Par curiosité, je suis revenue en arrière dans une progression de lecture, et j'ai emprunté à la médiathèque la première partie de "Quand la nuit s'approche" (qui m'a dernièrement captivée), avant que nos quatre amis ne soient frappés par l'attentat terroriste et la prise d'otages...
la musique est le fil omniprésent de la vie de quatre amis, qui se débattent comme tout un chacun, avec les difficultés de la vie...Ils se retrouvent
pour jouer ensemble... Cette complicité musicale est le ciment de leur amitié...
"Comment a-t-on fait pour se désintéresser autant de la musique ? Elle-même ne peut se passer de musique "classique". Si elle ne pouvait pas pratiquer, elle serait perdue, c'est sûr. Dans sa tête, il y a toujours un thème ou une ligne d'accords, même quand elle est au travail. Les mots la fatiguent, la musique lui apporte le repos." (p. 19)
Nous faisons connaissance , en premier, avec le vieux professeur de musique de Caroline, vivant dans une grande solitude, depuis l'arrêt de ses leçons de musique et le décès de sa femme. Caroline, son élève préférée, devenue médecin généraliste, continue à lui
rendre visite, à s'exercer
avec lui. La musique est devenue doublement un refuge... depuis qu'elle a perdu ses deux fils dans un accident de car scolaire...Musique qu'elle exerce avec deux amis ainsi que son mari,Jochem, luthier
de profession...
Hugo qui se débat avec un bâtiment de la ville où il était responsable des concerts et des festivals musicaux...se retrouve licencié, les subventions
devenant "peau de chagrin"...la culture, et la musique devenant "fantomatiques", secondaires, car non rentables !!!
Heleen, infirmière, qui travaille au même centre médical que Caroline, altruiste jusqu'au-boutiste, en plus de son métier, de sa famille, des répétitions musicales, correspond avec des prisonniers ! [ ce qui
provoquera un événement ultérieur bouleversant... je n'en dirai pas plus ! ]
"On se comprenait tous les quatre sans avoir besoin de parler. C'est bête, mais je me suis sentie entourée, intégrée, soutenue. Et je n'avais pas honte. Peut-être parce qu'on était nous aussi en train de jouer, d'apporter quelque chose à l'ensemble ? Dans ce cas, on a moins de raisons de se sentir nuls. "
(...) Ce n'est jamais bien , pense-t-il. Ni quand on parle, ni quand on se tait. Mais après tout, c'est comme ça dans la vie, on ne fait vraiment jamais bien. "(p. 157)
Dans cet opus, hormis le cordon directeur de la musique...deux autres grands thèmes sont abondamment traités: le grand âge et l'épreuve du deuil, vécue et supportée de façon unique, pour chaque individu... Ce qui sous-entend parallèlement, le regard et le déni fréquemment de la société face à la vieillesse comme face à la mort, et aux personnes endeuillées qui dérangent !!
"
Les autres font de leur mieux pour nous aider. ça ne sert à rien de se fâcher. C'est juste que j'ai du mal à supporter toutes ces conneries sur le deuil, ça me donne l'impression qu'il faut se dépêcher, comme si c'était juste un boulot qu'il fallait avoir terminé au bout d'un certain temps. Mais ça ne marche pas comme ça." (p. 191)
Un jeune garçon, Djamil, va aider le vieux professeur de musique, lui faire ses courses, l'aider dans son quotidien; en échange il lui donnera des leçons de musique... et malgré son refus de se faire payer, le professeur lui fera une "cagnotte" ... Cette affection grandissante entre le vieux musicien célèbre et l' adolescent est l'une des très belles lumières d'espérance de ce roman...
Cette auteure semble très concernée par les deuils violents qui tombent sur les personnes; Comment survivre, surmonter le chagrin, la culpabilité ? La solitude extrême de chacun [mais en étant en couple ] face au deuil, l'épreuve du temps et du vieillissement !
De bien nombreuses thématiques jalonnent le roman d'
Anna Enquist, englobant l'individu et son degré variable d'adaptation à la société dans laquelle il évolue, et le monde alentour ! Les agressions, la violence, l'insécurité grandissante, généralisée, la corruption des gouvernants, le mépris pour la Culture, la musique, les Arts, le Mal, le délaissement de nos "anciens "!...
En quelques mots... Comment faire face au dur métier de vivre ?
Excellent moment de lecture... je m'immerge avec enthousiasme dans le monde d'
Anna Enquist... Il faut juste choisir la bonne période pour la lire, c'est--à-dire, une période où se sent "vaillant"... Car les sujets traités, analysés en profondeur restent des sujets graves , perturbants, nous interpellant de plein fouet...!!!