner dans l'univers selon les Hoots. Tout est à sa place, la gentillesse est de rigueur. Mais aussi la fermeté. Car, pour que la société tourne correctement, chacun doit être à sa place. Et la place des êtres humains, c'est sous les Hoots. Dominés par ces créatures sensibles, à la recherche de la beauté et de l'harmonie. Mais pas nécessairement sensibles au sort de leurs esclaves.

Car, il faut bien le dire, l'humanité a été réduite en esclavage. Et, c'est là qu'intervient le côté extrêmement dérangeant (et donc remarquable) du roman : une grande partie des humains est convaincue de la nécessité de cet ordre des choses. Comme nous le voyons dans toute la suite du récit en suivant Charley, un jeune homme fier d'être au service de Son-Excellence-Vouée-À-Devenir-Notre-Maître-À-Tous. Un jeune garçon qui pense que l'ordre et la beauté installés par les Hoots sont le summum et qu'il faut tout faire pour y parvenir. Y compris obéir à ces extra-terrestres parfois si durs. Y compris rejeter les Sauvages, ces humains qui n'acceptent pas la soumission et vivent dans la nature, sans respecter les règles édictées. Sans respecter la pureté des races.
En effet, autre passage dérangeant, les humains sont élevés selon leurs caractéristiques physiques : les solides Seattle ou les Tennessee plus fins, par exemple, sont réservés à des tâches déterminées pour lesquelles ils sont le mieux adaptés. Cela vous rappelle quelque chose ? Certains seront donc destinés à la course, d'autres aux travaux de force. Évidemment, les couples n'existent que pour optimiser les croisements. Pas de mélange entre races. Et surtout pas avec des Sauvages. Ou pire, des « riens ». Pas question d'amour entre les êtres. Il faut se conformer à la pureté recherchée.

Et donc, on est dans la tête de Charley, à ressentir ce que ressent un esclave content de son sort, qui ne veut pas que le monde qu'il connaît change, qui ne veut pas que ses comparses se révoltent. Même si certains éléments de son éducation (on pense plutôt à un dressage) lui semblent pénibles, dans l'ensemble, il est totalement satisfait de son sort car persuadé que c'est ainsi que tout doit tourner. Que les Hoots sont vraiment là pour le bien de lui et de ses semblables et qu'ils savent bien s'occuper d'eux. Difficile pour le lecteur d'être du côté de quelqu'un d'aussi soumis, qui ne montre aucune velléité de se révolter. Et même plus, qui ne comprend pas qu'on le veuille. le style volontairement simple de l'autrice, qui veut montrer sans doute le jeune âge de Charley, renforce ce côté passif du jeune garçon : pas d'envolée lyrique, juste des constats et des évidences. On a bien le point de vue de Héron, le père de Charley, qui, lui, veut libérer les hommes. Pas nécessairement par la violence, peut-être par la cohabitation. Ce discours est plus proche de ce que nous pensons en tant que lecteurs, mais il est en arrière-plan, noyé sous les pensées conformistes de Charley. Pour lui, la vie est telle qu'elle est et rien ne doit changer.

Et c'est bien ce qui rend la lecture de la Monture, roman hors du temps (il a été publié en 2002, mais aurait pu l'être bien avant), difficile et intéressante, enrichissante et troublante. le point de vue est tellement peu habituel, le parti pris tellement extrême, que l'on est perdu, au départ, et qu'il faut s'accrocher pour réellement en profiter. Mais, rien que pour les réflexions que cette découverte inspire, surtout avec l'évolution lente et progressive de Charley, cela en vaut vraiment la peine.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Des extraterrestres se servant des hommes comme de montures pour tous leurs déplacements. A cette seule évocation, je vous vois déjà matérialiser cette image dans votre esprit. Vous fait-elle sourire par son grotesque ? Vous fait-elle lever les yeux au ciel de dédain ? Lisez donc ce roman d'une étonnante richesse intérieure, et je prends le pari que votre réaction deviendra tout autre.

C'est le premier roman de cette autrice américaine qui est traduit en français. Il date de 2002. Gageons que le jeune éditeur Argyll saura nous trouver d'autres de ses pépites.

Les Hoots ont atterri par accident sur notre planète, voilà bien des années. Incapables de se déplacer par eux-mêmes, ils ont assujetti l'homme pour le placer au rang d'animal domestiqué.

Et s'en servir comme de chevaux. Les traitant comme tels, les utilisant pour se mouvoir mais aussi pour parader et (pour certains) réaliser des courses. L'homme découvre ce qu'est d'avoir un mors dans la bouche…

Le roman est écrit au présent et à travers les mots des protagonistes, principalement un jeune garçon de 11 ans, enrôlé depuis son plus jeune âge dans le rôle de (futur) crack. Il se sent dans son élément à l'intérieur de sa stalle, avec sa parure, et d'être ainsi traité comme un homme de la plus pure des races. Pour preuve, il est chevauché par le futur Grand Maître.

L'attaque d'hommes « sauvages » va chambouler son monde. Et lui faire voir et ressentir autrement. Mais on ne change pas si facilement un conditionnement.

Cette manière de raconter fait qu'on entre directement dans la tête de ces hommes du futur, de ce garçon qui va perdre ses repères. Elle est surtout menée avec une finesse et une intelligence qui donnent une vraie profondeur à l'histoire. Et matière à réfléchir.

On pourrait craindre que l'écrivaine force le trait, c'est tout le contraire. L'ambivalence des sentiments et ressentis de Charley entre en résonance avec le lecteur. L'empathie se crée vite envers lui. Mais plus étonnant envers le Petit-Maître Hoot tout autant.

Avez-vous déjà tenté de vous mettre à la place d'un cheval ? Ce qu'il pouvait ressentir ? Pas besoin de tomber dans l'anthropomorphisme, imaginez maintenant un humain à la place, en tenant compte de l'instinct grégaire du primate.

Loin d'être un roman à réserver aux seuls amateurs de SF, en à peine 210 pages Carol Emshwiller réussit le tour de force de nous faire croire à l'incroyable. Mais aussi, surtout, de braquer de nombreux projecteurs allégoriques sur des sujets actuels encore brûlants.

Dans un roman aussi court, l'autrice développe de quoi questionner et méditer sur autant de thèmes que le respect des autres et des espèces, le racisme, l'oppression y compris des sexes. Mais aussi permet de faire un retour salvateur sur ce que fut l'esclavage et ce qu'il en reste, avec toutes les « raisons » d'y avoir eu recours. Ou encore d'injustices, de la figure du père, de la manière dont on inculque certaines valeurs à la naissance.

A cette énumération, on comprend vite combien le roman est riche. Et comme il est raconté à hauteur d'homme (ou de Hoot), avec le peu de fiabilité des regards portés, on lit au plus près des émotions. Une palette large, de la colère à la tristesse, de l'amour à l'incompréhension.

D'autant plus que les Hoots se voient (ou se font passer) comme des gentils, qui aiment leurs montures. de l'art de parler de systèmes écrasants et de la difficulté de se détacher de son tortionnaire.

Mais la fin, subtile, questionnera aussi les notions de tolérance, de respect et de compréhension. Empathie encore et toujours.

Carol Emshwiller a un immense talent pour faire accepter le postulat de base qui paraît pourtant improbable, en interrogeant sur nombre de sujets forts.

La monture est à la fois un superbe récit humain et une métaphore de la domination et de la responsabilité. Qui questionne notre relation aux autres, autant qu'à l'animal. Quand l'art de pousser la fiction dans ses retranchements nous permet de mieux cerner la réalité.
Lien : https://gruznamur.com/2021/1..
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critiques presse (2)
SciFiUniverse
23 novembre 2021
Ce récit réaliste mais fantastique est fin, remuant et émouvant. Une œuvre aux thèmes philosophiques forts, profonds à mettre dans toutes les mains.
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
Syfantasy
26 octobre 2021
La Monture adopte le point de vue de l’esclave qui ne veut pas voir partir son maître dont il dépend. L’autrice brouille la relation maître-esclave afin de construire des personnages complexes et aux comportements effrayants. Chapeau !
Lire la critique sur le site : Syfantasy
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Je t’ai imposé un fardeau quand je suis venu te chercher. Je savais que les gens attendraient des choses de toi comme ils en attendent de moi, mais je craignais que, si je n’arrivais pas à temps, tu ne te rebelles et ne sois mis en isolement, puis transformé en monture pour les gardes et monté contre ton propre peuple. J’ai piétiné ma propre mère. Je peux à peine l’écrire.
Je n’étais pas juste. Je voulais que tu penses comme moi, que tu sois comme moi, que tu fasses tout comme moi. Mais Petit-Maître, marcher ! C’est une toute autre histoire. Il y a une solution à laquelle je n’ai pas pensé.
La façon dont toi et Petit-Maître êtes ensemble ! C’est entièrement nouveau. Les Hoots parlent de gentillesse et d’attention, mais vous êtes arrivés à avoir une autre relation tous les deux. Ce n’est plus une relation de monture à hôte mais d’ami à ami.
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Ils croient en la beauté. C’est une des raisons pour lesquelles ils nous aiment tant, nous sommes si beaux, avec nos muscles et tout le reste. Et ici, tout est fait de nous, des lampes faites de nos chaussures (toutes neuves, noires et brillantes), des surfaix tout neufs recouverts d’argent qui pendent du plafond pour soutenir des peintures… de nous… de nous tous. Des groupes d’entre nous dans l’arène ou sur les sentiers de longue distance avec la forêt en toile de fond. Dans des cadres d’argent !
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Nous ne sommes pas contre vous, nous sommes avec vous. En fait, nous sommes bâtis pour vous, tout comme vous êtes bâtis pour nous, afin que nos faibles petites jambes puissent pendre sur votre poitrine et nos queues sur votre dos. Exactement comme vous portez si souvent votre progéniture quand elle est petite et faible. C’est une joie. Semblable à une promenade avec sa mère.
Incipit
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Mon père m’a construit une bibliothèque, mais elle n’a même pas la moitié de la taille de celle que j’avais dans ma stalle, et il n’y a que quatre livres qui m’appartiennent vraiment. (Je suppose qu’il n’est pas démocratique de garder un livrer pour soi tout seul, même ceux qui vous appartiennent.)
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C’est un homme important, alors quand il dit quelque chose, ce doit être fait. Ce n’est pas un vote. Il n’est pas si démocratique. Surtout pas avec moi. Je ne peux pas voter sur quoique ce soit, sauf que je peux garder Petit-Maitre. Il me dit tout le temps ce que je dois faire, et aux autres aussi. C’est la personne la plus forte du coin. J’ai hâte d’être comme lui. Je suppose que je pourrai voter alors. Je suppose que j’aurai plus de voix que quiconque.
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Video de Carol Emshwiller (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Carol Emshwiller
1 mai 2011 On the occasion of her 90th birthday. Carol talks about her life and work, over 60 years of fiction writing.
Recorded on 4/29/2011 at WORD bookstore in Greenpoint, Brooklyn.
Carol Emshwiller is a legendary science fiction, fantasy, avant garde and mainstream writer. Her official homepage: http://www.sfwa.org/members/emshwiller/ The Carol Emshwiller Project: http://carolemshwillerproject.blogspo...
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