Ce tome fait suite à La charge de la brigade légère (épisodes 60 à 65). Il contient les épisodes 66 à 72 parus en 2012, c'est le dernier tome de cette série qui avait débutée en 2006. Tous les scénarios sont de
Garth Ennis, les épisodes 66 à 71 sont dessinés par
Russ Braun, l'épisode 72 est dessiné par
Darick Robertson, aidé par Richard P. Clark.
Il est temps pour les membres de The Boys de prendre un peu de vacances bien méritées et de réfléchir à la suite. Il est temps pour les dirigeants de Vought American de prendre un peu de recul et de réfléchir à la suite. Il est temps pour le gouvernement des États-Unis de réfléchir à la place des
superhéros dans la société américaine. Il est temps pour tout le monde de faire le point et de régler les derniers "petits détails".
Au lancement de la série (6 ans avant cette fin),
Garth Ennis avait annoncé son intention de faire plus fort que Preacher en termes de provocation, mais aussi des autres thèmes abordés dans cette précédente série. Il est temps pour le lecteur de faire le point sur 72 épisodes et 3 miniséries de 6 épisodes chacune ("Hérogasme", "Bienvenue chez le p'tit" et "Le fils du boulanger"), soit 90 épisodes au total. "The Boys" a commencé comme un manifeste contre les
superhéros, à la fois trash, provocateur, n'hésitant pas à traîner dans la boue tous les
superhéros par le biais de comportements déviants outrés (en termes de violence et de pulsions sexuelles).
Garth Ennis y a été franco, sans toutefois atteindre le niveau de haine viscérale de
Pat Mills avec Marshal Law. Puis, comme dans tout bon roman, les personnages ont acquis au fil des pages une consistance qui leur a permis d'exister en tant qu'individus, de devenir intéressant pour eux-mêmes, passant au premier plan devant l'intrigue. le lecteur connaissant l'oeuvre d'Ennis a retrouvé plusieurs de ses thèmes de prédilection tels que l'amitié masculine, l'abus de pouvoir, l'absurdité existentielle des combats pendant les guerres, le besoin pour les personnages principaux de donner un sens à leur vie.
De tome en tome, il est apparu de nouveaux thèmes qu'Ennis a explorés à sa manière. Utilisées au départ comme un ressort comique noir et provocateur, les pulsions sexuelles ont créé une forme de dépendance chez certains personnages, incapables de surmonter cette addiction, avec le profond dégoût de soi qui l'accompagne. Ennis a introduit Hughie Campbell comme le petit nouveau dans l'équipe de The Boys, travaillant sous les ordres d'un chef charismatique, manipulateur, sachant où il veut aller. Là encore, Ennis a développé petit à petit le thème de l'obéissance, de l'acceptation des ordres. Il l'a fait avec sophistication en présentant Billy Butcher comme le héros de l'histoire, l'individu aux actions nobles, travaillant à l'amélioration de la société, avec à nouveau un bonne couche d'humour pour présenter ses travers uniquement comme des blagues potaches et brutales, une forme d'humour sur lequel Ennis a bâti sa réputation. Derrière ce dispositif, Ennis sonde la relation de confiance de fait qui existe entre chaque être humain. Dans une société, l'individu se conduit selon une norme sociale, en estimant que tous les autres autour de lui en feront autant. Or chaque individu a ses motivations propres, ses idiosyncrasies. Ennis a également développé ce thème délicat par le biais de l'évolution de la relation entre Hughie et Annie January, là encore en dépassant les stéréotypes pour une approche complexe de la relation de couple, de la confiance entre les amoureux.
Enfin il a donné son opinion sur le capitalisme sauvage, la recherche du profit à tout prix. Par l'entremise d'une série d'action avec
superhéros et ultra-violence, dans le contexte de 2 conspirations imbriquées, Ennis a exposé les conséquences matérielles pour chaque individu des décisions prises par quelques uns à la recherche du profit avant tout (l'exemple des armes de mauvaises qualité était horrifiant, celui des avions de ligne était confondant). Ennis aborde cette thématique en mettant en évidence le défaut basique du capitalisme (la recherche du profit) sans se lancer dans une analyse économique, ou une dénonciation basique de l'écart des salaires entre travailleurs pauvres et patrons avec parachute doré. Il aborde la question sous l'angle de la responsabilité des décideurs, ce qui complète le thème de l'usage du pouvoir. Dans ce dernier tome, ces thèmes sont abordés une dernière fois de manière frontale ou discrète pour leur apporter une forme de conclusion. Contrairement à la fin de Preacher (Alamo), le lecteur a le sentiment qu'Ennis aurait pu en dire encore un peu plus.
Ce dernier tome comprend plusieurs scènes d'action avec des moments énormes comme seul Ennis sait en créer. Il comprend également de copieuses discussions afin que tous les personnages puissent mettre les choses à plats, vider leur sac, et expliquer quelques entourloupes passées. Il revient à
Russ Braun d'illustrer les 6 premiers épisodes. Ce dessinateur est arrivé à un niveau de qualité satisfaisant. Ses dessins ont gagné en finesse d'expressivité des visages, en tangibilité des décors, en pertinence du langage corporel. le lecteur vient à regretter que tous les épisodes n'aient pas bénéficié de ce niveau de qualité visuel. Ce n'est pas que le graphisme de Braun ait acquis une personnalité marquée ajoutant un niveau de signification au scénario, c'est qu'il transcrit avec nuance les éléments du scénario. Il est bien complété par la mise en couleurs de Tony Aviña, substantielle à souhait.
Darick Robertson revient pour le dernier épisode : il est certainement plus doué que Braun, pour les expressions des visages et les silhouettes des personnages. Mais le fait est qu'il n'aura pas dessiné tous les épisodes et qu'il aura travaillé un peu vite sur certains, aux dépends des décors et parfois de la mise en scène. Il reste ses couvertures toujours peaufinées et souvent d'un niveau de satire irrésistible avec une bonne couche de sarcasme (j'ai encore celles de la minisérie Hérogasme en tête). Celle concoctée pour l'épisode 72 est à nouveau d'une méchanceté à la pertinence exceptionnelle. Pour les 6 autres épisodes, il réalise un portrait de chaque membre de The Boys, plus The Legend (sauf pour celle de l'épisode 71 où là encore la couverture ajoute un degré de raillerie et d'horreur supplémentaire, complémentant ainsi le récit).
"The Boys" est la série d'un auteur dont la virilité des personnages, leur cruauté, et leur violence s'expriment de manière directe, brutale et parfois humoristique. C'est aussi une série où l'auteur aborde des thèmes importants à ses yeux avec un vrai point de vue et une finesse qu'on ne trouve que dans la littérature. C'est une série qui a bénéficié d'une conception graphique sophistiquée réalisée par
Darick Robertson, d'une série de couvertures qui remplissaient 2 fonctions (attirer le lecteur avec une image choc, et compléter une scène du récit). Elle aura souffert d'une construction narrative parfois submergée par les scènes d'exposition sous forme de dialogues longs et artificiels, et de dessinateurs pas toujours raccord avec l'ambiance de la série. Au final, il s'agit d'un voyage exceptionnel malgré ses défauts.