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Critique de Presence


Ce tome fait suite à D'une guerre à l'autre (episode 1 à 6). Il contient les épisodes 7 à 13, initialement parus en 2013, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Goran Parlov, mis en couleurs par Lee Loughridge. Ces 2 tomes forment une histoire complète déconnectée de la continuité, lisible sans connaissance préalable sur le personnage.

Épisodes 7 à 9 - En 1970, le sénateur McCuskey facilite l'envoi en mission de Nick Fury au Vietnam. Sa mission est d'éliminer Letrong Giap, un chef des Viêt-Cong. Fury a obtenu que son contact radio soit assuré par George Hatherly dont la femme attend son cinquième enfant. L'armée a mis à sa disposition un tireur d'élite du nom de Frank Castle. Ils doivent parcourir plusieurs kilomètres dans la jungle pour rejoindre le campement de la cible.

Épisodes 10 à 12 - En 1984, McCuskey envoie Nick Fury en mission d'enquête au Nicaragua, dans un camp de base proche du Honduras. le sénat commence à s'interroger sur le mode réel de financement des opérations de la CIA dans cette région. Il se rend sur place en compagnie d'Hatherly, pour essayer de comprendre comment fonctionne le personnel de cette base qui comporte un grand black au large sourire, surnommé Barracuda. L'épisode 13 constitue un épilogue apportant une conclusion aux relations entre les principaux personnages.

Comme annoncé dans le premier épisode, Garth Ennis poursuit et termine son récit consacré à Nick Fury en l'envoyant sur 2 autres terrains de conflit pendant lesquels la CIA a réalisé des opérations clandestines pour le compte du gouvernement des États-Unis. Dans d'autres oeuvres, Ennis a clairement affiché sa position concernant les conflits armées : des soldats qui souffrent et meurent au cours d'opération plus ou moins bien pensées, sous les ordres de chefs plus ou moins compétents, avec du matériel plus ou moins fiable, et des profiteurs à tous les niveaux à commencer par les politiques et les industriels. Ce récit est le deuxième qu'il écrit pour jeter un regard critique sur une autre forme de conflit armé : les opérations clandestines. Il avait utilisé le personnage du Shadow (Le feu de la création) pour une incursion en territoire chinois en 1938. Ici il utilise le personnage de Nick Fury pour montrer l'évolution de ce type d'opérations au fil de 4 conflits différents, présentés par ordre chronologique. Comme pour le tome précédent, il vaut mieux disposer d'une connaissance minimale de ces conflits avant la lecture. En 3 épisodes par conflit, Garth Ennis n'a pas le temps de donner une leçon d'histoire, il raconte une opération du début jusqu'à la fin et montre quelques spécificités dudit conflit.

Du début à la fin, le personnage principal reste Nick Fury, avec comme personnages secondaires George Hatherly, Shirley DeFabio et Pug McCuskey. le personnage de Frank Castle au Vietnam n'écrase pas celui de Nick Fury. Les lecteurs de la série "Punisher MAX" écrite par Garth Ennis auront le plaisir de regarder Frank Castle avant les événements de Born, donc avant qu'il ne se fasse appeler le Punisher. C'est assez émouvant de revoir ce personnage écrit par Ennis, mais il reste bien au second plan. Barracuda est un personnage créé par Garth Ennis et apparu pour la première fois dans la série "Punisher MAX" (au tome 6, Barracuda) qui a bénéficié de sa propre minisérie Barracuda MAX, toujours écrite par Garth Ennis. Pour le coup il bénéficie de plus de place que Castle, mais il n'a pas encore sa personnalité si joviale ; il reste lui aussi au second plan, mais moins effacé que Castle. Ennis insère un petit clin d'oeil aux épisodes du Punisher MAX, avec l'utilisation d'une mine antipersonnel de type M18A1 Claymore, et sa terrible inscription "Front toward enemy".

Le coeur du récit reste donc le motif de l'existence de ces opérations clandestines. Nick Fury apparaît comme un soldat opérationnel ayant développé une forme de dépendance à ces actions de terrain. Ce n'est pas seulement son métier, c'est aussi ce qui lui procure du plaisir, ce qui justifie son existence et ce qui la rend intéressante, sa raison d'être. Fury est un homme de métier, expert en son domaine, tirant satisfaction de ce travail. Sa physiologie lui permet d'être toujours en bonne santé et capable d'opérations de terrain en 1984. Il est l'incarnation du professionnel compétent, aimant son travail. Bien sûr Ennis montre le prix à payer pour un individu effectuant un travail comme celui là. Sans recourir à la psychologie, Ennis montre comment la vie de Fury est façonnée par son métier, ses compétences (donner la mort) et ce qu'il vit, ce qu'il voit sur les champs de bataille. Il ne s'agit en aucun cas d'une apologie du baroudeur, ou d'une défense des opérations militaires.

En fait Ennis se montre particulièrement retors en travaillant pour un éditeur américain, en utilisant un personnage décoré comme héros de la seconde guerre mondiale et lui faisant mettre le nez dans des opérations peu glorieuses. Durant ces 2 missions, Nick Fury découvre 2 opérations hors de tout contrôle et pourtant cautionnées par la CIA et par des représentants élus du peuple. Il énonce la morale du récit en indiquant qu'un pouvoir sans contrepouvoir est la porte ouverte à tous les abus (et le scandale des Contras est pas mal dans le genre). le lecteur retrouve également un autre thème cher à Ennis : la propension du capitalisme à faire dégénérer les organismes et les systèmes. La recherche du profit comme seul objectif conduit à toutes les exactions. le capitalisme sans conscience sonnera le glas de l'humanité. Les qualités exceptionnelles de narrateur d'Ennis font que ce récit reste une aventure avec une solide intrigue, sans jamais donner l'impression de lire un prêche moralisateur, ou une leçon d'éthique.

Cette réussite doit beaucoup à Goran Parlov, un récit aussi ambitieux et sophistiqué a besoin d'un dessinateur aguerri pour ressembler à quelque chose. Parlov ne joue pas sur la séduction des images, il ne cherche pas à faire joli. Il adopte une mise en page régulière de 3 ou 4 cases de la largeur de la page, sagement empilées en colonne. Cette mise en page "grand angle" soutient l'aspect "action" lors des opérations de terrain. Sans donner dans le grand spectacle, le lecteur peut apprécier l'environnement de chaque intervention, se projeter dans cet endroit. Cette mise en page perd parfois de son sens lors de dialogue en intérieur (dans la maison de McCuskey), avec seulement le dessin d'une tête en train de parler au milieu de la case vierge d'arrière plan. Mais ces occurrences constituent des exceptions, peu gênantes du fait de leur faible nombre. Généralement Parlov profite de toute la largeur de la case pour donner des informations visuelles, c'est-à-dire qu'il ne se contente pas d'une silhouette dessinée au milieu. Il a adopté un rendu qui peu sembler un peu esquissé, mais l'examen de chaque dessin montre au contraire qu'il s'agit de compositions savamment dosées. L'approche de Parlov n'est pas caser le plus possible de détails, mais plutôt de doser les informations en fonction de la séquence. Ainsi quand Castle et Fury sont détenus prisonniers dans une cellule creusée dans la terre, Parlov ne s'attarde pas à rendre la texture de la terre, les cailloux, etc. Quelques traits tremblés rendent compte du volume, et c'est tout. Par contre dans le salon de la demeure de McCuskey, il prend le temps de dessiner un ameublement spécifique et réaliste, pour rendre compte du confort luxueux.

Il applique le même principe aux visages des personnages, entre un rendu brut et simplifié, ou des traits plus détaillés et burinés. Cette façon de dessiner ne limite en rien l'expressivité des visages, ou la gamme des émotions montrées. Il sait donner à chaque personnage une apparence spécifique, du visage fermé et jeune de Castle, au visage ridé et amer de Fury, en passant par l'inénarrable Barracuda. Il s'agit du seul personnage pour lequel Ennis et Parlov s'autorisent à introduire un peu d'humour énorme. Parlov se lâche un peu quand il le montre prêt à jouer de la tronçonneuse, et Ennis lui accorde quelques dialogues bien sentis, ainsi qu'un usage peu conventionnel de son sexe (un moment "Ennis" incroyable). Il subsiste quelques scènes de dialogues dont la mise en scène s'avère peu inventive.

Avec cette deuxième partie, Ennis confirme qu'il a su maîtriser les spécificités du récit d'opération clandestine, sans rien sacrifier ni à l'action, ni aux thèmes qu'il souhaite développer. La CIA n'en ressort pas grandie, quelques représentants du gouvernement des États-Unis encore moins. Goran Parlov est un illustrateur talentueux qui met tout son savoir faire au service du récit, pour un résultat viscéral, haletant, crédible et passionnant.
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