Ile Eniger5/5
2 notes
Le bleu des ronces
Résumé :
Sais-tu ce que je veux ? Que tu cueilles des fleurs, toutes, mais surtout des lilas. Que tu saches faire cela, cueillir toutes les fleurs. Que tu m'inondes de fleurs et de toi.
Je veux toi pour tisane. Le sucre de ta peau, ton goût de tabac d'arbre, le chat de ta gorge enroulé sur mon coeur, le chant de ton coeur déployé sur ma gorge, tes bras ouverts comme une table, tes pas de loup de nuit, ton sol précis sur mes graines de rêves, tes doigts sourciers sur mes glaises de soif, tes mers sur mes escales, tes bois à découvrir, mes rives à t'accueillir. Je veux tes mots revisités de fraises, tes mots rougis incendiés de neige. Je les veux qui enflamment qui touchent et qui m'existent. La sève de tes mains pour redevenir liane, l'arbre le fruit et la racine, le paysage en route, l'aimer à double tour d'où l'on ne sort jamais. Je veux le seringa troublé d'eau et de blanc, l'affolée de parfums de pollens et de miel, cette abeille innocente qui pille les corolles. Et plus que le désir, plus que le ciel à dire, plus que le tout à vivre, encore plus que le trop, je veux l'hiver épris des puissances d'été. Tes mains ouvertes, offertes pour les remplir de moi.
Mes mains ouvertes, offertes pour les remplir de toi. Pour me réinventer, je veux toi pour m'écrire et m'aimer sans boussole. Tes instances de vivre renversées sur mon souffle. Tes mots de pain nouveau accordé à ma faim. Tes yeux pour vêtement. Je veux toi pour tisane. Je veux toi au présent.
C'est un rosier-coquelicot.
Rouge trace de choses, d'hommes et de pollens.
Une grâce troublante, ostensible présence.
Piqûre fulgurante, cette marque sanguine sur la paume du jour, des doigts, des yeux et du soleil,
saigne le paysage.
Le savent-ils ceux-là et même toi qui vas,
combien le temps est court pour naître et flamboyer ?
L'effronté fait son sang sur cette terre pauvre.
Le velours de sa peau invite les caresses.
Sensuel, il effleure le rigide du mur.
"C'est beau tes yeux, j'en ferai un phosphore pour éclairer mes nuits".
C'est un rosier de transversales en verticales,
gifle d'une beauté qui luit d'impertinence.
Un rosier rouge fou, fils de passions occultes.
Fils de rien, que ce cri par hasard échoué à l'angle du grand mur.
Rouge d'avant les pierres, rouge d'avant les murs, rouge d'avant le rouge
Un rosier qui déplie son talent incarnat.
Je vois l'air le toucher et s'en aller comblé.
L'amour a un corps maintenant.
(P24)
Une porte claque. La terre consume. Venise s'enfonce, encore assassinée. Les strates s'accumulent en paysage laid. Une main gratte un peu sur les lignes des pages. Toujours le même livre. Que l'on me donne un lieu où poser ma douleur, un monastère, un champ, la présence des pierres et le simple du juste qui relève l'amour. Qu'on me donne des dalles qui ne s'effritent pas, qui ne s'enfoncent pas. Qu'on ne me parle plus de ces pieuvres des villes, carnages qui puantent les premiers mots du jour. Qu'on me donne des mains qui ne trahissent pas, qui ne mensongent pas. Qu'on l'entende ce chant que répète le vent, la parole des arbres. Qu'on me montre l'espace où les hommes se taisent. Et que les jouissifs déformés et gluants, vautrés sur leurs chéquiers en forme de décombres, le coeur dans la culotte et le poing sur la table, aillent vomir ailleurs leurs profits, et se pendent. Qu'on me donne le pain, un carré d'herbe et d'eau, un rire qui étonne, je la ferai la joie.
T'en souvient-il ce qui des mains aux lèvres, comme un matin tardif dans la chambre d'avril, faisait l'envie de nous plus forte que raison? T'en souvient-il, l'arbre du lit, témoin de frondaisons si hautes, et les veines du large qui nous gardaient du vent, et ce bitume gris de lanterne avortée, qui passait, repassait aux carreaux des fenêtres? Envieuse, la rue faisait claquer ses pas dans les bruits de la pluie. Nous marchions sur un fil du coté de l'urgence. Dans les draps mélangés, une respiration faisait chose commune. Le temps qui s'enfuyait comme du vin de grappe et ce goût sur la langue précipité d'ivresse, t'en souvient-il? Une absolue beauté regardait ses enfants incendier la neige.
C'est un jardin de cotonnade blanche, un amandier à l'autel de l'hiver. Miette de mésange aux nappes des nuages, elle écrit tout, dit tout. Rangées de phrases qui font des vagues sur sa mer. C'est une fille d'eau, de graines d'arbres, de gestes de patiences. Une maison de route qui place le portail au beau milieu d'ailleurs. La chaleur de ses mains apaise les douleurs. Sur la rouille des fils, dans les points de clarté, elle touche la joie et ramène la braise. Elle a des yeux de louve qui profondent la nuit. Et le crépitement qui enflamme l'instant, c'est sa robe qui tombe.
Le texte
"Je veux toi pour tisane. Le sucre de ta peau, ton goût de tabac d'arbre, le chat de ta gorge enroulé sur mon cœur, le chant de ton cœur déployé sur ma gorge, tes bras ouverts comme une table, tes pas de loup de nuit, ton sol précis sur mes graines de rêves, tes doigts sourciers sur mes glaises de soif, tes mers sur mes escales, tes bois à découvrir, mes rives à t'accueillir. Je veux tes mots revisités de fraises, tes mots rougis incendiés de neige. Je les veux qui enflamment qui touchent et qui m'existent. La sève de tes mains pour redevenir liane, l'arbre le fruit et la racine, le paysage en route, l'aimer à double tour d'où l'on ne sort jamais. Je veux le seringa troublé d'eau et de blanc, l'affolée de parfums de pollens et de miel, cette abeille innocente qui pille les corolles. Et plus que le désir, plus que le ciel à dire, plus que le tout à vivre, encore plus que le trop, je veux l'hiver épris des puissances d'été. Tes mains ouvertes, offertes pour les remplir de moi.
Mes mains ouvertes, offertes pour les remplir de toi. Pour me réinventer, je veux toi pour m'écrire et m'aimer sans boussole. Tes instances de vivre renversées sur mon souffle. Tes mots de pain nouveau accordé à ma faim. Tes yeux pour vêtement. Je veux toi pour tisane. Je veux toi au présent."
Extrait - Ile Eniger - Le bleu des ronces
Éditions Chemins de Plume
yrendunn
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