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Critique de litolff


Endô utilise dans ce roman curieux un fait historique mais assez oublié d'une époque agitée pour le Japon.

En 1613, année où commence le livre, Tokugawa Ieyasu, nouveau souverain du Japon sous le titre de Shogun engage deux stratégies politiques. Sur le plan intérieur, il cherche à unifier le Japon et à centraliser le pouvoir, donc à mettre au pas les seigneurs locaux, les daimyos, en décrétant un remembrement des terres, redistribuant les domaines de ces vassaux et de leurs samouraïs. Par ce jeu, de nombreuses familles de samouraïs modestes, mais néanmoins détenteurs de terres se voient attribué des terres bien plus pauvres ou ingrates que celles qu'ils possédaient auparavant.
Dans le même temps, Ieyasu cherche à doter le Japon d'une capacité maritime, militaire et commerciale, capable de rivaliser avec celles des Occidentaux, en étudiant et en intégrant au pas de charge leurs techniques de construction de grands navires capables de traverser les océans.
Enfin, il est hostile à la tentative d'évangélisation que tentent les missionaires occidentaux. Les Jésuites avaient commencé à prêcher le christianisme au Japon à la fin du XVIème siècle, avec l'accord du souverain de l'époque, et avaient eu un temps le monopole de ce "droit" avant que d'autres ordres, dont les Franciscains, soient à leur tour autorisé à s'y consacrer, en 1600, par une encyclique du Pape Clément VIII. Cette aventure devenait donc aussi une guerre intestine entre les ordres catholiques missionaires, qui, en plus, voulaient empêcher les pays protestants de s'implanter au Japon.
Sur ce fond, Shusakû Endô romance les quatre années du voyage effectué par quatre samouraïs de basse extraction, flanqués chacun de trois serviteurs, et dirigé par un missionaire franciscain dévoré par l'ambition. Voyage qui les mène du Japon jusqu'au Mexique, du Mexique en Espagne et de l'Espagne à Rome.
Ces voyageurs partent avec un groupe de marchands japonais dans le but de tisser des liens commerciaux avec le Mexique. Officiellement, les samourais sont chargés (en échange, espèrent-ils, de la restitution de leurs anciennes terres) de rencontrer les seigneurs espagnols locaux et d'adresser par leur entremise au Pape une lettre du Shogun proposant l'ouverture de relations commerciales entre Japon et Mexique en échange de l'autorisation d'entrée au Japon pour les missionnaires franciscains (et franciscains seulement). Endô fait vite comprendre que les choses ne se passeront pas aussi facilement et que tout cela recouvre des conflits et des manoeuvres politiques autrement plus retorses...

Mais ce n'est pas ce qui intéresse le plus l'auteur, pas plus que le voyage en lui-même. Il n'évoque que rapidement les rebondissements et les péripéties du voyage (tempêtes, attaques par des indiens mexicains révoltés contre les espagnols...) et se concentre sur les questionnements des hommes, en s'attachant à deux personnages principaux: Velasco, le missionnaire exalté et manipulateur, et le samourai le plus modeste, Rokuemon Hasekura, un quasi-paysan très peu loquace, tout le contraire de l'espagnol.

Avec ce roman, Endô réussit à évoquer des images très fortes et à explorer de graves questions sans dévier pourtant d'une écriture très simple.
Il explore ainsi les raisonnements et le mode de pensée particulier qui pousse un prêtre à manipuler les textes chrétiens et ses contemporains pour servir ses ambitions, tout en restant convaincu d'agir pour ce qu'il pense être le bien. Il pose aussi la question de la validité de cette évangélisation : que vaut le baptême d'un Japonais quand celui-ci ne s'y soumet que par intérêt, pour favoriser son commerce ou sa mission, et sans la moindre sincérité ?
Pour le lecteur d'aujourd'hui, la lecture de ce livre rappelle aussi cette relativité du "bien", qui poussait des chrétiens plein d'assurance à vouloir convertir les autres peuples, contre leur gré et fréquemment au mépris de leurs propres cultures et religions. Pour Endô, et sans doute pour le Shogun, les japonais ne pouvaient comprendre l'adoration du Christ, cet "homme laid et émacié", ni le sens du message chrétien, les idées d'un au-delà et d'une rédemption leur étant, d'après l'auteur, totalement incompréhensibles.
Il confronte surtout, avec ces deux héros, deux conceptions radicalement différentes: celle, occidentale, de la foi et du prêche et celle, japonaise, de l'honneur et du devoir. le samouraï Hasekura, torturé à l'idée qu'il devrait se déclarer chrétien pour pouvoir faire progresser sa mission, explique ainsi à l'effigie sculptée d'un crucifix : "je ne peux même pas comprendre pourquoi les étrangers te respectent. Ils disent que tu es mort en portant les péchés de l'humanité, mais je ne trouve pas que notre vie soit plus facile pour autant. [...] Rien n'a changé à cause de ta mort".

Un roman dans lequel Endo, écrivain japonais catholique, exprime ses interrogation sur l'accès du peuple japonais à la parole d'un Dieu qui ne lui ressemble pas.

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