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Critique de Haldir


Ce livre m'a énervé. Profondément énervé. Et encore c'est un euphémisme. Dire que, au fil de ma lecture, l'envie m'a plus d'une fois saisie de noyer des chatons avant de prendre ma carte à l'UMP et d'aller casser du gauchiste avec un pull de la Manif pour Tous, n'est pas exagéré. Ou si peu.

On aperçoit régulièrement sur les étagères des librairies et des bibliothèques nombre d'essais aux titres apocalyptiques. « Société en danger », « Modèle français : la fin est proche », « Maniaco-dépressifs et autres cinglés qui hantent nos vie » j'en passe et des meilleurs. Autant de bouquins écrit par de pseudo experts en manque de visibilité et de couverture médiatique.

« La fabrique du crétin : la mort programmée de l'école » n'échappe pas à la règle. Décryptons quelque peu ce bouquin a succès que nombre de lecteur portent aux nues. (il n'y a qu'à regarder les généreuses notes sur SC et l'ensemble de la Toile pour s'en convaincre)

Le titre tout d'abord. L'école, cette grande institution de la République, ce pilier de notre société qui a formé des dizaines de jeunes talents, vivier d'esprits brillants qui rayonnent sur le monde et apportent aux peuples barbares les connaissances infinies des Lumières et l'esprit de la Révolution, allons enfants de la Patriiiieuh le jour de gloire est arrivééééé.... bref l'école est en danger. Viens à nous Hugo, relèves-toi Jean Moulin tes enfants sont en dangers ! Après avoir été ce modèle de vertu, ce lieu de transmission de valeurs humanistes et cette Mère des enfants de la République, l'école est menacée de toute part. Terminé le temps où de jeunes paysans du fin fond de la Creuse, de la Picardie ou de Dordogne (oui je sais je prends des lieux aux conditions de vie extrêmes) pouvaient joyeusement aller en classe pour apprendre à lire, écrire et compter (avant d'aller crever dans les tranchées mais on ne va pas chipoter là-dessus. Ils sont morts pour la France bon sang ! Et mieux vaut un troufion mort instruit qu'un troufion mort inculte) Tout le monde le sait mais Jean-Paul Brighelli lui l'a mieux comprit que les autres. LUI il SAIT. LUI il est agrégé de lettres. LUI il a fait Normale Sup' et il a enseigné « du collège à l'université » (dixit la quatrième de couverture) Alors c'est pas à lui qu'on va lui mettre à l'envers oh que non ! Comme tous ces « experts » dont nos sociétés on le secret, qui ont un avis (foireux) et des solutions (foireuses) sur tout, JPB va nous donner son avis de sommité et nous démontrer pourquoi LUI a raison et pourquoi les solutions qu'il préconise sont fantastiques pour retourner à un système où l'école produira d'éminents docteurs et non plus des cargaisons de sales chômeurs incultes (donc des-sales-jeunes-qui-en-branlent-pas-une-de-leur-journée-que-moi-de-mon-temps-c'était-différent)

Mais pour appâter le chaland il faut un titre qui foute les pétoches. Mais pas trop non plus hein faudrait pas que les lecteurs se tirent une balle ! Pour faire un bon titre il faut une thématique qui rassemble et un grand méchant sur qui taper. « Ensemble tout devient possible ? » Hum non trop connoté. « La mort programmée de l'école » ? Ah oui ça c'est bon ! Les bobos se sentiront concernés (mais foutront quand même leur marmots dans le privé), les mecs de droite seront d'autant plus convaincu de l'utilité de mettre leurs gosses dans le privé (avec les mômes des bobos) et les amateurs de complot seront aux anges puisque cela les confortera dans l'idée que toute chose à une origine et qu'une entité démoniaque (sionistes, illuminatis, Grand Ordre du Bichon Cosmique, Satan – ajouter un groupe ethnique quelconque ou un pays haïs selon votre convenance e vos croyances personnelles] oeuvre dans l'ombre pour saper tout ce qui est beau et juste en ce monde. Maintenant l'ennemi. « La France au français » ? Eh oh ça va hein ! C'est un livre écrit par un prof pour des gens qui s'intéressent à l'école. Il y a fort à parier que 99 % du lectorat sera de gauche ! Alors les formules pour bouseux avinés ou nostalgiques de la jeunesse de papy on oublie ! « La fabrique du crétin » ? Ah oui c'est bon ça ! Ca fait penser à une usine. L'usine étant le symbole du capitalisme ! Ouais c'est bon ça Robert on va taper sur le capitalisme ! Ca fait toujours vendre. Et qu'importe si c'est fait n'importe comment tant qu'on fait peur avec une menace abstraite, fût-elle à l'origine de bon nombre de problèmes actuels, il y aura toujours des gogos prêt à prendre leur cheval pour se battre contre des moulins plutôt que d'avoir une pensée concrète et structurée. Maintenant que le titre est trouvé, intéressons-nous au contenu.

Comme tout bon livre sur l'école qui se respecte, JPB débute par nous parler des lois Jules Ferry. Ah Jules Ferry ! Cet esprit visionnaire et grandiose ! Ce pourfendeur de cureton, ce Guy Mocquet de la résistance contre l'obscurantisme barbare ! Bah oui c'est vrai quoi on va pas parler d'un livre sur l'école sans citer ce type ! Vous imaginez si ça avait été Adolphe Tiers ? Ou Mac-Mahon ? Ah on me dit dans l'oreillette que Jules Ferry était une grosse raclure colonialiste et l'un des premiers à louer le rôle « bénéfique » de cette dernière. Oui bon ça va on va pas en faire tout un plat non plus hein ! Et puis bon à l'époque qui n'était pas colonialiste ? Bref passons.

JPB nous loue la Grande Ecole Républicaine, celle qui a émancipé tellement de monde etc. Bref le grand blabla habituel des nostalgiques de l'époque béni des Dieux où tout le monde respectait (ou plutôt craignait) l'instituteur et où les élèves bossaient ça oui ma bonne dame !

Si je devais résumer ce bouquin en deux mots ce serait « schizophrène » et « réactionnaire ». Schizophrène car si le constat est globalement juste, les solutions sont d'une bêtise ahurissante et se contredisant en permanence. Selon JPB on serait passé d'une école du savoir à une école uniquement tournée vers l'apprentissage d'un métier. Bingo ! On ne peut qu'être d'accord sur ce point. On se souviendra avec une certaine nostalgie de nos jeunes années sur les bancs de l'école où beaufs et « élèves studieux » (appelés également « lèches-bouboules-casses-couilles-sans-vie-sociale ») hurlaient au scandale dès qu'un prof avait l'outrecuidance de ne pas suivre à la lettre (et tambour battant) le programme sous prétexte que cela allait les handicaper pour passer dans la classe supérieur et donc ralentir leur glorieuse entrée au pôle-emp... sur le marché du travail. L'autre point (et le seul) sur lequel JPB a tout bon est cette volonté de créer des débiles. Car un débile ne pense pas. Il applique bêtement ce qu'on lui demande de faire, ne se demandant pas si ce qu'il fait est juste, utile ou légal (car le droit du travail est une notion toute relative pour certains et pas seulement les « gros » patrons) Là-dessus rien à dire et JPB est dans le juste.

Mais alors qu'est-ce qui ne va pas dans le monde de l'enseignement ? Quelles solutions apporter ? C'est là la pensée réactionnaire de JPB entre en jeu.

Pour info, voilà ce que nous dit Wikipedia de la réaction : « Une réaction désigne la politique prônant et mettant en oeuvre un retour à une situation passée réelle ou fictive, selon le point de vue, révoquant une série de changements sociaux, moraux, économiques et politiques. […] La pensée réactionnaire rejette un présent perçu comme « décadent » et prône un retour vers un passé idéalisé voire considéré comme fictif par leurs opposants. »

« C'était mieux avant » ne cesse de nous répéter JPB (d'ailleurs l'auteur ne s'en cache pas puisque ce dernier nous dit, page 17 « la nostalgie […] est la seule voie sérieuse pour préparer le futur sans renoncer massivement à la culture ») Avant on faisait des dictées ! Ah ma bonne dame c'était bien ça pour l'orthographe des élèves qui passent aujourd'hui leur temps derrière des ordinateurs et des consoles ce qui les rend débiles ! Et puis on n'avait pas de sorties scolaires ! Ah les sorties scolaires, ce mal insidieux de notre belle école républicaine ! Avant on ne sortait pas ! On faisait des math, du français et de l'histoire ET C'EST TOUT ! Pas besoin de distraire les élèves en les emmenant en sorties, spectacles désolant qui vise à transformer l'école en parc d'attraction plutôt qu'en temple dédié au dieu Savoir ! Jusqu'à la fin des années 70 on était 40 par classe ma bonne dame ! Et on bossait ! Oui on bossait ! Mais à cause des hippies soixante-huitards tout a foutu le camp !

Voilà en gros le fond de la pensée de l'auteur. C'était mieux avant. JPB pousse même le bouchon un peu plus loin en nous expliquant par A + B qu'auparavant tout le monde pouvait s'élever dans la hiérarchie sociale ! Oui oui tout le monde. Pour preuve il nous cite Murat, apprenti boucher qui devint maréchal de l'Empire (sorte de boucher mais spécialisé dans l'être humain) ou Camus, né dans un quartier algérien pour arriver « aux sommets de la gloire ». Oui mes enfants JPB nous ouvre les yeux : avant tout le monde pouvait s'élever. Même l'agriculteur picard sus-nommé pouvait devenir docteur ès médecine ! Comment ça ? Qui a osé dire « oui mais bon y'avait que les riches ou quelques rares élus qui pouvaient s'élever » ? Ah ah vil canaille ! Vous aussi vous êtes des partisans de la « modernité », d'infâmes capitalistes qui ne veulent que la mort de l'école !

Car c'est là que le côté schizophrène de JPB prend le dessus. Il veut ouvrir le savoir au plus grand nombre mais dénonce le fait que 80 % d'une classe d'âge accède au bac. Il regrette le manque de mixité sociale mais encense le système scolaire d'antan où cette même mixité n'existait pas. On nage en plein délire.

Pour lui seul le retour à la dictée et aux bonnes vieilles méthodes d'avant suffiraient à remettre le monde éducatif dans le droit chemin.

Cher JPB je te conchie de toutes les fibres de mon âme. Tu sais Jean-Paul, ma grand-mère était fille d'agriculteurs. Elle adorait la lecture et suivait consciencieusement les enseignements que lui prodiguaient son maître d'école (il a été tué en 1940 le pauvre, préférant prendre la place d'un troufion pour aller reconnaître les positions des allemands... true story) Elle a même eu son brevet ! Mais, vois-tu, elle n'a pas pu continuer ses études. Pourtant elle a suivit à la lettre ce que tu préconises ! Vois-tu ma grande-mère venait d'un milieu pauvre. Elle n'a pas eu le droit à une bourse qu'elle aurait mille fois mérité. Une fois son brevet en poche elle a directement intégré les champs et a passé toute une vie à trimer pour une retraite de merde. L'histoire de mon grand-père est similaire. C'était un passionné d'histoire qui aurait pu faire de longues études s'il n'y avait pas eu la guerre (à une époque où tout le monde suivait tes méthodes d'enseignement il est curieux que les gens aient été suffisamment con pour se laisser entraîner dans deux boucheries à l'échelle mondiale et se faire manipuler aussi facilement par des dictateurs) Hélas pour mon grand-père il n'a pas vécu longtemps. C'est ça que de respirer des produits chimiques à longueur de temps. D'ailleurs quand tu parles de « travaux manuels » en regrettant qu'on n'encourage plus les jeunes à aller dans cette voie, permets-moi de te rappeler que ce sont des professions ou l'espérance de vie est bien moindre. Mon grand-père en a fait les frais.

Mais laisses-moi te parler de moi Jean-Paul. J'ai fait mes 9 premières années de scolarité en ZEP. Nous ne faisions que du français et des math. Pas d'histoire, pas de sciences-naturelles et quelques rares sorties. Au programme : dictée, exercices, encore des dictées et encore des exercices. Les professeurs étaient autoritaires et craints. Bref tout ce que tu préconises. Eh bien Jean-Paul je n'ai jamais vu autant de décrochages scolaires, de gens lassés de l'école (à même pas 10 ans faut le faire...) J'avais de la chance, je venais d'une famille plus aisée que celles de mes petits camarades. Mes parents me poussaient à travailler ce qui fait que je récoltais les lauriers de la part de mes profs. Mais ce qui m'a le plus marqué, c'est combien mes camarades cancres étaient humiliés par les profs. Lors des résultats, le prof appelait les bons élèves au tableau. Nous recevions alors un cadeau, un livre ou je ne sais quel objet de peu d'importance. Les derniers de la classe en revanche devaient passer au tableau sous les rires du professeur. C'était soit-disant pour nous donner envie d'apprendre, de prendre en exemple les meilleurs pour progresser et aller de l'avant. Ce système, c'est ton système Jean-Paul. Et je ne le souhaite à personne.

JPB conclu son livre en affirmant que jusqu'à la fin des années 70, l'Education nationale formait des « têtes bien faites et bien pleines » des élites « que le monde s'arrachait » et dont la culture était envie par le monde entier. C'est vrai qu'à une époque où tout était possible avec un bac, où le pays vomissait de la croissance par cartons entiers il est plus facile de prendre le temps de bien former les gens... Mais Jean-Paul, ôtes-moi d'un doute. Quand tu parles de ces fameuses « élites », tu veux bien parler de celles qui nous dirigent depuis 30 ans ? Ces générations qui ont pollué comme des fous furieux (mais qui nous demandent maintenant de faire attention à la planète), qui détiennent tous les leviers de pouvoirs (politiques, économiques, sociaux), qui ont fait main basse sur l'immobilier (et nous louent donc des appartement hors de prix) et qui sont responsables de la situation économique actuelle ? Rassures-moi car j'ai comme l'impression qu'ils ont merdé sur tout la ligne. Pourtant ils ont bien été éduqués, avec tes méthodes ! Se pourrait-il que tu nous aies raconté des salades pendant tout ton bouquin ?

Je le pense très sérieusement.
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