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EAN : 9782070242269
464 pages
Gallimard (22/02/1983)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Œuvre d'un sociologue, cet ouvrage, foisonnant d'idées, élabore, en prenant appui sur les textes sociologiques de Freud, une analyse des formes du pouvoir dans les sociétés modernes.
Car on trouve dans la pensée psychanalytique de quoi comprendre le paradoxe de la servitude volontaire pourquoi les hommes qui se veulent libres et désirent être heureux s'en remettent-ils à des tyrans, chefs ou Etats, au point que la démocratie apparaît comme une idée toujours n... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
[Attention, c'est long]

« Nous tuerons d'abord tous les subversifs, ensuite ceux qui collaborent avec eux ; ensuite les sympathisants ; ensuite les indifférents et, en fin de compte, les timides ». C'est ce qu'a dit un jour le général Alfredo Saint-Jean, membre de la junte argentine, lors de la grande répression de 1976-1977. Certes. Et pourquoi ne se demande-t-on pas plus souvent si tous les mecs qui parviennent au pouvoir ne sont pas, en fait, les plus grands malades mentaux d'entre nous ?

Sigmund Freud n'est peut-être pas le premier à avoir émis cette hypothèse mais en tout cas, il a écrit à ce sujet un bouquin dont on parle encore. Je veux parler du « Malaise dans la culture ». Souvenez-vous, Freud coupait court à tous nos rêves de progrès infini et nous faisait tomber de nos étoiles en carton-pâte en nous disant qu'il n'y a plus de réconciliation possible à l'horizon mais qu'on y voit par contre se profiler la possibilité de la fin de l'espèce humaine, anéantie par le processus civilisateur. Messieurs les hommes civilisés s'enorgueillissent des bienfaits qu'ils croient avoir apporté à l'humanité. Papa Freud leur crache dessus. L'essence de la civilisation, c'est la tendance à la massification, à la répétition, à l'homogénéité, à la destruction, toutes choses s'opposant aux désirs simplets de bonheur et d'amour auxquels aspire l'individu.

C'est bien là le mystère. Comment se fait-il qu'on construise des systèmes collectifs totalitaires et destructeurs alors que chacun aspire personnellement à vivre dans un monde fait de camaraderie et de cajoleries infinies ? L'être humain n'est pourtant pas si con et, sauf exceptions locales, il parvient parfois à reconnaître l'oppression et affirme avoir le courage d'y résister. Pourtant, à l'échelle globale, nous devons avouer que l'obéissance semble plus facile que la résistance, la servitude ayant même été déclarée « volontaire » par ce sacré Etienne de la Boétie.

Eugène Enriquez a oeuvré un temps dans l'activisme politique, au coeur des affaires qui font vaciller le monde, et puis il s'est rendu compte que ça ne serait pas possible pour lui de jouer au diplomate et de se laisser entraîner par des processus dont il voyait trop les tenants et les aboutissants. Alors il s'est retiré de la scène pour devenir observateur, continuant l'oeuvre psychosociologique entamée par Freud. On imagine trop souvent que la psychanalyse relève d'une pratique autistique entre un charlatan qui ne pense qu'au fric et un pigeon sans ami, obligé de payer quelqu'un pour raconter ses problèmes et recevoir une écoute. Peut-être. Mais la psychanalyse, c'est aussi une discipline transspécifique qui s'occupe de la psychologie collective. N'allez pas croire que les représentants politiques ignorent cet aspect. S'ils réussissent à vous entuber malgré le contenu famélique de leur programme politique, ce n'est pas seulement parce qu'ils vous gavent de messages subliminaux dans les clips youtube qui rythment votre vie ; c'est aussi parce qu'ils se renseignent sur les mécanismes de psychologie collective qui vous endoctrineront tranquillement depuis chez vous. En clair, la psychanalyse va permettre de comprendre plusieurs choses :
- L'être humain étant un être pulsionnel et social, son existence passe obligatoirement par la reconnaissance d'autrui. L'étude de la nature du lien social est donc fondamentale.
- Les structures n'existent pas en soi. Leur signification résulte toujours d'une construction humaine non-arbitraire dont il convient de retrouver l'origine.
- le collectif et l'individuel se répondent. Tout symptôme de souffrance individuelle traduit la marque imposée par le social et par la société dans laquelle l'individu s'exprime.
- Depuis la découverte de la puissance de l'inconscient, on ne peut plus parler sérieusement de la rationalité des comportements dans la société. Nous devons plutôt considérer que la raison est issue d'une germination prenant sa source dans l'inconscient. Et cela change pas mal de choses sur les prétentions que se traîne derrière lui l'homme civilisé moderne.
- de même, la notion de refoulement nous amène à faire preuve de prudence. On sait que le refoulé ne reste jamais bien longtemps dans les limbes. Vient toujours un moment où la tension excédant les capacités de résistance, il fuse vers le réel pour renverser toutes nos fragiles constructions. On ne doit jamais se foutre de la gueule du refoulé, c'est lui qui peut à tout instant dissoudre la société.

Plus généralement, la psychanalyse, malgré des dérives que l'on doit imputer au souci du profit et du nivellement par le bas, vise avant tout à libérer l'homme de ses entraves inconscientes. Il faudrait arriver à faire naître le surhomme que chacun porte en nous, mais pas de ce surhomme qui se ballade tout seul sur le sommet de sa montagne en parlant à son aigle, celui plutôt qui a senti qu'il risquerait de se consumer lui-même s'il ne redescendait pas de sa montagne pour retrouver ses semblables. Eternelle question de la communauté. Voilà où nous en sommes. Essayons d'aller plus loin maintenant.

La première partie de l'ouvrage offre une analyse critique des textes fondateurs de l'aspect psychosociologique de l'oeuvre de Freud. Allons-y pour un tour de manège :
- « Totem et tabou ». On connaît l'histoire : les frères se liguent contre le père tout-puissant, ils le tuent, et là ils se retrouvent comme des cons, remplis de culpabilité, incapables en fait d'investir le pouvoir qu'ils ont cru désirer. Hop, ni une ni deux, les frères subliment et transforment leur culpabilité en fraternité. Début du contrat social. Avec ça, Freud montre plein de choses, par exemple l'impossibilité de libérer l'individu par l'assomption de sa sexualité génitale, la persistance inconsciente du désir de meurtre, l'origine criminelle de la religion, le caractère fondamental du narcissisme dans la création des processus sociaux, la nécessité d'une victime émissaire pour la constitution et la solidification du groupe. C'est le moment aussi où le langage devient l'instrument du pouvoir car seul le chef en a la maîtrise. On pressent ici qu'une telle conclusion nous conduit directement à l'émergence de la religion monothéiste avec son culte du Verbe. « le passage de la force à la civilisation, c'est le passage d'un monde régi par la puissance à un monde gouverné par la névrose. »
- « Psychologie des foules et analyse du moi ». Avec ça, Freud fonde la psychologie sociale en prenant en compte les comportements réels et la réalité phantasmatique qui raccroche l'individu à la foule dans laquelle il est inclus. Comment peut-on expliquer qu'un individu puisse admettre l'obéissance à un mec quelconque, simplement parce que celui-ci se présente comme chef ? On se croit libre et autonome, on s'engouffre en fait toujours dans les mêmes pièges. Souvenez-vous, la dernière fois que vous avez cédé, vous n'étiez qu'un enfant et vous obéissiez à vos parents parce que vous attendiez d'eux un amour puissant et valorisant. Ce sont pour les mêmes raisons que vous vous soumettez au pouvoir. Avec ce bouquin, Freud mine les rapports sociaux factices, démystifie les idéologies et rend au rapport sexuel sa charge dramatique.
- « L'avenir d'une illusion ». Preuve par le texte que jamais l'être humain ne pourra se passer des illusions. Regardez voir ce brave Freud, il essaie de nous montrer que le développement et l'avenir de notre civilisation se fait sur des mirages et pour cela, il utilise lui-même le mythe de la science, et il en chiale des paquets de larmes salées qui l'aideront peut-être à se noyer, parce qu'il ne reste plus grand-chose d'autre à faire après ça. Vous trouvez que ce n'est pas bien grave, vous, d'admettre que toutes nos plus belles créations reposent sur des illusions ? Allez donc lui clapoter le dos à Freud, mais n'oubliez pas ce qu'en dit Roger Caillois : « Ce qui déprécie l'illusion […] c'est […] qu'elle aliène dans une symbolique préétablie et commune le jeu libre et créatif de l'illusion ». Et quand on ne s'en rend pas compte, c'est tout droit vers l'aliénation qu'on court. Mais si on s'en libère, voilà le monde chaotique des origines qui nous dévore. Je vous ai dit, ce problème-là semble n'admettre aucune solution.
- « Malaise dans la civilisation ». Oeuvre placée sous le signe de la tragédie. Excusez du peu, mais voilà le programme : plus de réconciliation possible, triomphe probable de la pulsion de mort, tendance inéluctable à la massification. Où on apprend qu'on meurt tous les jours et qu'on ne le sait même pas. « La vie sociale permet et même favorise des conduites asociales (le meurtre) à la condition qu'elles se présentent de façon suffisamment travestie (l'exploitation) pour pouvoir être acceptables ». Posez-moi une gerbe de fleurs sur mon lit chaque matin où je me lève trop tôt pour aller travailler (heureusement, cela fait bien longtemps).
- « Moïse et le monothéisme ». Freud va bientôt crever, il est temps de résumer. Ici, Freud se confronte enfin au problème de la naissance des religions monothéistes. Tout juif qu'il est, on ne peut pas dire que cette question ne le concerne que de loin et à titre de stimulant intellectuel. Sans doute n'avait-il pas osé aborder le problème plus tôt parce qu'en général, on leur dit toujours « bon, toi, ta gueule » aux juifs. Avec ça, Freud réfléchit au rôle du grand homme, au problème du renoncement aux instincts, au retour du refoulé et aux raisons de l'antisémitisme. Comment Dieu (ici causant à travers Moïse) se choisit-il un peuple ? Peut-être bien en le draguant, en lui promettant d'être le seul peuple porteur de la vérité –le peuple d'élection ! et ça marche, les hommes accourent comme des chiens. Ensuite, en butant Moïse, les hommes ont permis le rappel du père et le triomphe du droit paternel.
- « Considérations actuelles sur la guerre et la mort ». Ne vous fiez pas au titre, le bouquin a presque un siècle. Freud, épris des paradoxes les plus bandants, se demande en quoi la guerre et la mort sont liées substantiellement à la vie et au lien social. Les individus en société sont obligés de refouler leurs pulsions, c'est légitime ou c'est arbitraire ? L'Etat a-t-il le droit de nous faire mariner longuement à petit feu dans son assiette remplie de vinaigre ? Freud a le pressentiment terrible que les normes imposées par la vie en société, en réprimant le spontané chez l'individu, vont définitivement détruire la seule chose qu'il peut y avoir d'intéressant chez l'être humain. Ah oui, on a oublié de parler de la guerre alors que c'est un peu le thème du bouquin. Eh bien voilà, pour Freud, la guerre c'est le retour de la mort qu'on avait voulu envoyer se faire foutre chez le diable. Pensez à toutes ces autres choses qu'on refoule : la violence, la haine, la différence, le sexe déchaîné de Sade dans le boudoir… un jour, tout cela reviendra vous laminer et vous ne vous en relèverez pas.

Voilà pour la petite rétrospective des oeuvres de Freud. Vous pouvez relire les bouquins si vous aimez le style de fonctionnaire de Freud mais sinon, tout est déjà contenu et développé dans l'analyse d'Eugène. Et nous passons donc à la deuxième partie. A partir de la problématique freudienne, Eugène expose ici sa théorie du lien social analysé comme lien classificatoire ouvrant sur la réciprocité et la reconnaissance de l'altérité, instaurant aussi des mécanismes de séparation et de pouvoir sur des groupes sociaux.

Par exemple, parlons de la meuf. On considère généralement qu'elle est dominée. D'une certaine façon, c'est vrai. Mais à l'origine, c'est parce qu'elle fait flipper tout le monde, aussi bien homme que femme. Souvenez-vous, vous êtes issu des tripes d'une femme, elle vous a nourri et si elle le pouvait, elle aimerait vous couver éternellement et vous empêcher de naître à la vie réelle. La femme est donc un élément de l'asociabilité. Elle n'en a rien à foutre des projets ambitieux, de la culture, des réformes politiques et des clubs de billard. La femme menace l'ordre social en énonçant le primat de la jouissance sur la réalité des mots. Pour se défendre, les hommes ont transformé la femme en objet d'échange sexuel. Ainsi ont-ils pu avoir leur société industrieuse, solidaire et sans passion. Ils l'ont aussi foutue au travail pour l'épuiser et la rendre inoffensive, sans capacité d'absorption. On peut penser ce qu'on veut de ces théories, notons simplement qu'elles ont toutes été imaginées par des mecs et qu'elles ne traduisent sans doute rien de plus qu'un fantasme. Malheureusement, dans la réalité, les femmes ne sont pas ce bel être total que les hommes croient craindre et désirer.

Ensuite, parlons du rapport entre les aînés et les jeunes. Il est bien acquis que le jeune doit être soumis au vieux, voire bizuté avant d'entrer dans le monde des grands. Qu'est-ce que cela cache ? Sans doute que si l'adulte forme incontestablement l'enfant, on cherche à se cacher cette autre réalité non moins incontestable : l'enfant permet à l'adulte d'exister en tant qu'individu chargé par la collectivité de former et de transformer l'infravivant (l'enfant) en être social. Et l'adulte, c'est bien connu, n'aime pas dire merci. L'enfant non plus, d'ailleurs.

Sortons des catégories humaines et parlons du rapport de l'homme à la nature. D‘abord participation, ensuite arraisonnement, classification, petites listes, tout ça bien joli dans un livre des comptes pour savoir de quoi on parle et pour faire disparaître la peur de l'inconnu. C'est bien pratique, on a ainsi soumis la nature à l'homme par le biais de l'arraisonnement et le truc génial, c'est qu'on peut étendre ce procédé à l'être humain. Ainsi donc s'ouvre la brèche qui conduit à l'exploitation de l'homme par l'homme à l'intérieur de la communauté jusqu'à l'explosion de notre technocratie actuelle. « En arraisonnant la nature, l'homme passe du règne de la qualité au règne de la quantité, de la production indispensable à la création de « besoins infinis », du travail comme occupation au travail comme obligation pour un certain nombre. Moins l'homme est lié à la nature, plus il domestiquera les autres hommes. »

Enfin, parlons du rapport de l'homme à l'ordre cosmologique, dans ses relations au sacré et au profane. Il semblerait que dans les sociétés primitives, l'homme ait connu des relations plutôt harmonieuses avec la nature. du jour au lendemain, il décide de la soumettre pour y déverser ses torrents de canalisations de sorties de chiotte. Pourquoi ? A cause de la religion monothéiste. Religion de l'immanence, elle favorise la libération des énergies pulsionnelles nécessaires à la construction sur terre d'un royaume paradisiaque. Or, nous savons que la nature participait au sacré dans les religions polythéistes. Maintenant qu'elle est réduite en charpie et qu'on l'a virée de la catégorie du vénérable, dans quel genre de monde nous sommes-nous admis à vivre ? Tout est devenu profane. Les seuls interdits qui règnent encore sont ceux nécessaires au fonctionnement social. On fait exister un sacré qui n'est en fait qu'un respect poli et qui nous oblige à ravaler nos crachats les plus glaireux.

Joli constat. Bravo. Ça aurait pu être pire. Ça ressemble à un pacte signé avec le diable. Quelles sont les conséquences du passage des sociétés régies par le mythe à une société où l'historicité est reine et l'économie prépondérante ? Nous pouvons résumer cela en trois étapes :
- Apparition du monothéisme chrétien permettant d'entériner le message de domination de l'homme sur la terre. Les rapports de l'homme à la nature, puis de l'homme à l'homme, doivent passer du règne de la qualité au règne de la quantité. Au début, l'économie sert à instaurer des rapports d'échange justes. Face aux dérives des privilèges, Martin Luther demande de revenir aux fondements du message chrétien. A sa suite se ramène Jean Calvin qui, croyant prolonger l'oeuvre de son prédécesseur, subvertit complètement son message économique. Racontant qu'on ne connaît pas la volonté de Dieu, mais qu'on peut savoir s'il nous aime un peu ou pas du tout en fonction de la réussite qu'il accorde à notre travail, Calvin pousse chacun à se mettre au boulot forcené pour savoir si dieu le kiffe un peu ou pas du tout. L'argent gagné ne devra pas être dépensé, ce serait jouissance. Il faut l'épargner, et nourrir le grand capital.
- Révolution française. Fin de la société d'Ancien Régime. Beaucoup s'en réjouissent. Eugène Enriquez nous rappelle quand même que cette révolution sert surtout à libérer le capital. En abolissant la société des ordres, on étend le domaine de la lutte économique à toutes les classes sociales. Chacun peut désormais être équitablement roué de coups par les dictats du dieu Capital. Egalité, mon cul. Egalité de tous dans la lutte, oui. On remplace un système de domination par un autre, les anciens défavorisés ne le sont peut-être plus mais de nouvelles victimes les ont remplacées. La démocratie, c'est le nom qu'on donne à cette nouvelle lutte interminable pour le pouvoir entre frères décrétés égaux.
- Instauration de l'Etat. Comme il n'est pas possible de légitimer ouvertement le crime et l'exploitation qui parcourt souterrainement les fondements de la démocratie, l'instance de l'Etat apparaît pour contenir et régler la violence. Souvenez-vous de Max Weber qui disait que l'Etat détient le monopole de la violence légitime. Voilà quel genre de mamelle frelaté a nourri la structure étatique.
- Extension de la rationalité à tous les étages. On se souvient, ça avait dérapé salement avec Calvin, même si ça avait déjà commencé depuis le règne du monothéisme. Arraisonnement de la nature, puis mise en question de la réflexion philosophique et sociale, puis déplacement du champ d'application de la
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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thèse soutenue en 1982, l'auteur est professeur à Paris IX Dauphine.
soutien au cours de sociologie en fac de sciences économiques année 1983-1984 (c'est grâce à ce bouquin que j'ai ouvert Georges Bataille et Piera Aulagnier notamment).
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Citations et extraits (101) Voir plus Ajouter une citation
L’analyse de Totem et tabou avait déjà montré la nécessité de la victime émissaire pour la constitution et la solidification du groupe. Freud souligne maintenant la possibilité pour tout groupe de se créer un nouveau corps d’ennemis en mettant hors groupe ce qui était auparavant en groupe jusqu’au moment où, soit la société s’est totalement détruite elle-même (ne subsiste plus que l’Egocrate tel qu’il a été décrit par Soljénitsyne et Cl. Lefort), soit elle continue à avoir besoin de s’inventer de nouveaux ennemis à l’extérieur, que ceux-ci constituent une menace réelle ou non.
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Les femmes ne sont pas comme les paroles ; les femmes sont l’occasion de l’échange des paroles. Les femmes peuvent être considérées comme étant, par certains aspects, à l’origine du langage des hommes. […]
La femme est […] l’objet non social autour duquel doivent s’organiser les préoccupations humaines pour que la vie sociale soit possible et pourvue de sens. S’il n’y avait pas de femmes, les hommes n’auraient rien à se dire.
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[Le Juif] a montré qu’il était possible de créer un monde gouverné par la raison, tout en laissant à la croyance un domaine précis d’exercice mais qui ne doit, en aucun cas, s’étendre. En acceptant de payer cet impôt, le peuple juif gagnait sur trois tableaux : donnant sa part à l’illusion religieuse, il empêchait toute autre forme d’illusion de se développer ; se vouant à une religion abstraite, il pouvait y trouver le point d’ancrage de sa volonté rationnelle et y puiser de nouvelles capacités au questionnement infini ; enfin, il pouvait tenter d’appliquer ses lumières à comprendre le sacré qui le fondait et à l’astreindre également à son obsession interprétative.
Il a ainsi énoncé que liberté et raison n’étaient pas des valeurs antagonistes, que servir Dieu n’amenait pas à l’hébétude et à la contrition, et qu’il n’était pas indispensable de revenir à l’ancienne complicité de l’homme et de la nature pour vivre pleinement sa vie terrestre tout en attendant la venue du Messie.
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Il n’est pas question de nier les tentatives nombreuses qui ont jalonné l’histoire des entreprises comme l’histoire des peuples de gouvernement par les intéressés eux‐mêmes, décidant des orientations, prenant collectivement les décisions, aptes à susciter enthousiasme, capables d’accepter ou même de désirer un mode de rémunération égalitaire, de procéder à une rotation des fonctions ou des mandats exécutifs. Ces tentatives ont eu lieu et elles ont souvent, par leur réussite temporaire, alimenté l’espoir d’une société qui se penserait fraternelle et qui parviendrait à l’être.
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Lorsque, après avoir dominé les femmes et les jeunes, les hommes se sont donné comme projet de soumettre la nature, et de se soumettre à un seul Dieu, ils ont institué un nouvel « imaginaire social », de nouvelles représentations de leur raison de vivre et de mourir, et que celles-ci, dans leur logique, conduisent à soumettre le dernier maillon qui manque à la chaîne : l’homme-semblable, celui qui vit sur la même terre, parle la même langue, partage les mêmes croyances, jusqu’au jour probable où les dominants, pris dans cet effort, se trouveront eux-mêmes ligotés par ce qu’ils ont accompli et où ils ne pourront se sortir de cet enchaînement qu’en faisant disparaître de la surface de la terre toute trace de vie […].
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