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Critique de michfred


Qu'est-ce que le courage?

Asli Erdogan répond à la question lancinante que nous nous posons en lisant ces 29 articles écrits dans l'ombre noire de la répression, dans le massacre des libertés , dans l'étouffement du droit des femmes, dans la violente épuration ethnique, politique, intellectuelle qui sévit sous la dictature turque.

Qu'est-ce que le courage?

C'est désespérer et écrire quand même.

C'est avoir l'obstination de la vague qui se brise et revient contre la falaise. C'est renouer sans cesse le premier mot avec le dernier, et le dernier avec le premier, dans un cycle infini, un inachèvement éternel, de plus en plus las- mais toujours inlassable.

C'est ressentir, dans la solitude et la peur, la fraternité des chiens en maraude,et d'en tirer juste assez de force vitale pour ne pas mourir d'abandon.

C'est continuer à réclamer, contre les dénis et les années, la reconnaissance du génocide arménien, de celui - en marche- des kurdes.

C'est vouloir être aux côtés des femmes qu'on voile, des journalistes qu'on musèle, des opposants qu'on arrête, qu'on torture..avec son arme à soi : les mots, la poésie, les mots si fragiles et si puissants de la poésie.

Qu'est-ce que le courage?

C'est être faible, être seule, être désespérée, être malade, être arrêtée, mais continuer pourtant..

En lisant Asli Erdogan - avec quelle émotion- j'entendais, derrière ses mots, ceux d'un grand poète urugayen, Jules Supervielle, dans un de mes poèmes préférés: "Attendre que la nuit.." :

"Attendre que la Nuit, toujours reconnaissable
A sa grande altitude où n'atteint pas le vent,
Mais le malheur des hommes,
Vienne allumer ses feux intimes et tremblants
Et dépose sans bruit ses barques de pêcheurs,
Ses lanternes de bord que le ciel a bercées,
Ses filets étoilés dans notre âme élargie,
Attendre qu'elle trouve en nous sa confidente
Grâce à mille reflets et secrets mouvements
Et qu'elle nous attire à ses mains de fourrure,
Nous les enfants perdus, maltraités par le jour
Et la grande lumière,
Ramassés par la Nuit poreuse et pénétrante,
Plus sûre qu'un lit sûr sous un toit familier,
C'est l'abri murmurant qui nous tient compagnie,
C'est la couche où poser la tête qui déjà
Commence à graviter,
A s'étoiler en nous, à trouver son chemin."

A la voix de Jules Supervielle, me semblait répondre celle , fragile et forte, d'Asli Erdogan:

" Ecrire, contre la nuit, avec la nuit..Avec ses hésitations, sa langue, ses répétitions... A l'aide de ses mots somnambuliques, de sa mémoire qui se terre en elle-même... A la flamme vacillante d'une bougie qui brûle dans le coeur, au point de bascule ... A la lueur d'une étoile qui continue de briller, bien que morte depuis longtemps, et que tu as rapportée des confins...Regarder la nuit où ne pénètre aucun regard, enfermer le vide infini entre les points et les lignes, tracer des embranchements dans l'obscurité, toucher de ses mille doigts effilés les ombres et leurs objets....S'ouvrir de toutes ses forces à un cri noir auquel tu n'as pas su répondre, l'emplir d'une voix errante... "

Qu'est-ce que le courage? C'est "attendre que la nuit", c'est écrire contre la nuit avec la nuit. Lutter contre l'ombre avec les mots de l'ombre. C'est trouver, dans la nuit même, les mots qui, s'étoilant en nous, trouveront son chemin , à elle...

Qu'est-ce que le courage quand le silence même n'est plus à vous?
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