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Critique de nadejda


Ce livre est digne des Mille et une nuits, mille et une nuits condensées en une seule nuit d’insomnie, un périple au long cours où se bousculent les souvenirs de Franz Ritter musicologue, malade, angoissé par la mort peut-être proche, qui revit ses voyages en Orient, ses rencontres multiples, sa passion pour Sarah, femme flamboyante et libre.

Les personnages fictifs se mêlent aux personnages réels pour nous offrir toute la magie de l’Orient, avec ses parfums, sa sensualité et sa beauté, sa cruauté aussi, orient réel ou rêvé.
« Berlioz n'a jamais voyagé en Orient, mais était, depuis ses vingt-cinq ans, fasciné par Les Orientales d'Hugo. Il y aurait donc un Orient second, celui de Goethe ou d'Hugo, qui ne connaissent ni les langues orientales, ni les pays où on les parle, mais s'appuient sur les travaux des orientalistes et voyageurs comme Hammer-Purgstall, et même un Orient troisième, un Tiers-Orient, celui de Berlioz ou de Wagner, qui se nourrit de ces œuvres elles-mêmes indirectes. Le Tiers-Orient, voilà une notion à développer.» p 69

Le lecteur est entrainé, à la suite de Franz Ritter, dans une longue et lente dérive où s’engouffre des écrivains, des poètes, des musiciens, des archéologues, orientalistes parfois espions au service de leurs gouvernement respectifs. Leur point commun, pour la plupart, est d’être fous d’Orient, folie qui prend différentes formes que Franz Ritter tente de classer en cinq parties qui mordent les unes sur les autres :
Les orientalistes amoureux, La caravane des travestis, Gangrène et tuberculose, Portraits d’orientalistes en commandeurs des croyants, L’Encyclopédie des décapités

Orient inspirateur des « Byron, Nerval, Rimbaud, et ceux qui avaient cherché, comme Pessoa à travers Alvaro de Campos, un « Orient à l’orient de l’Orient ».
« Un orient extrême au-delà des flammes de l’Orient moyen, on se prend à penser qu’autrefois l’Empire ottoman était « l’homme malade de l’Europe » : aujourd’hui l’Europe est son propre homme malade, vieilli, un corps abandonné, pendu à son gibet, qui s’observe pourrir en croyant que ‟Paris sera toujours Paris”, dans une trentaine de langues différentes y compris le portugais. ‟L’Europe est un gisant qui repose sur ses coudes”, écrit Fernando Pessoa dans Message, ces oeuvres poétiques complètes sont un oracle, un sombre oracle de la mélancolie. » p 205

Un livre qui fait mesurer l’immensité, la variété et la beauté de ce qui meurt en ce moment sous nos yeux
« …impossible, à Paris en 1999, devant une coupe de champagne, de s’imaginer que la Syrie allait être dévastée par la pire violence, que le souk d’Alep allait brûler, le minaret de la mosquée des Omeyyades s’effondrer, tant d’amis mourir ou être contraints à l’exil ; impossible même aujourd’hui d’imaginer l’ampleur de ces dégâts, l’envergure de cette douleur depuis un appartement viennois confortable et silencieux. » p13 14

Et c’est le coeur serré par tous les liens brisés que l’on lit ce livre fabuleux, en particulier le long passage qui se déroule à Palmyre "la fiancée du désert", où l’on croise un personnage féminin inoubliable, Marga d’Andurain, française qui y tiendra un hôtel qu’elle appellera l’hôtel Zénobie en hommage à la reine du 3ème siècle après Jésus-Christ vaincue par Aurélien.
Ce n’est que l’un des nombreux personnages réels dont « Boussole » donne envie de prolonger la découverte.
L’une de ses grandes richesses est d’être un livre ouvrant, à travers de multiples anecdotes, sur la possibilité d’une infinité d’autres.
Un livre qui explore « cet entre-deux, ce barzakh, le monde entre les mondes où tombent les artistes et les voyageurs » et qui offre une vision de l’Origine et de la Fin.

Mais comme le dit Franz Ritter à la fin de la nuit :
« …il faut tout voir à travers les bésicles de l’espoir, chérir l’autre en soi, le reconnaître, aimer ce chant qui est tous les chants, depuis les Chants de l’aube des trouvères, de Schumann et tous les ghazals de la création, on est toujours surpris par ce qui toujours vient, la réponse du temps, la souffrance, la compassion et la mort ; le jour, qui n’en finit pas de se lever ; l’Orient des lumières, l’Est, la direction de la boussole et de l’Archange empourpré, on est surpris par le marbre du Monde veiné de souffrances et d’amour, au point du jour, allez, il n’y a pas de honte à se laisser aller aux sentiments … et au tiède soleil de l’espérance.
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