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Critique de Presence


Ce tome contient la première moitié d'une histoire complète indépendante de toute autre. Il regroupe les épisodes 1 à 5 (sur 10) de la minisérie, initialement parus en 2015/2016, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Mark dos Santos, avec une mise en couleurs réalisée par Andrew Elder (épisodes 1 à 3), puis Salvatore Aiala (épisodes 4 à 10). Les couvertures ont été réalisées par Russ Braun. Ce commentaire porte sur l'intégralité (10 épisodes du récit).

À New York, Marcy est une jeune femme qui compose des chansons, mais ne peut qu'interpréter des chansons connues (donc pas les siennes) dans le bar où elle se produit. Valerie est une autre jeune femme qui a un lapin d'appartement qu'elle a baptisé Mister Fluffy. En rentrant chez elle, elle câline Mister Fluffy et écoute les messages sur son répondeur. le premier est de sa mère qui lui donne des nouvelles de la famille, le second est d'un pervers qui débite des obscénités tout en se paluchant et en faisant des bruits suggestifs. Il ne faut pas longtemps à Valerie pour comprendre que ce pervers doit se trouver à proximité et en tendant l'oreille pour saisir les bruits de fond du message, elle comprend qu'il habite dans l'appartement en face de la rue, juste au-dessus de la pizzéria. Elle n'hésite pas un seul un instant : elle se saisit de sa batte de baseball, et traverse la rue pour rendre visite à ce voisin voyeur. Elle défonce sa porte et découvre un individu avec un pistolet dont le canon fume encore, qui vient de descendre ledit voisin. Dans le bar où va se produire Marcy, 4 potes sont attablés, en train de papoter en descendant des bières. Il s'agit de Marv, Jev, Chip et Mike. Ce dernier (un afro-américain) vient d'arriver et il leur explique comment il s'est retrouvé face à un barbecue du Ku Klux Klan, organisé dans le jardin des parents de Jessica à qui il donne des cours particuliers de mathématiques.

Pendant ce temps-là, Valerie est en train de s'envoyer en l'air avec Myles, le distingué gentleman britannique qui a abattu le pervers, dans le salon avec le cadavre. Marcy a fini d'interpréter quelques chansons dans l'indifférence générale, sauf pour les applaudissements de Penny (la femme de Marv) qui vient d'arriver et avec qui elle se met à discuter. Peu de temps auparavant, Penny a surpris Marv en train de regarder une vidéo à caractère pornographique impliquant la masturbation d'un cheval par une femme. Dave (un acteur avec une belle gueule) arrive pour s'installer à table avec les 4 amis. Après les avoir quittés, il se présente à l'acteur Huck Yeager qu'il vient de reconnaître attablé dans un autre bar. le lendemain, Penny accepte quand même d'accompagner Marv pour un dîner avec Jev (le fana des applis sur portable) qui leur présente sa nouvelle amie Beverly. Marv ne peut pas s'empêcher de la reluquer pendant tout le repas, ce qui a le don d'énerver au plus haut point Penny.

Garth Ennis est un scénariste chevronné connu pour ses récits d'action noirs au possible (par exemple Punishr MAX), ses récits de guerre (par exemple l'excellente série Battlefields) ou ses histoires parodiques sur les superhéros (comme The Boys). Il lui arrive parfois d'écrire des histoires totalement inattendues comme Dastardly & Muttley sur des personnages en provenance du dessin animé Les fous du volant. le présent tome s'inscrit dans ces histoires inattendues : une comédie romantique, à la sauce Ennis. Ce n'est pas la première fois que ce scénariste met en scène des relations amoureuses, le développement de la relation entre Annie et Wee Hughie étant particulièrement réussie dans la série The Boys. Ici il s'agit bien d'une comédie, dans laquelle il injecte un humour noir. le lecteur assiste donc à un assassinat de sang froid avec une balle tirée à bout portant, un afro-américain faisant irruption par mégarde dans une réunion du Ku Klux Klan, une chanson interprétée par un groupe coldwave de 3 gugusses grimés en Arnold Schwarzenegger, une fellation sur un individu tellement obèse qu'il faut 2 femmes pour soulever les replis de son ventre, un bel apollon se rendant compte qu'il prend plaisir à une fellation effectué par un homme, un individu grièvement blessé dont une jambe est happée et déchiquetée par le mécanisme d'un escalator, etc. Ces séquences d'humour noir, cynique et transgressif attestent sans nul doute possible qu'il s'agit d'un comics de Garth Ennis, à réserver à des lecteurs avertis. Sous réserve de ne pas être allergique à cet humour provocateur et parfois potache, le lecteur apprécie cet humour énorme et alerte.

Garth Ennis ne se limite pas à développer des histoires d'amour entrecroisées, parsemées de gags grotesques et irrévérencieux. Il raconte également une histoire construite sur la base de 2 intrigues entrecroisées. Marv, Jev, Mike et Chip sont entrés en possession d'un stock important d'héroïne qu'ils ont décidé de revendre au caïd local, un dénommé Mister Monsta, obèse, afro-américain et à l'abri de la police, grâce à un accord bénéfique aux 2 parties. Dans le même temps, il s'avère que Myles (l'assassin du voisin pervers de Valerie Halla) a contracté une dette auprès du même Mister Monsta et qu'il doit l'honorer sous peine de la mise à mort d'une mère de famille et de son fils. le lecteur se laisse prendre au suspense de ces 2 fils narratifs, donnant lieu à des situation de plus en plus délirantes pour ces 4 pieds nickelés qui ne sont pas du tout à la hauteur pour faire face à un gang bien organisé, et à des scènes d'action un peu loufoques en ce qui concerne Myles & Valerie. Ennis mène à bien ces 2 intrigues entremêlées jusqu'à un dénouement en bonne et due forme. Dans le même temps, le lecteur assiste à la manière dont les relations affectives et amoureuses évoluent entre les différents personnages. le dessinateur a donc fort à faire pour réaliser des pages qui amalgament ces 3 composantes (intrigue + romance + humour) de manière harmonieuse. Pour ce faire, Mark dos Santos réalise des dessins avec un degré de simplification similaire à celui d'un dessin animé pour la jeunesse. Les contours sont réalisés avec un trait de largeur constante, et une exagération dans l'expression des visages, dans la simplification des morphologies et dans l'entrain des personnages. Les bâtiments sont dessinés de manière épurée, sans pour autant que les décors ne disparaissent des pages durant.

Lorsque la scène le justifie, l'artiste peut représenter plus de détails : l'ameublement du bar, l'aménagement de l'appartement de Valerie, le jardin des parents de Jessica, le bureau de travail à la maison de Marv, le grand magasin dans lequel travaille Marv, etc. Dos Santos a conçu une apparence spécifique pour chaque personnage en apposant une touche de caricature discrète, plus pour les hommes que pour les femmes. Les méchants s'apparentent plus à des caricatures : Mister Monsta et sa surcharge pondérale ainsi que sa stature de géant, Gustav et son accoutrement gothique pour un nazi sur le retour, les afro-américains du gang se comportant comme des Gangstas. Les groupes qui se succèdent sur la scène du bar valent le détour, ainsi que les parodies de films d'action dans lesquels a joué Huck Yeager. le dessinateur s'amuse bien pendant les quelques scènes d'action, jouant également sur le registre de la parodie et de la comédie de situation en exagérant les expressions des visages, en particulier la peur des 4 gugusses. Au fil des pages, le lecteur se rend compte que Garth Ennis a essentiellement écrit une comédie de situation, reposant sur les dialogues de manière significative. Mark dos Santos se révèle être un excellent metteur en scène, évitant l'effet d'acteurs en train de dialoguer sur une scène de théâtre ou autour d'une table, pour montrer ce qu'ils font, comment ils se déplacent et interagissent avec les éléments des décors, comment ils passent d'un endroit à un autre. La narration visuelle ne donne jamais l'impression d'une comédie de situation bon marché pour la télévision, produite au kilomètre. le casting est varié et adapté et la direction d'acteurs permet de faire s'exprimer les états d'esprit des uns et des autres avec justesse.

Pour cette comédie dramatique, Garth Ennis a donc pris le pari de mélanger intrigue à suspense, avec quelques scènes d'action, humour de type farce et sentiments amoureux. Dans ce dernier registre, il montre des couples qui se font et qui se défont, des individus avec des défauts, des personnes qui doutent et d'autres qui ne sont pas capables d'assez d'empathie pour se rendre compte des sentiments des autres. L'auteur n'est pas dans la moquerie et la raillerie, et il met en scène des situations reflétant la diversité des relations avec une réelle ouverture d'esprit, sans exploitation de la plastique féminine, sans militantisme racoleur. Dans sa narration, l'humour neutralise une partie du premier degré des sentiments exprimés, ainsi que de la souffrance émotionnelle de la plupart des personnages. du coup, la comédie dramatique perd beaucoup en intensité, et en subtilité, l'humour prenant souvent le dessus.

Disposant d'une latitude presque totale pour ses projets, Garth Ennis s'est lancé dans une comédie dramatique en dehors de sa zone de confort d'auteur. Il fait preuve d'ambition et d'implication en mêlant humour à la Ennis, une vraie intrigue et des relations sentimentales. Il bénéficie de la mise en images de Mark dos Santos qui sait faire coexister de manière organique ces différentes composantes. le lecteur apprécie le suspense de l'intrigue, tout en ressentant qu'il ne s'agit pas là de l'intérêt principal du récit. Il apprécie les situations scabreuses et provocatrices énormes dont le scénariste à le secret, même si leur force se trouve parfois diminuée par une narration plus bon enfant. Il regarde la valse des sentiments, ressentant de l'empathie pour 2 ou 3 personnages, bien que l'humour vienne parfois prendre le dessus. 4 étoiles pour un récit très consistant, mais un peu tiraillé dans différentes directions.
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