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Critique de Charybde2


Un choc littéraire de magnitude élevée...

Publié en 2008, Prix du Livre Inter 2009, ce volumineux roman, le quatrième de son auteur, procure un authentique choc à la lecture.

Dans le train entre Milan et Rome, un Franco-Croate, ancien combattant en Slavonie et en Bosnie, puis agent des services secrets français sur tout le pourtour de la Méditerranée (qu'il appelle « la Zone »), se prépare à changer de vie après avoir négocié la remise au Vatican, contre une forte somme d'argent, des documents secrets qu'il a patiemment collectés, au fil des années, à propos d'un certain nombre de conflits, de massacres et d'affaires dans tous les pays de la région, depuis la Seconde Guerre Mondiale au moins... Durant ces quelques heures de trajet ferroviaire, il se remémore, d'une manière totalement décousue, des instants de sa vie comme des moments d'histoire qu'il a fréquentés, en réalité ou en documentation...

« Nous glisserons ensuite dans la mollesse toscane jusqu'à Florence et enfin dans la même direction jusqu'à Rome, encore près de cinq heures avant la gare de Termini, les églises, le pape et tout le toutim, le Saint-Frusquin romain : bondieuseries et cravates, encensoirs et parapluies, le tout noyé dans les fontaines du Bernin et les automobiles, là où, sur les pavés pourris et le Tibre nauséabond, flottent les Vierges à l'Enfant, les saints Matthieu, les Pietà, les descentes de croix, les mausolées, les colonnes, les carabiniers, les ministres, les empereurs et le bruit d'une ville ressuscitée mille fois, rongée par la gangrène, la beauté et la pluie, qui plus qu'une belle femme évoque un vieil érudit au savoir magnifique qui s'oublie facilement dans son fauteuil, la vie le quitte par tous les moyens, il tremble, tousse, récite les Géorgiques ou une ode d'Horace en se pissant dessus, le centre de Rome se vide de la même façon, plus d'habitants, plus de commerces de bouche, des fringues des fringues et des fringues à en perdre la tête des milliards de chemises des centaines de milliers d'escarpins des millions de cravates d'écharpes assez pour recouvrir Saint-Pierre, pour faire le tour du Colisée, pour tout enfouir sous les nippes à jamais, et laisser chiner les touristes dans cette immense friperie religieuse où brilleraient les regards avides de découvertes, regarde, j'ai trouvé une magnifique église de Borromini sous ce manteau de fourrure, un plafond des frères Carrache derrière cette veste de chasse et dans ces bottes en cuir noir les cornes du Moïse de Michel-Ange... »

Ce monologue intérieur, désordonné, bruissant de mille feux infernaux, de la violence d'une existence et du mélange d'espoir et de désespoir de tout un ensemble de civilisations, sur plus de 500 pages - uniquement entrecoupées des brefs extraits du roman libanais que lit le narrateur, par moments, dans ce train – s'inscrit d'emblée, aux côtés de Joyce, de Woolf, de Faulkner et de Lafferty, dans les monuments de la plus exigeante littérature, celle qui utilise 3 000 ans de culture pour nous parler de notre présent et de notre avenir, en empruntant ces « sentiers qui bifurquent », de Barcelone à Beyrouth, d'Alger à Marseille, de Trieste à Mauthausen, de Vukovar au Caire, de Corfou à Troie, de Jérusalem à Salonique, de Gibraltar à Maïdanek... L'un de mes plus grands chocs littéraires depuis plusieurs années.
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