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Notre part de nuit est de mes lectures les plus marquantes et stimulantes de ces dernières années. Autant dire que je piste toute nouvelle publication de Mariana Ebriquez. Les dangers de fumer au lit vient d'être traduit en France mais ce recueil d'histoires courtes est paru en Argentine en 2009. Et ce qui est incroyable, c'est la cohérence entre les deux oeuvres.

Les douze contes horrifiques sont enracinés dans le quotidien, le terrifiant s'y infiltre au détour d'une phrase qui claque comme une matérialisation implacable et menaçante de nos névroses contemporaines. Chacun raconte la violence de nos sociétés capitalistes et patriarcales, innervée par celle du passé et notamment de la dictature qui a sévi en Argentine de 1976 à 1983, enlèvements, tortures, assassinats.

Les phrases de Mariana Enriquez ont une capacité dingue à générer de la métaphores, comme une manière d'opérer une catharsis tout en se distrayant avec la langue de la littérature horrifique et l'humour très sombre qui l'accompagne. La réalité est abordée sans anesthésie ni artifice avec une liberté absolue qui fait fi des tabous et pudeurs.

Une nouvelle fois, son talent à mélanger littérature engagée et réalisme magique latino-américain explose avec un naturel extraordinaire, parvenant mettre dans la tête du lecteur quelque chose d'impossible qu'il s'imagine pouvoir arriver, jusqu'à l'horreur la plus brute, la plus lubrique.

Toutes les histoires tirent un fil vénéneux qui explorent les abimes les plus retranchés de l'âme humaine jusqu'à la folie totale. Remplies d'hystérie collective, de malédictions, d'apparitions spectrales, de sorcières, de revenants, elles mettent en scène de très jeunes femmes, enfants, adolescentes, qui peuvent aussi bien subir la violence que la provoquer en tant comme protagonistes inquiétantes.

Parmi les douze, trois m'ont particulièrement impressionnée ( sans trop en dévoiler ):
- L'Exhumation d'Angelita : l'histoire d'une fillette fantôme enterrée dans un jardin qui pleure lorsqu'il pleut et revient hanter la petite-fille de sa soeur, comme écho aux charniers encore cachés hérités de la dictature de Videla.
- Les petits revenants : des centaines d'enfants disparus depuis des années réapparaissent tous en même temps mais sans que leur apparence n'est changé, comme une vengeance pour dire aux adultes qu'ils n'ont pas pris soin d'eux.
- Où es-tu mon coeur : menée par une jeune narratrice fétichiste des coeurs malades qui se masturbe frénétiquement en écoutant des battements cardiaques défaillants.

Convoquant aussi bien la poésie noire que l'horrifique le plus terrifiant, Mariana Enriquez créent durablement des images aussi puissantes que dérangeantes qui s'infiltrent viscéralement sous notre peau. La fulgurance de l'impact est renforcée par la brièveté des histoires ( une cinquantaine de pages pour la plus longue, une dizaine pour beaucoup ) et la volonté de ne pas leur donner d'élucidation, juste un point d'orgue perforant. Une expérience de lecture fascinante de radicalité.

PS : géniale idée que d'avoir exhumer une oeuvre peu connue de van Gogh ( Crâne de squelette fumant une cigarette ) pour la mettre en couverture !

Lu dans le cadre d'une Masse critique privilégiée
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Une auteure totalement inconnue, je peux vous dire que je vais m'empresser de lire "Notre par de nuit" " Les danger de fumer au lit "est un recueil de 12 nouvelles, qui décapent. Je suis totalement hors de ma zone de confort, mais la je suis régalée. Je m'épate moi même. Des histoires glauques, terrifiantes, dérangeantes, un univers malsain, d'une extrême noirceur. Un mélange de nouvelles , où le surnaturelles, les fantômes, des corps en putréfactions ,d'autres sont plus soutenables, mais toujours un coté malsain formant un cocktail explosif .La jalousie de certains personnages, les poussent, à l'enévitable,. L'auteure ne tergiverse dans les descriptions au delà de l'impensable, des scènes d'abus sexuelles, des violences en tout genre, sont brut de pomme. Une nouvelle, m'a mis vraiment mal, a l'aise, des jeunes filles, où leur idole est décédé, profane sa tombe et se délecte de son corps.
L'auteure nous plonge dans les méandres de la folie sans un point de retour.
A travers ce recueil Marina, passe un message, sur le passé des son pays ,l'Argentine, notamment sur le système politique, la dictature, et les atrocités en tout genre et le problème des narcotrafiquants.
Ces nouvelles , nous font avancer, dans un monde oppressant, suffocant, terrifiant .
Un roman à découvrir.
Ce recueil de ces
nouvelles est destiné un public averti.
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Gothique de la pampa urbaine.
Moi qui pensais que l'Ecosse avait le monopole des fantômes les amerloques l'exclusivité des zombies, le Mexique le cartel des squelettes en fête, la France l'apanage des vieux chanteurs des années 80 en cire et la Transylvanie le privilège de regrouper tous les suceurs de sang, je découvre que l'Argentine ne fait pas que jouer au foot et possède son quota de revenants et d'esprits chagrins. Il faut dire que les périodes de dictature et les enlèvements de masse ont eu de quoi empêcher certains de reposer en paix.
Voici 12 petites nouvelles qu'il ne faut pas choisir quand il s'agit de raconter des histoires à la marmaille pour l'endormir. Même si elle le mérite parfois. Bon, le crâne avec cigarette de van Gogh en couverture annonce à bon escient la couleur. Difficile de confondre avec Nounours en ballon ou Les trois petits cochons.
Mariana Enriquez revi-gore le genre, l'hémoglobine en moins. Les âmes errantes, ici, présentent plutôt bien. Ils ont la finitude élégante. le problème, c'est plutôt les vivants et en particulier cette espèce instable, qui ne fait en général que râler et glander devant son téléphone, l'adolescente rebelle. L'auteure en fait des héroïnes tragiques.
Phénomène presque surnaturel dans un recueil, todas las nuevas (j'ai appris l'espagnol dans un camping) sont très réussies . Je n'ai pas senti l'effet remplissage que je retrouve souvent et qui consiste à enrober deux ou trois textes majeurs de récits de jeunesse et quelques brouillons d'écoliers pour épaissir l'ouvrage et le prix. Les histoires s'enchainent et permettent de découvrir un imaginaire horrifique cimenté dans le quotidien et par le poids du passé.
Mention pour le titre, génial, bien que mensonger car la cigarette présente bien moins de risques au lit dans la relation de couple que les miettes du petit-déjeuner qui grattent.
Les phrases claquent comme les portes d'un manoir hanté, les dialogues ressemblent à des musiques d'ambiance décalées et participent à ce mélange de modernité et de surnaturel. Il faut d'ailleurs rendre hommage à la traductrice du roman car elle su trouver les ombres qui se cachent derrière les mots.
Je ne vais pas énumérer les histoires façon liste de courses, même si nous sommes Samedi et que le frigo est vide, car Mariana Enriquez chasse le surnaturel derrière une modernité artificielle. Il en va ainsi de ces groupies absolues qui vont exhumer leur vedette pour perpétuer sa magie ou de cette jeune fille obnubilée par les battements du coeur d'un homme condamné par une terrible arythmie. Les désordres du coeur.
Que dire de ce récit incroyable qui accompagne le retour miraculeux dans une ville de tous les jeunes fugueurs disparus ou séquestrés par la dictature depuis plusieurs années ? Un chef d'oeuvre (très antérieur à la série « Les revenants » qui reproduit un peu le même scénario), qui interroge sur l'abandon, la mauvaise conscience des adultes et une certaine forme de vengeance contre l'oubli.
Mariana Enriquez inventent d'autres légendes urbaines qui vont plus loin qu'un simple relooking de vieilles superstitions car elles s'alimentent de la violence bien réelle de la société.
Je n'en dis pas plus pour ne pas gâcher davantage vos terreurs nocturnes. Je tiens à préserver vos insomnies.
Il me reste à lire son grand roman Notre part de nuit, qui m'attend depuis un bon moment.
C'est quoi ce bruit ?
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Les nouvelles sont le format idéal, je trouve, pour aborder l'horreur. C'est suffisant pour frissonner et trop court pour en suffoquer. Ce format est également très souvent la possibilité d'un pas de côté, d'une chute inattendue, d'un art extrême de l'étrange dans sa dimension la plus forte et quand ce pas de côté s'entremêle précisément à l'horreur, ça donne comme un supplément d'âme, un vertige, un moment de suspension, une parenthèse troublante et troublée nous poursuivant longtemps une fois le livre refermé. Car ces nouvelles touchent à l'intime le plus profond, à l'indicible, aux tabous.
A la lecture de « Les dangers de fumer au lit » de l'auteur argentine Mariana Enriquez aux étonnantes éditions du sous-sol, j'ai retrouvé la vive émotion que j'avais éprouvée à la lecture de Mortepeau de Natalia Garcia Freire, une de mes lectures coup de coeur de 2021, livre gothique à la poésie noire effleurant le thème de la transformation pour basculer dans le monde des insectes. Un livre également court mais horrifique…court et donc délicieusement, poétiquement, horrifique.

Si les insectes grouillent dans Mortepeau, ce sont les fantômes et les sorcières, sorcières qui parfois ne disent pas leur nom, qui abondent dans ce livre.
En douze histoires tranchantes, l'auteure creuse et fouille dans l'âme humaine pour aller sonder d'une plume chargée d'encre noire les voies les plus souterraines des fantasmes, de la sexualité, des obsessions…des organes et des humeurs. Les voies les plus tortueuses de l'âme et du corps.
Les femmes sont omniprésentes, et la frontière est ténue pour ces petites filles, ces adolescentes, ces femmes, la frontière est ténue entre le fantastique et la folie, entre le bourreau et la victime, entre la douleur et l'orgasme, entre la vie et la mort. Nous sommes à la margelle du puits de la raison, enveloppés d'une lourde brume de solitude, happés par l'abîme sans fond de l'étrange, hantés par les odeurs de cadavre et d'excréments qui s'en dégage, attirés dans les dédales d'un lieu envouté à l'image des personnages qui les habitent.

Mariana Enriquez, de façon sauvage et sans limite, sans tabou, nous offre à voir ainsi, entre autres, un clochard diarrhéique jetant un mauvais sort à tout un quartier, une femme se masturbant au son de battements de coeurs malades, une petite fille sacrifiée réceptacle à la folie de sa mère et de sa grand-mère, la réapparition cauchemardesque au sein des familles d'enfants autrefois disparus (cette nouvelle n'est pas sans me rappeler le scandale des enfants enlevés en Argentine pendant la dictature), une femme seule fumant sous les draps gris et rêvant de ciels étoilés, la vengeance de jeunes filles très belles jalouses devenues des monstres cruels, l'adoration jusqu'au cannibalisme, les os d'un bébé déplacés faisant apparaitre son fantôme, le corps d'une femme totalement scarifié par un esprit qui n'est autre que elle-même…
Le corps est tour à tour source du plaisir, source de l'abject, source de la douleur, source de la violence et l'auteure lève le voile sur des éléments depuis toujours cadenassés par la société, la pudeur et la honte : oui, la famille peut être un lieu non de protection mais de trahison, les corps peuvent être la source des humeurs les plus répugnantes, des femmes belles peuvent être d'une cruauté machiavélique, la douleur peut cohabiter avec l'érotisme, le désir avec la cruauté, parfois contre soi-même, tous ces éléments procurant bien plus de peur et de terreur que le surnaturel à grand renfort d'imagination.

« Un des gosses empestait parce qu'il ne retirait jamais son seul et unique vêtement, même pour dormir. Ce garçon erre toujours dans la ville, diffusant sa puanteur partout pour qu'on ne l'oublie pas. On raconte que les assistantes sociales n'arrivaient pas à lui ôter ses fringues, tellement elles étaient collées à son corps à cause de la crasse. On dit qu'il avait des poux, mais aussi des vers blancs sur le cuir chevelu, et des plaies sur les bras ; il ne s'était jamais lavé, un petit animal, il se chiait dessus de peur et ne se nettoyait pas. C'est l'enfant que les gens voient le plus souvent, le fantôme le plus populaire, qui te touche avec ses mains noires, et lorsqu'il effleure ton blouson accroché à une chaise dans un bar, l'imprègne d'une odeur de chair morte ».

Ce recueil à la couverture aussi inoubliable que son contenu, d'une poésie noire allant jusqu'à l'horreur la plus implacable, nous promet des histoires gothiques et macabres, des histoires sur la santé mentale vue à travers le genre fantastique, qui se suffisent à elle-même dans leur tristesse et leur pouvoir horrifique, mais qui racontent également tout autre chose derrière la simple narration, comme un reflet scintillant et fantastique de la réalité sociale actuelle, notamment au travers la disparition de nombreux enfants, de la réalité argentine contemporaine faisant face à son passé.

Un grand merci à Babelio et à Nicolas Hecht pour cette Masse critique privilégiée !
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Très bien écrit, ce recueil de nouvelles restera inégal pour ma part. J'ai déjà oublié certaines nouvelles. Et d'autres sont marquantes.

Je retiens surtout celle où le cadavre d'une star se fait bouffer par des fans.

Et je me demande,
est-ce que ma grand-mère aurait bouffé Claude François?

Non

Est-ce que mon père aurait bouffé Jimi Hendrix? Peut-être

Est-ce que je pourrais bouffer Trent Reznor ou Billy Corgan lorsqu'ils seront morts? Aurais-je la sensation d'ingérer leur essence artistique comme un élixir transcendantal?

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Nope
Trop dégueu
Ou alors si je meurs de faim, peut-être.
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Ne vous arrêtez pas à la couverture du livre de Mariana Enriquez, ignorez-la et ouvrez le roman sans crainte et sans hésitation, l'auteure argentine va vous transporter dans son univers noir et flippant à souhait. Ses nouvelles vont vous entraîner dans son mode horrifique, peuplé d'êtres innommables et innommés. Dans cette Amérique Latine où la religion catholique se colore de superstitions d'origine africaine, où le culte des morts se mêle au culte des saints. Sorcières, fantômes, culte Vaudou, sacrifices humains, cannibalisme ; chaque page tournée apporte son lot d'horreurs et de frayeurs. Mariana Enriquez nous embarque dans les noirceurs de l'âme humaine avec beaucoup de virtuosité mais aussi avec pas mal de volupté car on se plait malgré tout à la suivre dans le dédale de ses douze nouvelles. Dans cette fange littéraire livrée brutalement, on y trouve un peu de poésie et c'est grâce à ces îlots de lumière salvatrice que l'on ne referme pas l'ouvrage.

Les personnages qui hantent ses nouvelles sont avant tout des femmes. Des femmes affamées, cabossées, qui souffrent, qui ont peur et qui sont opprimées. Les quelques hommes qu'on peut rencontrer sont eux inexistants comme de simple faire valoir. Ceux sont des gigolos sans sexualité attrayante. Des pauvres hères qui ne font que passer sans jamais véritablement s'arrêter. Ils oeuvrent à la limite d'un monde exclusivement féminin qui les domine. Une gynécocratie qui a pour héroïnes des Angelita, Silvia, Mariela, Josefina, Elina, Paula, Mechi, Vanadis, Julita et Pinocchia. Elles savent nous bouleverser par leur violence mais aussi par leur fragilité.

Mariana Enriquez possède enfin une plume qui bien qu'elle soit noire, n'en demeure pas moins belle et limpide. Elle sait nous emporter dans les méandres et les abîmes de l'âme humaine avec dextérité. Elle choque par ses mots crus qui souillent notre innocence mais qui savent aussi transcender notre nature humaine. Si l'insupportable est souvent là, le plaisant n'est jamais bien loin. C'est sa force et aussi son originalité de pouvoir nous souffler le chaud et le froid. de son horreur peut naître le beau.

Merci à Nicolas de Babelio et aux Éditions du sous-sol pour cette étonnante et surprenante découverte d'une auteure qui excelle dans l'art difficile de la nouvelle. Contrairement à beaucoup d'autres nouvellistes, elle nous laisse jamais sur la faim de la fin…


« Alors elle décida d'appuyer l'extrémité de sa cigarette sur le drap pour voir s'agrandir le cercle au bord orangé, jusqu'au moment où ça devenait dangereux, le feu crépitait et augmentait, et elle devait taper sur le drap pour l'éteindre, les bouts de tissu brûlé flottaient dans la tente. Les petits incendies circulaires la faisaient rire. Lorsqu'elle sortait la tête dans la semi-pénombre de la chambre, les trous de cigarette dans les draps laissaient passer la lueur de la lampe dont les faisceaux lumineux se reflétaient au plafond qui paraissait couvert d'étoiles. Il fallait qu'elle fasse plus de trous car, elle le comprit dès qu'elle le vit, tout ce qu'elle voulait, c'était un ciel étoilé au-dessus de la tête. Oui, c'était tout ce qu'elle voulait.»
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On ne dira jamais assez Les dangers de fumer au lit.
Lire ce recueil, s'en éprendre, c'est se promener entre les vivants et les morts, c'est sentir cette odeur de charogne et d'excréments qui effleure les mots à chaque page que l'on tourne. C'est toucher la folie du bout des doigts, pas seulement celle des personnages, mais celle d'une ville, d'un territoire abject, celui des enfants toxicos, héroïnomanes, celui des enfants qui disparaissent, comme si les personnages incarnaient à eux seuls la folie de ces lieux, le malheur du monde...
En lisant les premières pages de ce recueil de nouvelles, j'ai eu l'impression de me pencher sur le bord d'un puits et de tenter de deviner à travers son eau sombre les contours d'un autre monde qui nous échappe mais pas aux personnages de ces histoires.
Les dangers de fumer au lit est un recueil de nouvelles horrifiques au nombre de douze, pas treize, - dont celle au titre éponyme -, écrites par l'écrivaine argentine Mariana Enriquez que je découvre à cette occasion.
Est-ce un oiseau qui chante ou bien une petite fille morte qui se rappelle d'où elle vient ou plutôt veut que son entourage se le rappelle ?
Entendre des voix qui se fraient un chemin dans un couloir sans fin... Les vieux démons ont la peau dure... On ne devrait jamais tenter de réveiller les morts, leur sommeil est parfois si léger, si fragile...
Exorciser les peurs d'une petite fille enfouies dans ses souvenirs comme on se cache derrière un rideau...
Mariana Enriquez a ce don de nous entraîner sur cette frontière scabreuse qui hésite à chaque instant entre rêve et étrangeté pour nous dire l'indicible et l'insupportable. Mais l'insupportable, n'est-ce pas plutôt la réalité sordide des rues de Buenos Aires ou de Barcelone, plutôt que les chemins oniriques qu'arpentent ces jeunes filles parfois encore adolescentes, parfois encore des enfants, ou lorsqu'elles ne le sont plus, elle s'en souviennent comme si c'était hier, comme si c'était aujourd'hui, et peut-être demain aussi.
Angelita, Silvia, Mariela, Josefina, Paula, Graciela, Vanadis... Il y a comme une sororité violente et douloureuse, fidèle et vorace aussi, qui hante les pages de ce livre.
Elles ressemblent parfois à ces papillons de nuit qui viennent se brûler les ailes et se désagréger auprès d'une lumière trop intense...
Mariana Enriquez dit ici en creux l'errance sociale, les rêves des enfants que l'on broie à coup de gélules bleues ou roses...
L'univers de Mariana Enriquez fait peur parce qu'il est rendu possible, parce qu'elle a le talent de soulever le rideau et nous montrer la réalité macabre, sordide, tandis que le seul chemin pour ces adolescentes est de s'en échapper en se jetant dans le vide, puis en revenant hanter les vivants qui les ont trahies ou abandonnées...
L'univers de Mariana Enriquez, c'est une bouche édentée qui tente de sourire.
C'est un hôtel enfoui dans le sable qui accueille des gens désespérés.
C'est un coeur affolé au bord du vertige. C'est une douleur semblable à un orgasme.
C'est un cauchemar d'enfance qui se réveille.
C'est le corps dévasté, mutilé d'une adolescente, qui se laisse filmer à la demande de sa mère...
L'insupportable est souvent là, retenant notre respiration au bord du vide, dans l'effroi qui se prolonge comme un écho...
L'esprit du mal ne se cache peut-être pas là où on le croit terré, mais dans une sorte de misère sociale et sexuelle, de solitude tragique qui tient lieu de décor à chacune de ces nouvelles...
Alors nous continuons d'avancer dans cette procession funèbre et obsessionnelle avec des guitares saturées de heavy metal autour de nous pour ne pas entendre le cri apeuré des enfants, même si certains sont devenus des fantômes...
On l'aura compris, ces douze histoires sont terriblement ancrées dans l'horreur quotidienne du passé encore présent de l'Argentine qui se souvient ; le surnaturel n'est peut-être qu'un prétexte, car si la dictature a bien disparu, il n'en est rien de ses méthodes qui ont perduré longtemps encore...
L'art de laisser chaque fin de nouvelle en suspens au-dessus du vide est de toute beauté, il fait partie de l'écriture de Mariana Enriquez, il fait partie de l'histoire, il accompagne cette quête désespérée et onirique de ces adolescentes qui errent dans ces pages et ressemble à une porte ouverte, leur laissant la possibilité à jamais de revenir et faire la paix avec leurs proches, leurs semblables... Avec elles-mêmes aussi...
Angelita, Silvia, Mariela, Josefina, Paula, Graciela, Vanadis... Vos récits m'ont touché au coeur et au ventre.
Je remercie Babelio et les Éditions du sous-sol pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une masse critique privilégiée.
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La lecture de Ce que nous avons perdu dans le feu m'avait laissé une impression mitigée, mais assez positive pour que je sois tout de même tentée d'aller relire cette autrice un jour. Visiblement, j'ai bien fait, car la lecture de ce second recueil m'a beaucoup plus séduite.

Je n'ai pourtant pas l'impression qu'il soit si différent du premier : on y retrouve la même ambiance poisseuse, la même horreur insidieuse qui continue de jouer dans la tête après la lecture, la même dénonciation de la misère. Mais les nouvelles m'ont paru plus abouties, finissent de manière plus percutante, sans ce sentiment frustrant d'un dénouement qui tombe à plat – sentiment qui ne m'a pas quittée tout au long de la lecture du premier recueil.

Néanmoins, je ne suis pas certaine si Les dangers de fumer au lit est bel et bien plus abouti que Ce que nous avons perdu dans le feu, ou si j'avais simplement besoin de prendre mes marques avec l'écriture de Mariana Enriquez. (Je serais curieuse d'avoir vos avis : lequel avez-vous préféré, et dans quel ordre les avez-vous lus?)

Ce bilan étonnant me rend encore plus curieuse de lire son roman, Notre part de nuit.
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Froide et sombre la nuit, la lune est absente. Ni bleue, ni lumineuse, elle s'en est retournée vers un autre monde, celui de la lumière. Moi, je reste allongé sur mon lit, dans le monde des ténèbres. Eteins-moi cette cigarette, souviens-toi des dangers de fumer au lit. Tout peut prendre feu en un instant, ta vie, ta mort, ton âme. Partie en cendres, cette dernière t'a tourné également le dos. Les yeux clos, le corps marqué, tu respires une dernière fois, respirer cet air suffocant, sentir cette humidité comme sur un vieux livre aux pages jaunies. Un jour, on retrouvera ton cadavre allongé dans la même position, les os blanchis par le temps, une cigarette encore plantée dans ton crane, comme une peinture de van Gogh. Mais en attendant, tu sens ce parfum de mort qui t'enveloppe, de chair en putréfaction, de peur et de tristesse. de l'Argentine à l'Espagne, tu voyages autour de la mort, avec des jeunes filles mal dans leur peau, des femmes qui ont peur, des fantômes…

Allongé sur ton lit, tu écrases donc cette dernière cigarette qui un jour te tuera et tu replonges dans tes pensées, dans l'abîme profond de ton malaise. Des fantômes pleurent, alors tu déterres des os, sous cette poussière, un poulet, un coyote ou une grande soeur. Des enfants disparus reviennent des années après, sans même changer d'apparence… Si tous les disparus de la Dictature pouvaient en faire autant… Tu fais appel aux esprits, sur une musique de sang et de sueur, et s'ouvre à toi un monde dont tu n'oses pénétrer, une odeur de chair morte qui t'envoute, rêvant à coeur ouvert de futur, de passé et de tristesse. Alors tu ouvres ton recueil de nouvelles, pour t'envoler vers un monde onirique, tu reçois en échange une poésie sombre et noire qui te saigne les veines et ton âme.

Mariana Enriquez, une autre voix de l'Argentine qui parle aux morts, qui discute avec les esprits, qui frissonne dans le lit, qui bouffe de la viande crue… Un susurrement au milieu d'une dictature… « Si tu as faim, mange mon corps. Si tu as soif, bois mes yeux. »
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“Je suis habitée par un cri.
Chaque nuit il sort, les ailes battantes,
A la recherche, avec ses crochets, de quelque chose à aimer.
Je suis terrifiée par cette chose noire qui dort en moi ...”
Sylvia Plath

Mariana Enríquez est une figure montante de la littérature latino-américaine du XXIe siècle. Déjà rencontrée dans son précédent roman, « Notre part de nuit », l'autrice argentine propose un univers original, où la vie et la mort sont étroitement imbriquées, où l'atmosphère fantastique et sombre en toile de fond, sert à mieux dénoncer la vie en Argentine, la dictature militaire, la répression, les nombreuses disparitions, ...

C'est avec beaucoup d'attente et d'enthousiasme que j'ai commencé ce recueil de douze nouvelles où les femmes, narratrices, sont aussi au coeur de chaque récit.
A nouveau, le lecteur est frappé par cet univers troublant que l'on retrouve souvent chez les auteurs latino-américains, à la fois morbide et fascinant, surnaturel et réaliste, charnel et scatologique. Ses textes cachent en effet, un monde occulte dérangeant, effrayant, peuplé d'esprits, de morts, de fantômes, de sorcières, ou de démons. Tout, dans la mise en scène, l'ambiance, les décors, le recours à de vieilles légendes, les personnages et le dénouement, est parfaitement réfléchi, maîtrisé et permet de nourrir l'originalité des récits.

Les nouvelles se concluent souvent de manière assez inattendue, abrupte, ambiguë, pouvant laisser croire que les histoires sont inachevées, ou que l'autrice n'a pas su leur trouver une fin satisfaisante. Je pense au contraire, que Mariana Enriquez se retire intentionnellement pour laisser le lecteur réfléchir, prolonger chacune d'entre elles, s'imprégner de leur réalité et apposer ses propres fins.

En lisant les lignes de ce billet, vous pourriez être effrayé par ce livre et son contenu, mais ces récits sont à l'image de cette magnifique couverture, à la fois horribles et touchants, réalistes et mystérieux, glaçants et magiques, incisifs et teintés d'humour, de poésie. Cela permet de prendre de la distance pour mieux en apprécier toutes les qualités.

*
Il n'y a aucun intérêt à résumer chacune de ces nouvelles.
Il vaut mieux se laisser porter par tous ces récits, ressentir leur atmosphère lourde et tourmentée, comprendre que la monstruosité sous le prisme des métaphores et du mystère répond à l'histoire violente de l'Argentine, passée et présente, et aux traumatismes du peuple argentin.

Très honnêtement, même si certaines ont ma préférence, j'ai trouvé qu'elles se valaient toutes. Chaque lecteur trouvera forcément, suivant ses goûts et ses envies, la nouvelle qui le marquera, le touchera, le dérangera, le bouleversera, le révoltera, ou l‘interrogera.

« Son rire et son renoncement m'inquiétaient car de plus en plus souvent, au fil du temps, à mesure que croissait notre intimité, j'avais la certitude que si j'écoutais une seconde supplémentaire, j'allais lui faire encore plus de mal. le frapper, l'ouvrir avec mes ongles, lui imprimer d'autres cicatrices, une façon d'être au plus près de lui, qu'il m'appartienne davantage. »

L'exhumation des restes d'un bébé dans l'arrière-cour d'une maison, la malédiction d'un quartier entier, la légende d'un enfant sans tête qui erre dans les rues de Barcelone, une femme dont les nuits sont peuplées de cauchemars, une jeune fille aux prises d'hallucinations, une femme qui trouve un plaisir sexuel dans les battements irréguliers du coeur humain, voilà les récits que vous découvrirez.
Il est question de moralité, de solidarité et d'empathie, de vengeance, d'enfances saccagées, de fétichisme, de fantasmes, d'automutilation, de folie et de phobies.

« Dans sa chambre, elle se glissa dans la baignoire et repassa le rasoir sur ses plaies pour que le sang flotte autour d'elle et teinte l'eau en rouge. C'était beau. Elle sombra et ouvrit les yeux sous l'eau, dans un océan d'écume vermeille. »

*
Parmi la petite dizaine de nouvelles publiées, mon premier choix se portera sur celle intitulée "Viande". Elle raconte l'admiration de deux adolescentes pour une star du rock au style anticonformiste et dérangeant. Alors que son dernier album, Viande, est fortement controversé, le fanatisme des deux jeunes filles va prendre des allures extrêmes après le suicide du chanteur.
J'ai été happée par la violence du récit qui chemine aux confins de l'immoralité, de la folie et de la mort.

La seconde nouvelle que je retiendrai est « La vierge », l'histoire d'un groupe d'adolescentes jalouses de leur amie Silvia qui a un petit copain.
Là encore, j'ai été saisie par la montée progressive de la violence de ces jeunes filles qui ne supportent pas le bonheur affiché par leur camarade. Leurs rancoeurs mesquines font froid dans le dos.

Dans « Où es-tu mon coeur ? », la narratrice fantasme pour les personnes malades du coeur. Cette nouvelle est peut-être celle qui m'a le plus dérangée et dégoûtée en raison de la dépravation de la jeune femme, les descriptions de scènes intimes, et la monstruosité de sa fin.
Je la cite également car Jane Eyre s'invite dans ce récit, de manière originale. Là où un passage du roman de Charlotte Brontë m'a fortement émue, il a réveillé en elle sa folie et sa perversion.

« Il n'a pas protesté quand je lui ai dit que j'en avais marre. Que je voulais le voir. »

*
L'autrice crée une atmosphère propice à l'intrusion du fantastique, du réalisme magique, d'éléments surnaturels voire de l'horreur dans des récits réalistes. Si l'écriture est assumée, acérée et parfois glauque, elle est également envoûtante, proche de la prose poétique.
Malgré l'atmosphère macabre et inquiétante, l'autrice est parvenue à m'emporter par la force de son écriture, la fulgurance des images et des messages, et sa capacité à mener des intrigues captivantes et rythmées sur quelques pages seulement.

L'autrice ne cherche pas à cacher la crasse, les odeurs répugnantes, l'abjection, l'immoralité, la lâcheté, l'obscénité de notre monde. Au contraire, elle y puise son inspiration, mais c'est avec beaucoup d'élégance et de poésie qu'elle nous retransmet des sensations et des émotions puissantes.
La magnifique traduction d'Anne Plantagenet retranscrit remarquablement bien cette atmosphère étrange et menaçante.

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Pour conclure, Mariana Enríquez nous livre un recueil singulier, surprenant, angoissant, saisissant grâce à un univers très marqué et surtout très marquant.
Une nouvelle fois, j'ai été séduite par l'acuité et l'audace de la jolie plume de Mariana Enríquez. Ce premier recueil de nouvelles teintées de macabre, d'obsession, de désespoir et de violence est certes dérangeant, mais il m'a emportée par la justesse, la beauté et la puissance évocatrice de sa prose.

A découvrir.

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Je tiens à remercier infiniment toute l'équipe de Babelio et les éditions du sous-sol pour l'envoi de ce livre dans le cadre d'une masse critique privilégiée. Je ne suis pas près d'oublier ce recueil dont mon ressenti est proche du coup de coeur.
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