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Critique de Presence


Ce tome regroupe les 10 épisodes écrits par Garth Ennis et illustrés par Jacen Burrows, parus de juillet 2008 à février 2010.

Un homme arrive dans un petit restaurant d'une ville de campagne anonyme. Il tient dans sa main une colonne vertébrale ensanglantée ; un rictus étrange déforme son visage. Il s'approche du cuistot et lui déchire le nez avec les dents. La serveuse fracasse la cafetière contre son crâne. Dehors une voiture prend feu, le conducteur brûle à l'intérieur. Sur le trottoir un homme en poignarde un autre. La fin de la civilisation a commencé, la centrale nucléaire proche explose en produisant le champion atomique familier. Un groupe de 6 survivants et un enfant se crée : leur objectif est de survivre et de gagner le Canada en espérant que les zombies ne supporteront pas les conditions climatiques. Sur leur route, ils vont croiser d'autres groupes peu nombreux et être témoins de la désolation et de la destruction généralisée. Malheureusement pour eux, un groupe de zombies plus futés que les autres les repère et les suit pendant plusieurs semaines à plus ou moins grande distance.

Quand Garth Ennis s'attaque aux zombies, le lecteur est en droit de s'attendre à un récit énorme, gore à souhait et écoeurant. Effectivement, il a choisi de faire des zombies l'incarnation de tous les pêchés de l'humanité. La première apparition donne le coup d'envoi pour une surenchère de gore et d'actes contre-nature qui nécessitent d'avoir le coeur bien accroché. L'un des zombies qui suit le groupe de survivants se promène avec un pénis de cheval dont il se sert comme d'un gourdin. Rien ne sera épargné au lecteur, qu'il s'agisse d'actes de cannibalisme ou de relations sexuelles malsaines et non consenties. Toutefois au fil des épisodes, les scènes de violence s'espacent, même si elles ne perdent rien en intensité.

Comme souvent dans ce genre pointu des zombies, l'histoire ne donne pas d'explications quant à l'apparition de l'épidémie. Les survivants se livrent à des conjectures qui permettent d'établir que le virus se propage par contact de fluides corporels tels que le sang. le principe est donc de confronter des individus normaux ou presque à la contrainte d'une adaptation accélérée pour survivre. de ce coté, Ennis ne laisse pas planer de doute : le maximum que ses personnages puissent espérer, c'est de survivre jusqu'au jour suivant. Chacun est confronté à des choix qui remettent en question leurs valeurs morales, leurs convictions, etc. Il y a quelques moments énormes, comme la confession que fait Geoff, l'un des survivants aux autres membres du groupe, sur son mode de vie précédent.

Les illustrations sont réalisées par Jacen Burrows, le dessinateur attitré d'Avatar Press, la maison d'édition. Il n'utilise qu'une seule épaisseur de trait, toujours très fine pour délimiter tous les contours. Ce choix graphique présente un avantage : une lisibilité immédiate de tous les dessins. Il n'y a jamais de risque de surcharge visuelle, quel que soit le nombre d'éléments ou de personnages à représenter. Il y a deux inconvénients : seul le placement des personnages ou des objets dans la case permet d'établir une échelle d'importance, et les ombrages reposent exclusivement sur la mise en couleurs.

Ce dessinateur ne rechigne devant aucune représentation. Il illustre chaque élément exigé par le scénario avec application et détachement. Je dois reconnaître que dans ce cas précis le résultat est parfois insoutenable. Ces représentations presque cliniques ne laissent pas de place à l'imagination, mais pas de possibilité non plus de fermer les yeux ou de détourner le regard. Chaque zombie est marqué par des plaques de rougeur sur le visage qui forment une croix (d'où leur appellation de "crossed"). Lorsque la tripaille est mise à l'air, il est impossible de l'ignorer ou de s'illusionner sur ce qui est représenté. Lorsque les zombies perpètrent leurs actes de cruauté, il est impossible de faire semblant de ne pas comprendre. Cette crudité visuelle est sans pitié pour le lecteur, sans complaisance pour la barbarie.

Burrows a soigné l'apparence de chaque survivant et de chaque zombie qui dispose chacun de leurs spécificités propres (enfin pour les zombies, pas si propre que ça). On pourra juste regretter que tous les personnages ont un profil filiforme de personne en bonne santé. Cette particularité physique renforce le défaut majeur du scénario : la distance qui existe entre les personnages et le lecteur. Ennis se contente de traits de caractère assez génériques sans plonger dans la psychologie de chacun des personnages. du coup les remises en cause de l'échelle morale, du système de valeurs de chacun perd beaucoup de pertinence. Dans la mesure où ces individus ont organisé leur existence autour de valeurs qui échappent au lecteur, l'effondrement de leur cadre de référence perd de son impact, de sa force.

Alors que l'histoire commence très fort en termes de cruauté, de sadisme, d'urgence et de survie à tout prix, les péripéties successives s'affadissent au fur et à mesure. le tout reste très perturbant et abjecte, avec une étape pour chaque point de passage obligatoire dans ce type de récit : Qui a le droit de survivre ? Quel est le coût de la survie du groupe ? Quelles limites je dois dépasser pour assurer ma survie individuelle ? Que deviennent le sens de la vie et la valeur de la vie quand la seule occupation est la survie ? Ennis développe un point de vue très bien construit pour cette dernière question. Mais il manque un sentiment d'empathie pour les personnages du fait de leur absence de développement psychologique.
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