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sur 233 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
N°994– Novembre 2015

ZONEMathias Enard Actes Sud.

Dans un train qui va de Milan à Rome, Francis Servin Mirković, emporte avec lui une valise pleine de renseignements importants et compromettants sur des trafiquants d'armes et autres criminels de guerre et qu'il compte vendre à un représentant du Vatican. Il les a accumulés au cours de quinze années d'une carrière d'espion dans ce qu'il appelle sa « Zone », en réalité des théâtres de guerre, l'Algérie, le Proche-Orient, les Balkans dans lesquels il a combattu volontairement. Avec cet argent et un nouveau nom, il espère mener une nouvelle vie, abandonnant derrière lui la précédente faite de tortures et de mort avec peut-être l'amour hypothétique d'une femme. Bercé par le roulis des boggies, il laisse son esprit remonter le temps, revisiter sa jeunesse militante aux cotés de l'extrême-droite, fascinée par les idéologies violentes, ses aspirations militaires, son idéal, ses certitudes, ses combats, sa participation au carnage, marchant en cela sur les traces d'un père que les les événements d'Algérie ont transformé jadis en tortionnaire. Entre analepses et digressions, le narrateur revient sur sa vie solitaire et désespérée, encombrée de souvenirs où la violence voisine avec la mort, où les idéaux de liberté et les certitudes religieuses sont rapidement balayés par le goût du sang. Il se souvient de ses trahisons, de ses délations et de sa responsabilité dans la mort d'innocents. Lui reviennent aussi, mêlés à l'histoire et à ses réminiscences mythologiques, les moments dérisoires de son enfance, ses amours calamiteuses, ses pérégrinations imposées par son « métier de l'ombre », les visages grimaçants de haine de ses compagnons d'armes capables de violer, d'égorger, de décapiter, de tuer d'autres hommes en raison de leur religion, de leur nationalité ou de leur couleur de peau, le visage tutélaire du père, le veuvage de sa mère camouflé sous l'hypocrisie des convenances.

Je respecte toujours le travail d'un auteur mais rien ne m'irrite plus que des phrases démesurées parce que mes études et mes lectures m'ont appris à aimer la concision en la matière et peut-être à la pratiquer moi-même. Dès les premiers paragraphes de ce roman de 500 pages, avare de cette ponctuation qui est la respiration du texte, je me préparais donc à connaître ce genre d'étouffement qui généralement me précipite dans l'ennui et l'abandon du livre (J'ai déjà noté dans cette revue cette pratique un peu gênante de l'auteur). Pourtant, j'aime bien l'oeuvre de Mathias Enard pour sa riche érudition, son intérêt documentaire et artistique, pour son style direct et sans fioriture aux accents parfois céliniens, cette chronique en fait foi, et c'est sans doute ce qui m'a fait dépasser ce problème d'architecture littéraire et qui, à mon grand étonnement, m'a fait oublier ce qui d'ordinaire provoque un rejet, gommant un peu cette sensation de suffocation, imposant son rythme propre... [il est vrai que certains passages sont écrits plus classiquement] J'ai retrouvé sous sa plume cette silhouette de l'homme à qui l'on prête hypocritement des qualités dont il est si tragiquement dénué, la figure du père qu'on pare de toutes les vertus dès lors qu'il est décédé, comme si la mort lavait d'un coup toutes ses avanies et trahisons et qu'on chargeait la mémoire de les rédimer. le narrateur note d'ailleurs que l'histoire de l'humanité est davantage jalonnée de guerres, de destructions, d'exactions, d'exterminations que de créations artistiques. A coups de références culturelles et historiques mais aussi d'exemples individuels, il ravive la mémoire collective, rappelle que, depuis la nuit des temps, l'homme, au nom de l'idéologie, d'une volonté de puissance, d'expansion territoriale quand ce n'est pas d'enrichissement personnel, mène des guerres exterminatrices de sa propre espèce, encouragées et bénies par les religions qui ainsi oublient opportunément le message de paix et de tolérance qu'elles sont censées porter. Il ne faut pas oublier non plus cette traditionnelle mais inévitable amnésie qui caractérise cette même espèce humaine, prompte à s'enflammer pour de grandes idées mais aussi capable de se livrer à une destruction systématique de ses semblables mais qui ne résiste pas à l'appât du gain surtout s'il en va de son intérêt, en s'asseyant sur des charniers et en brûlant un cierge à l'hypocrisie.

Ce n'est pas un roman qu'on lit pour tuer le temps, c'est un regard désabusé jeté sur l'humanité, un monologue oppressant dans ses révélations, une confession qui, au rythme de la progression du train, tisse, avec pour toile de fond la vie délétère et solitaire du narrateur, une sorte d'épopée tragique d'un homme qui souhaite tourner la page sur sa vie d'avant et nouer une relation traditionnelle et rangée avec une femme si toutefois il en trouve une.
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A Milan, un homme prend un train direction Rome. Il va retrouver des émissaires du Vatican pour leur donner une mallette chargée d'informations en échange d'une nouvelle identité, d'une nouvelle vie. Qui est cet homme? Que contient sa mallette? Il s'appelle Francis Servain Mirkovic mais son nom importe peu. L'essentiel est qu'il a d'abord été soldat dans l'armée croate engagée en Bosnie avant de travailler pour les services de renseignements français sur toute la Méditerranée, sa Zone. Au fur et à mesure de ses pérégrinations, cet espion a récolté des informations concernant l'histoire de la violence en Méditerranée. Ce qui débuta comme un passe-temps devint pour lui l'occasion de se repentir. Ainsi, durant le long trajet qui le mène à Rome, Francis Servain Mirkovic pense à ses découvertes faites de guerres antiques, de guerres modernes, de villes détruites, de bourreaux, de victimes, de génocides, de décapitations, de meurtres, de suicides et d'Art. Puis, au détour de cette histoire sanglante de la Méditerranée, il se penche sur sa guerre à lui, la Bosnie, dans laquelle il a perdu des amis et son âme. Plus le trajet progresse, plus Rome approche, plus l'homme s'interroge: il a sauvé la mémoire du passé sanglant de la Zone, mais lui, qui va le sauver? Rome? Sans doute. Mais de quelle façon se fera la délivrance? Est-ce la fin ou le début d'une histoire? "Tout est plus difficile à l'âge d'homme".

La première chose qui me vient à l'esprit est: Ouf! J'ai fini ce texte. J'aurais mis plus d'un mois mais j'en suis venue à bout. En effet Zone est un texte enrichissant et qui dit enrichissant dit très riche: en faits, en noms, j'avoue d'ailleurs avoir été un peu perdue parfois. Mais quels savoirs et quel lyrisme malgré la noirceur du récit! Car en plus d'un fond intéressant, Mathias Enard a choisi une forme originale: parce que nos pensées nous arrive en continu, cet homme, Francis Servain Mirkovic nous les livre dans un souffle, sans point. Une longue phrase de 500 pages entrecoupée de chapitres du roman que le narrateur lit sur la guerre au Liban.
Zone est un livre complet dont on sort épuisé, riche de savoirs même si pour ma part certaines parties du texte, notamment la fin, resteront opaques. Mathias Enard a signé un très beau texte sur l'histoire sanglante de la Méditerranée et sur le poids du passé et des souvenirs ainsi que sur la difficulté pour un soldat, un bourreau, une victime de vivre et de survivre avec sa guerre.
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Passé la fausse piste du Roman Picaresque Mathias Enard nous immerge dans un tourbillon géopolitique érudit à rebours d'un demi siécle , dans les ruines de la civilisation occidentale. Ecriture apnéique et distancée à mi chemin du récit somnambulique du Voyage au bout de la Nuit et du compte-rendu rationnel des Bienveillantes Zone offre un troublant écho prémonitoire à la fin de notre monde de certitudes.
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Le temps d'un long trajet en train,toutes les images de guerres, de génocides,de tortures et les souvenirs de ses deux amoureuses se bousculent dans la tête du narrateur, témoin et acteur.
Un ouvrage très dense en dépit des redites,des ondulations de la pensée,
qui ne se lit pas d'une traite mais que j'ai trouvé très intéressant et bien plus accessible que je ne craignais.
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Zone est un roman fort, Mathias ENARD a voulu placé la barre très haut. Tout d'abord par la forme, avec cette phrase unique, qui nous oblige à lire à la vitesse du train, à tel point que lorsque la ponctuation redevient normale au chapitre 4 et 13, il faut un certain temps pour s'en rendre compte, l'absence de transitions entre l'action et la pensée (ex : page 105) nous fait entrer dans les guerres avec le personnage très impliqué dans les atrocités, ensuite la référence à l'Iliade, plus l'énigme de cette mallette que Francis SERVAIN MIRKOVIC doit remettre au VATICAN. le roman nous force à repenser que la méditerranée a été au coeur de tous les conflits. Des passages d'une forte intensité, une attaque des chars est criante de vérité, la récupération du corps d'un homme par sa compagne, et l'enterrement d'un père sont bouleversants, les pages 57, 58, 59 avec les horaires de trains qui mènent vers les guerres sont dramatiques. Heureusement, la présence des femmes apporte un peu de lumière dans ce livre très sombre que la phrase suivante page 405 résume parfaitement, "l'histoire est un conte de bêtes féroces, un livre avec des loups à chaque page". le lecteur ne peut pas rester indifférent d'un tel livre.
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