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EAN : 9782330015220
80 pages
Actes Sud (11/01/2013)
3.7/5   43 notes
Résumé :
Au coeur de l’onirisme, à la frontière du visible et de l’invisible, entre mémoire, rêve et cris, une femme se souvient du Bâtiment de pierre. Dans cette prison, des militants politiques, des intellectuels récalcitrants à la censure, des gosses des rues – petits voleurs de misère – se retrouvaient pris au piège.
De ce monde de terreur véritable, la narratrice de ce récit est pourtant revenue et sa voix, en une étrange élégie, se fait l’écho d’un ange, un homm... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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"Tu décideras de ce qui peut et ne peut pas être passé sous silence, ou liquideras les comptes qui peuvent l'être. Au fond de ton corps se lève un autre corps qui est tout tremblant, les murs de pierre tremblent avec lui, le monde tout entier est secoué de tremblements, les étoiles tremblent dans le ciel." p.26

Parce que tu es indéniablement poète. Toi, Asli Erdogan, tu as perçu cette vibration. Tes yeux sont des étoiles et se sont portés sur l'opprimé. Ton regard perçant a pu y déceler toute l'humanité.
A. comme Adam, le premier homme, l'Alpha. Pour t'être arrêtée à ses pieds, tu l'as été, toi aussi. Tu as été à ses côtés : c'est ainsi que tu l'as remplacé.

Pour ceux qui n'entendent pas, tu as écrit. Pour ceux qui ne voient pas, tu as chanté.
Et moi, tu m'as touché. Tu m'as jeté ce mot pour que je puisse m'accrocher
V I E

"A cet instant-là je tombai au milieu du V, du I et du E qui séparément , ne signifient rien." p.36
" A cet instant-là une étoile est ressuscitée. Et tu m'as laissé tes yeux pour que je puisse regarder la vie comme un miracle" p.42

J'ai entendu la trille stridente de ton chant, haut dans le ciel, elle a traversé les pierres, fissuré la chape en béton, armé forcément, de l'enceinte de confinement dans laquelle, ils t'ont déjà jetée. L'alarme a sonné, elle me tire du cocon douillet dans lequel je m'étais profondément endormi. Je me berçais d'illusions sur un monde en paix qui n'existe pas...

J'ai reconnu A., ici dans ma ville, assis à la porte de ma banque. "Le destin joue à un jeu sinistre en nous assignant une place à table, un status social, en nous plaçant d'un coté ou de l'autre des portes verrouillées, à l'ombre ou en pleine lumière. Car nous sommes tous semblables et nous sommes tous des victimes." P.31
C'est la première fois que je vois A. véritablement, d'habitude je me détourne et je m'enferme. Voilà l'homme qui vous exhorte à lire Asli Erdogan.

Parce que le temps nous est compté. Parce que j'ai entendu ton appel : "Si je pouvais, avec deux yeux, regarder le plafond bas du ciel qui protège le monde, si je pouvais entendre un battement d'ailes, si le vent pouvait souffler dans les coins sombres..." p.60
Oui, il est là l'effet papillon dont j'ai déjà parlé * : lire Asli Erdogan avant son procès ! Ah qui peut dire l'espérance si tout Babelio s'y met ? Si chacun ouvre ses ailes, si chacun siffle d'un petit souffle : alors un air frais, un vent nouveau ? Il faut si peu de chose...

"Un pipeau joue en vain les motifs entremêlés de tout ce qui existe, la mélodie de ce qui est et de ce qui n'est plus, de ce qui vit et de ce qui vivra un jour... Je l'ai entendue une fois, oui, c'est LA que je l'ai entendue pour la première fois, tout au long de la nuit elle s'adressait aux étoiles et à des mondes nouveaux, elle se parlait à elle-même. p.93"

Alors, parce que je la plains un peu et je l'envie beaucoup
Parce qu'elle m'envie peut-être un peu et qu'elle me plaint beaucoup
Alors, au moins la lire
Oui avant la mort, je la lirai encore

A la vie,
Avec tendresse

* cf. le silence même n'est plus à toi : Asli Erdogan
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Ce fut une lecture éprouvante...
Le sujet même du livre justifie ce sentiment, ce bâtiment de pierre est une prison, et il y règne la terreur. Celle-ci est relatée par la narratrice parée des yeux d'un homme qui y est mort.
Mais elle me fut éprouvante également par le style d'Asli Erdogan. Bien qu'écrit en prose, le récit est porté par un grand souffle poétique et onirique, il m'a déstabilisé parfois, il m'a fallu souvent relire une phrase, revenir en arrière dans ma lecture, m'efforcer de ne pas lire trop vite, décider de le faire à voix haute pour être pleinement imprégné par son atmosphère.
J'ai donc mis du temps à terminer ce livre, pourtant bien court (107 pages seulement) et en fin de compte, je suis ravi de l'avoir lu.
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« Je fouille parmi toutes ces pierres, en quête d'une poignée de vérité, ou du moins de ce qui, jadis, s'appelait ainsi, mais qui n'a plus de nom. » 
« A. ne parlait qu'avec les pierres, avec le silence enfoui sous les pierres...Il écrivait sa lettre à un pigeon blessé qui somnolait sur son épaule ».

Agelastos petra...La pierre triste. J'ai repensé à ce film de Filippos Koutsaftis en lisant le livre magnifique d'Asli Erdogan.
...«  Pourquoi ce film ? Parce qu'il est assez rare que le cinéma s'attache ainsi aux profondeurs de la terre. Assez rare qu'il s'attache avec autant de tendresse et d'opiniâtreté — douze années de tournages erratiques mais obstinés dans le site d'Éleusis — à saisir ce qui survit de mystères passés, de villes enfouies, de vies enfuies. » commentait Georges Didi-Huberman au sujet de ce film.

Des mots, des hommes , des pierres, des pans de vies entières. Morcelés , éclatés, pulvérisés.
C'est puissant un écrivain. Un film, un livre, des écrits.
La poésie, la philosophie aussi.

« Filippos Koutsaftis a pensé le cinéma comme un art des survivances, une archéologie au sens plein du terme. Mais l'archéologie est un champ de batailles, et pas seulement de fouilles. le cinéaste a bien vu que les choses survivantes se faisaient la guerre à chaque moment : choses survivantes pour tuer la mémoire (les usines pétrochimiques, l'asphalte par-dessus la Voie sacrée), contre lesquelles des êtres survivants luttent pour redonner naissance à quelque chose, comme chez cet homme qui erre parmi les pierres et en prend soin comme d'enfants blessés. Tout cela guidé par un phrasé d'images si simples et de mots si profonds qui font de ce film un seul et grand poème. »

La puissance d'un mot. Des mots. Des mots comme témoignage, mémoire, vérité , liberté.

Ce livre est un seul et grand poème. Une survivance.

Quelque soit L Histoire, ce livre est et restera.
C'est une victoire.
Et c'est avec grand Art qu'il nous est transmis.

L'écriture d'Asli Erdogan est vertigineuse. D'une beauté rare. D'une force incroyable.

« Si l'on veut écrire, on doit le faire avec son corps nu et vulnérable sous la peau ».

« ...les mots ne parlent qu'avec les autres mots. Prenez V, un I et un E et vous écrivez Vie.
A condition de ne pas vous tromper dans l'ordre des lettres, de ne pas, comme dans la légende, laisser tomber une lettre et tuer l'argile vivante. »,

A vif, nous mettent les pierres, à vivre nous mettent les mots, à naître et renaître nous donnent les lettres.

«  Son visage, rugueux comme le sol lunaire, est divisé en deux parties inégales par une profonde cicatrice, il ne livre aucun secret,il ne révèle même pas son âge.
Mais si vous suivez cette cicatrice, sur le crâne défoncé par endroits, comme on parcourt un sentier de montagne, jusqu'au bord triste et désert des orbites, vous vous trouverez devant un gouffre. Un gouffre qui parle non la langue des hommes, mais celle du vent, de la lune et des pierres.Vous n'oserez pas lui demander son nom, mais vous pourrez le désigner par la première lettre de l'alphabet : A. »

A , comme le premier signe d'une lithographie.

Un bâtiment de pierre.. .
Prenez garde à ne pas emmurer les écrivains, car ils entendent mieux que tout autre la réalité du monde. Mieux que tout autre reçoivent, perçoivent l'âme qui habite les choses.

Vous qui s hurlerez Silence, prenez garde ! Car celle et celui que vous tentez ici de faire disparaître dans vos murs, demain en mémoire c'est eux qui témoigneront des larmes tomber sur les pierres.

C'est puissant un écrit.
Aucun bâtiment ne leur résiste.
Aucune prison ne peut s'élever à la hauteur des mots.
Dangereusement fou serait celui qui croirait un jour en devenir maître….

« Quand les murs s'épaississent, tes rêves s'épanouissent »
Oui, l'homme est un mystère, et si sa parole est alchimie, alors tout son possible deviendra une prophétie.

« J'écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir. Comme on cueille un fruit sur une branche, comme on arrache une racine. Il te reste le murmure que tu perçois en plaçant contre ton oreille un coquillage vide. La vie : mot qui s'insinue dans ta moelle et dans tes os, murmure évoquant la douleur, son qu'emplissent les océans. ».

Un coquillage vide, un bâtiment de pierre.
Il faut avoir touché cette matière pour écrire comme Asli Erdogan.

"ils reviennent des ruelles où ils ont tant de fois vaincu le désespoir,des lieux où ils ont abandonné au destin tant d'histoires,de fautes,de péchés,et d'aveux stéréotypés. Pour aller fonder, par-delà le bien et le mal, l'enfer de la liberté...Loin du bien évident et du mal avéré,dans la sécurité du médiocre... Toute vie d'homme est finalement une défaite,mais pour certains la défaite est grandiose".

" L'homme est enfermé dans un cercle plus vaste que l'existence, il parcourt des chemins silencieux, pavés de pierre, sur les franges obscures de la vie. Il ne se révèle qu'au fond des impasses et aux carrefours." .

Il faut avoir toucher la matière d'homme pour entendre comme cela.

« L'homme est le plus vieux des mystères, c'est de la matière qui parle. »

Alors pour penser la douleur des pierres il faut à ce visage accrocher son regard.
S'y projeter.

«  Tu as allumé la dernière bougie de ta résistance et, en souriant peut être, tu l'as offerte au jour naissant. A cet instant là une étoile est ressuscitée. Et tu m'as laissé tes yeux pour que je puisse regarder la vie comme un miracle »

«  C'est ainsi qu'il m'a laissé ses yeux. Parce qu'il n'avait personne à me laisser ».

C'est le fil de cet ouvrage. Puisque que l'enfer est un Dédale, son labyrinthe est la douleur.

«  dans un univers pétrifié.Couleur cendre, couleur fumée, couleur coeur »
...«  C'est ainsi qu'il m'a laissé ses yeux. Parce qu'il n'avait personne à me laisser ».

«  Dans le ciel tendu, terne, tout plat, les étoiles vont se solidifier et disparaître l'une après l'autre La dernière laissera pendre une corde vers le bas, vers nous. Ta nuit muette, tes mots coupés en deux et ensanglantés, tes ombres errantes, privées de leur maître, tes rêves couleurs de coeur dont personne ne veut, tes mots ailés vont pouvoir y grimper...Tous tes rêves, venus vivre parmi nous et repartis sans crier gare, vont pouvoir se hisser vers les profondeurs... »

« Prenez V, un I et un E et vous écrivez Vie. »

Voilà la clé. Et voilà la Lumière.

« Parle un peu, A. Protège du verbe ton ombre. Donne-lui assez d'ombre, fais parler le réel avec le poids des ombres ».

Alors, oui, vous qui hurlez Silence : prenez garde !
Aucune prison ne peut s'élever à la hauteur des mots.

« Nos rêves ne sont-ils pas le levain de la pâte dont nous sommes pétris ? ».

A vif, nous mettent les pierres, à vivre nous mettent les mots, à naître et renaître nous donnent les lettres. Alors devinez, vous qui hurlez Silence, le pouvoir d'un livre !

« Tu es resté au beau milieu d'une phrase que l'aube n'a pas pu t'arracher. »
« Il ôta son nom de ce vase tableau, il jeta le monde dans le matin naissant comme on jette une feuille blanche »…

« J'écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir. Comme on cueille un fruit sur une branche »….

« Prenez V, un I et un E et vous écrivez Vie. »

Ceci est le fruit.

« Toute seule à grand-peine tu te redresses par-delà l'espoir et le désespoir, par-delà le bien et le mal, tes bras sans force pendent comme deux ailes brisées. Ton dernier pays libre vient frapper ton visage comme un courant d'air frais, un vent chargé d'éternité disperse tes cheveux mais on dirait qu'il rassemble tes morceaux et te rends ton visage. Les doigts du clair de lune cours doucement sur tes yeux avides de sommeil, te font voir la vie comme un miracle et se pose sur tes paupières sans te faire de mal. Ton corps est désormais invulnérable, il frémit comme un arc tendu, il attend son dernier exil aux portes de la terre. Mais ton voyage se limite à deux battements de coeur d'un horizon à l'autre, l'étoile du matin, ton étoile, te tend une corde pour que tu grimpes vers elle et pour la première fois consciente de ton innocence tu poses ta tête sur la nuit épineuse. Seule, vaincue et altière tu t'appropries tous les destins qui se croisent ici en te balançant sans bruit dans le vent debout bien droite dans l'abolition de toi-même, tu t'élèves au-dessus de tous les mensonges de la vie et de la mort. Une fois encore, la dernière, on entend chanter le coeur immense ; il commence tout bas puis il s'amplifie peu à peu dominant tous les bruits et les silences des cieux et des nuits du monde. Ce qui t'appelle toi et ta solitude avec ta voix la plus réelle c'est le coeur lointain, incroyable, magnifique, les tambours de la victoire ou de la défaite et le vent... le vent... »

Non aucun système, aucun algorithme ne peut nous contenir.
Faits de notre chair d'argile, nous sommes des passeurs de lumière.

« VIE » restera toujours en notre nom.

« N'est-ce pas en vertu de ce festival de lettres que nous avons survécu ? »


Prenez A, un S , prenez un L et un I, et vous lisez : Liberté !


Astrid Shriqui Garain

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« Se suffisant à lui-même, il n'a de beauté que son pareil »

On pourrait imaginer que « critiquer » ce livre serait présomptueux tant il regorge de puissance et de force mais au contraire, je crois que c'est un honneur de pouvoir en parler librement dans un pays où le despotisme n'a pas encore pris racine. Dans cette oeuvre, l'auteure y a inscrit ceci : « Si l'on veut écrire, on doit le faire avec son corps nu et vulnérable sous la peau... » - p. 9. Qu'il en soit ainsi, ici.

À lui tout seul, ce livre m'a transportée dans « L'aube d'un jour nouveau ». Il m'a transpercée de sa lumière, rendant à mes yeux la vérité sur « le bâtiment de pierre ».

« En cheminant dans les méandres désertes du bâtiment de pierre, au long des couloirs secrets enfouis dans une pénombre bleutée, en franchissant des portes qui s'ouvrent et se referment promptement, sans retour possible, comme des tourniquets, tu atteins le coeur du labyrinthe. Un coeur vaste, bien réel, dur comme un coup de poing... » - p. 53

Des phrases, dont la profondeur est telle, qu'elles m'ont plongée inconsciemment dans un gouffre. Dans cette oeuvre, toutes formes prennent vie. J'ai lu un mot, un paragraphe, un chapitre et j'y ai découvert « leur VIE », d'un phrasé bouleversant, puissant, ineffable ! Ces mots, choisis avec justesse par le passé, ont raisonné en moi comme l'écho, présent d'une décadence turque. À mon insu, ils ont cheminé jusqu'à mon coeur. Sans crier gare, ils l'ont traversé de part en part jusqu'à atteindre les tréfonds de mon âme et là, me faire sombrer...

J'ai levé mes yeux et j'ai réalisé alors que mes larmes coulaient. La souffrance que j'ai ressentie provenait d'un puits de tristesse insondable. Mes pensées se sont envolées, mon esprit a rejoint Asli et ses compagnons « d'infortune », réalisant soudainement que leurs chaînes devenaient miennes. Un souffle de révolte s'est alors levé en moi, criant à l'ignominie, à l'injustice ! Il m'était inconcevable d'imaginer que des êtres humains pouvaient vivre cela et encore moins l'auteure de ces mots !

L'oppression, la répression, la maltraitance, la tristesse, l'abandon, la solitude ! Cette oeuvre est un cri actuel qui jaillit des entrailles du passé. Nul n'aurait pu prédire que ce livre, édité en 2009, « décrirait » les affres quotidiennes des intellectuels turcs soumis à l'autocratie du président Recep T. Erdogan ! L'auteure y dénonce la maltraitance des prisonniers en Turquie, les souffrances physique et psychiques supportées, les séquelles indélébiles d'une vie dans « le bâtiment de pierre ». le protagoniste « A. », refléterait-il la face cachée de chacun d'entre eux, ou d'entre elles ? …

Sans n'avoir jamais cessé d'élever sa voix pour la liberté de son peuple...gardant foi au droit fondamental de la liberté d'expression... le 16 août dernier, Asli Erdogan a été enfermée ainsi qu'env. 200 autres intellectuels – je dirais « ostracisés » ! - à la prison de Bakirköy à Istanbul. Ils sont accusés de terrorisme ou de conseillers et conseillères de journaux Pro-Kurde alors qu'au fond, ils n'ont fait que dénoncer le soulèvement d'un gouvernement radical et dictatorial !

Je sais d'avance que mes mots n'auront jamais assez de poids pour vous décrire avec exactitude la force de cette oeuvre et l'ampleur qu'elle a pris par l'actualité de cette fin d'année. L'action lancée par l'association La Maison Eclose et soutenue par Amnesty International intitulée « Lire pour qu'elle soit libre », m'a permise de découvrir cette romancière, cette journaliste et de m'engager auprès d'elle, d'eux, dans un esprit de solidarité en prêtant ma voix, comme tant d'autres. Asli Erdogan est à jamais inscrite dans ma mémoire comme une femme dévouée et consacrée aux droits de l'Homme et à la liberté des médias dans son pays.

D'un langage recherché, raffiné et poétique, cette oeuvre est colossale ! Mélangeant les figures de style et les procédés littéraires, pas une seule fois les mots sont inappropriés ou semblent impropres. Les strates sont maîtrisées à la perfection, permettant ainsi au lecteur d'aborder cette lecture dans un niveau qui lui convient afin d'en tirer « l'essence-ciel ».

Tourner les pages de ce livre, c'est déployer les ailes de cet ange nommé « A. » en lui donnant VIE une fois de plus...

« A. n'a jamais pu terminer son histoire, les cercles de l'enfer sont plus sinueux que la vie de l'homme... Tandis que les jours passaient, que les saisons se succédaient, il a tracé dans l'orbite du bâtiment de pierre des cercles qui, tour à tour, s'élargissaient et se rétrécissaient. Il a marché, marché, marché sans relâche, jusqu'à tomber sur les dalles, épuisé de fatigue. Sur les chemins de la vie et les rivages de la mort. Il est resté, tel un rouleau de parchemin froissé, devant les ports qu'il n'a jamais été autorisé à franchir, tout tremblant de froid, dans la boue et les traces d'urine...Il a raconté... » - p. 19
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Asli Erdogan de sa plume magique nous envole du bâtiment de pierre, prison turque, mêlant l'onirique à la dure réalité. le récit cruel devient mélodie poétique. Les voix : une femme sans nom, un homme « A », un choeur d'enfants, résonnent et reçoivent en écho, dans notre esprit et notre coeur, le cri de tous les opprimés, prisonniers politiques, résistants sortis glorifiés de leur combat pour la liberté. Cette écriture éveille la compassion plus que la terreur et nous révèle la part profonde et grave de notre humanité. Un livre bouleversant dont je sors « éblouie de tant d'humanité »
Asli Erdogan a rejoint le cortège des témoins et défenseurs de la vérité en août 2016 à la prison de Bakirköy
le 29 décembre prochain se tiendra le procès de celle qui continue de s'écrier depuis sa cellule : « la vérité est beauté, la beauté vérité ».
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critiques presse (1)
Bibliobs
11 avril 2013
C'est un long cri silencieux, comme si ceux qui n'ont pas vécu l'horreur ne pouvaient l'entendre.[...] De ce texte aussi sublime que court, dont la tragédie humaine est la matrice, émane pourtant une douceur poétique. Asli Erdogan offre à ces damnés pris au piège un chant lyrique.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
Demain le 29 décembre a lieu le procès d'Asli
Une lecture pour "on n'enfermera pas sa voix"

TON ULTIME PAYS LIBRE p.39-42
Le Bâtiment de pierre - Asli Erdogan

Tu te traînes sur le ventre, tu rampes sur des
pierres de la couleur de l'homme, tu cherches
une main amicale, un mot auquel t'agripper
pour te hisser, un fleuve qui t'emporte. Un
fleuve qui mette fin au silence. Tu cherches un
mot, une main ... en gémissant, en tremblant, en
claquant des dents ... Tu laisses des empreintes
tout le long du mur, roses qui se fanent sitôt
écloses, avec leur rouge intense, leurs replis et
leur parfum ... Tu voudrais être mort, devenir
un être ailé, ne jamais être né. Que n'y a-t-il un
dieu auquel tu puisses dire: "Pourquoi m'as-tu
abandonné ?" Tu rampes sur les genoux, sur
les coudes, tu sors de ton corps comme une
rivière se retire de son lit asséché. Tu fermes
les yeux pour les rouvrir dans un autre monde.
Un monde pas encore mort, pas encore créé ...
Tu avances lentement, à grand-peine, dans
cette nuit toujours semblable, vers la fenêtre au
bout du mur, vers ce visage humain émacié et
étrange que reflète la vitre embuée ... Couvert
de taches, disloqué, intemporel. Tu chemines
vers le monde extérieur dont les contours indécis
apparaissent derrière ton reflet. Vers l'appel
bleu comme la glace de l'étoile du berger - ton
étoile, désormais - qui t'attend à l'horizon ...
Tu prends appui sur le rebord de la fenêtre, tu
te lèves lentement, comme la lune nouvelle se
lève sur les ruines. Tu voudrais gravir l'escalier du
ciel, te changer en une clarté d'un or pâle et faire
pleuvoir tes rêves sur la nuit, sur les eaux ténébreuses,
sur le long sommeil agité des hommes,
sur les forêts incendiées. On ne distingue plus
l'obscurité de la pierre de celle de la nuit, la nuit
de la pierre de celle de l'homme. (Pégase est né
de la tête fracassée de la Méduse, du sang le plus
ancien, des veines de la pierre, et il s'est changé
en étoile. Or les étoiles n'appartiennent qu'aux
défunts, la Voie lactée dessine leurs visages.) Sans
mot dire, tu tournes tes regards vers le bas, tu
vois les toits brillants d'humidité, les rues où nul
ne remarque ton absence, les places, les ponts, les
lumières sophistiquées, indifférentes, indécises,
de la ville... Horizons qui ne promettent qu'une
nouvelle disparition. Tout seul, à grand-peine, tu
te mets debout, par-delà l'espoir et le désespoir,
le bien et le mal, tes bras sans force pendent à
tes côtés comme des ailes brisées. Dans un courant
d'air froid, ton ultime pays libre te fouette
le visage, un vent chargé d'éternité disperse tes
cheveux, mais il rassemble tes morceaux épars et
te rend ton visage. Sur tes yeux privés de sommeil
passent doucement les doigts du clair de
lune, ils te montrent la vie comme un miracle
et se posent sur tes paupières sans te faire mal.
Désormais ton corps tout entier est invulnérable,
il vibre comme un arc tendu, il attend aux portes
du monde son dernier exil. Ton voyage n'est
plus qu'une paire de battements de cœur d'un
horizon à l'autre, l'étoile du matin, ton étoile,
te tend une corde pour la rejoindre, tu prends
pour la première fois conscience de ton innocence
en posant la tête sur la nuit épineuse. Seul,
vaincu et altier, tu t'appropries tous les destins
qui s'entrecroisent ici, en te balançant en silence
dans le vent, tu t'élèves, bien droit, au-dessus des
mensonges de la vie et de la mort. Une fois de
plus, la dernière, on entend les accents sublimes
du chœur, il débute doucement, puis s'amplifie
peu à peu, s'élève en vagues successives par-delà
les cieux et les nuits, dominant tous les bruits et
les silences du monde. "Ne t'arrête pas ! Saute !
Jette-toi dans le vide ! "Ce qui vous appelle, toi
et ta solitude, avec ta propre voix, c'est ce chœur
ineffable et somptueux, les tambours de la victoire
ou de la défaite, et le vent ... Le vent.
En remerciant les étoiles, dans ce matin sans
étoile où tu es mort dans une inexorable solitude,
d'un seul mouvement de ta tête affaissée,
tu as arrêté la nuit. Tu l'as arrêtée pour nous
tous. Très tôt, perché sur l'escalier de pierre qui
s'élève vers les cieux, tu as déployé tes ailes, l'une
vers la lumière, l'autre vers les ténèbres. Tu as
allumé la dernière bougie de ta résistance et en
souriant, peur-être, tu l'as offerte au jour naissant.
À cet instant-là une étoile est ressuscitée. Et
tu m'as laissé tes yeux pour que je puisse regarder
la vie comme un miracle.
Après tout la nuit finira, une aube nouvelle
éclairera le monde. La porte va s'ouvrir et la
grande parade des cieux, des déserts célestes, va
commencer.
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Nous rirons plus tard, pour l’instant je vais
vous emmener dans le bâtiment de pierre. Arrivé
à l’angle de l’édifice, vous aurez l’impression
d’être dans une impasse, mais droit devant, au
pied de l’escalier, la rue tourne à gauche. Vous
vous arrêterez là pour dire adieu au monde des
hommes. Le chemin qui nous a menés ici est
sans retour. Dedans, nuit et jour, la lumière est
allumée, tout est exposé à une clarté violente et
impitoyable et chacun est réduit à son ombre.
À chaque question, il faut faire une réponse
brève, une destinée tient en quelques phrases.
Il faut avouer. Le temps n’a plus d’autre sens.
L’homme est le plus vieux des mystères, c’est de
la matière qui parle.
Autrefois, j’ai aimé quelqu’un. Il est parti en
me laissant ses yeux. Il n’avait personne à me
laisser. Aimer... Ce mot-là, je l’ai trouvé en
fouillant dans mon cœur, en sondant inlassablement ces épaisses ténèbres. Mais personne
ne m’a dit que “chacun tue celui qu’il aime” !
Nous étions ensemble dans l’édifice de pierre.
J’ai longtemps prêté l’oreille aux bruits. Quand
mon tour est venu, le jour n’était pas encore levé.
Bien sûr, vous ne me croyez pas. Vous pensez
que ce bâtiment est issu de mon rêve ? Mais
nos rêves ne sont-ils pas le levain de la pâte dont
nous sommes pétris ? Finalement, l’aube va
naître, des traînées rouge sang vont apparaître à
l’horizon... Dans le ciel tendu, terne, tout plat,
les étoiles vont se solidifier et disparaître l’une
après l’autre. La dernière laissera pendre une
corde vers le bas, vers nous. Ta nuit muette, tes
mots coupés en deux et ensanglantés, tes ombres
errantes, privées de leur maître, tes rêves couleur
de cœur dont personne ne veut, tes mots
ailés vont pouvoir y grimper... Tous tes rêves,
venus vivre parmi nous et repartis sans crier gare,
vont pouvoir se hisser vers les profondeurs...
Dans les tréfonds où se perdent tout homme
et toute chose...
Mais vous ne m’entendez pas ? J’aurais peut-
être dû faire mon récit au passé. J’ai attaqué
ma chanson dans le mauvais sens, par la mauvaise
note.
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Tel un spectre aux orbites emplies de poussière, en t'aidant des mains, tu erres parmi les décombres, ton corps brisé se détache de tes os, c'est le temps lui même, vêtu de néant, qui grimpe le long de ton épine dorsale, tes mâchoires s'entrechoquent. En attendant que l'on t'arrache le dernier mot, tu te mords la langue. Tu rampes, plié en deux, sur les genoux, sur les coudes, vers le fleuve invisible derrière les rochers, en gardant le silence qui ensanglante tes lèvres... En rêvant de te réveiller dans des eaux ténébreuses, d'être mort depuis longtemps ... Tu as enfin compris le sens de la mélodie qui émane des murs, des profondeurs, des abysses... "Laissez-moi partir", dit le chœur des jeunes défunts. Il répète toujours la même chose, il ne dit rien d'autre. Tu n'en peux plus, tu te cognes la tête contre les pierres dures, contre le sol, tu frappes à la porte du cœur de la terre ... Les pierres ont pitié de toi, elles te protègent de ta propre image. Tu sors de toi-même, tu laisses derrière toi, comme une coquille vide, un corps à demi nu qui, jadis, semble-t-il, fut le tien. Mot après mot, tu te retires de ta propre histoire et, matrice grise, tu t'étales comme de la gélatine sur la nuit pétrifiée. Tu ne peux pas aller plus loin. Ces pierres, ce vent qui siffle dans les coins, chargé de cris, de gémissements, de supplications, les grondements du tonnerre, les ténèbres, les ombres errantes blotties les unes contre les autres et une mélodie persistante, obstinée, monotone ... L'aube que tu appelles dans la nuit imperméable aux mots, une ombre que ce monde n'a pas encore vue.
P.32
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présentation : Le Bâtiment de Pierre Asli Erdogan actuellement emprisonnée et ce depuis août 2016 pour ses écrits et en attente de son procès le 29 décembre 2016

Au coeur de l’onirisme, à la frontière du visible et de l’invisible, entre mémoire, rêve et cris, une femme se souvient du Bâtiment de pierre. Dans cette prison, des militants politiques, des intellectuels récalcitrants à la censure, des gosses des rues – petits voleurs de misère – se retrouvaient pris au piège.
De ce monde de terreur véritable, la narratrice de ce récit est pourtant revenue et sa voix, en une étrange élégie, se fait l’écho d’un ange, un homme qui s’est éteint dans cette prison en lui laissant ses yeux.

Ce livre est un chant dont la partition poétique autorise le motif en lui donnant parfois une douceur paradoxalement inconcevable. Un texte rare sur l’un des non-dits de la vie en Turquie.

http://www.actes-sud.fr/catalogue/societe/le-batiment-de-pierre
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J'écris la vie pour ceux qui peuvent la cueillir dans un souffle, dans un soupir. Comme on cueille un fruit sur une branche, comme on arrache une racine. Il te reste le murmure que tu perçois en plaçant ton oreille contre un coquillage vide. La vie : mot qui s'insinue dans ta moelle et dans tes os, murmure évoquant la douleur, son qu'emplissent les océans.
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Quelle romancière turque, dont les livres parlent surtout d'amour, vit aujourd'hui en exil en Allemagne après avoir purgé une peine de prison en Turquie ?
« L'Homme Coquillage », d'Asli Erdogan, c'est à lire en poche chez Babel
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