Après avoir interrogé son rapport aux bibliothèques dans « D'une bibliothèque à l'autre », dans son dernier opus, paru en 2015 en Turquie et cette année en France, avec les photos de
Luc Baptiste,
Enis Batur s'interroge sur le rapport de l'auteur avec son lecteur. Paraphrasant
Italo Calvino, son livre débute ainsi :
« Si par un matin d'hiver un voyageur monté au bref arrêt du train dans une gare de campagne d'un pays lointain vient s'asseoir sur le siège inoccupé en face de toi puis sort de sa sacoche et se met à lire un livre que tu as écrit bien des années auparavant, ne soit pas surpris : cette scène, un auteur l'avait déjà imaginée pour toi. »
L'écrivain à qui arrive cette mésaventure reste un mystère :
Enis Batur le traite comme un autre que lui-même,, il lui parle, met en exergue leurs différences. le voyageur reste aussi une énigme : il prend différents visages, et au final sa silhouette reste floue. C'est en quelque sorte le Lecteur, générique et mystérieux, que l'auteur imagine, fantasme. Comme le lecteur peut rêver, imaginer, fantasmer l'Auteur. Et ce qui complexifie les choses, c'est que l'Auteur est aussi Lecteur à ses heures, et qu'il pourrait d'une manière interchangeable, être des deux côtés du wagon, des deux côtés du livre.
Alors que faire dans cette situation ? Se présenter ? Aborder le Lecteur l'air de rien, pour le connaître, et comprendre son rapport au livre ? Ne rien faire ? Y-a-t-il une bonne attitude ? Quel est ce lien mystérieux qui se tisse entre celui qui écrit, qui donne à lire, et celui qui va lire, ce lien qui existe même si les deux ne se rencontrent jamais, ne savent rien l'un de l'autre en dehors du livre qui les réunit ?
C'est à la fois drôle, plein d'esprit, et bien plus essentiel que l'aspect ludique apparent pourrait le laisser penser.