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Critique de Kirzy


Louise Erdrich fait partie de ces auteurs américaines que je suis assidument, une voix littéraire forte pour porter l'étendard des communautés amérindiennes à l'instar d'une Toni Morrison pour la communauté afro-américaine. Cette fois, elle revient auréolée du très prestigieux Prix Pulitzer 2021 avec un roman inspiré par le combat politique de son grand-père, Patrick Gourneau lorsqu'il a défié le rouleau compresseur fédéral. Elle a retrouvé sa correspondance, formidable matériau de départ.

Le 1er août 1953, le Congrès des Etats-Unis adopte la Résolution 108 qui pose le principe de la politique de « termination ». Sous couvert d'égalité entre tous les citoyens américains, et d' « émancipation » il s'agit pour le gouvernement fédéral de renier les traités conclus de nation à nation avec les différentes tribus. In fine de supprimer les tribus en leur faisant perdre leur singularité autochtone. Officieusement de les dépouiller de leurs riches terres sises sur des réserves. Lorsque Thomas, président du conseil consultatif de la Bande d'Indiens Chippewas de Turtle Mountain ( Dakota du Nord ), double fictif de son grand-père, réalise la portée de cette loi scélérate, il décide de livrer combat dans ce nouveau front des guerres indiennes, une guerre légale, législative en préparant minutieusement son audience à Washington.

Celui qui veille n'est pas un roman à thèses. Louise Erdrich repense complètement le roman politique classiquement premier degré. Elle aurait également pu opter pour le rythme du thriller en exploitant un suspense quelque peu artificiel sur l'issue de la délégation chippewa au Congrès dans cette course contre la montre pour survivre et conserver ses traditions ancestrales. Elle propose plutôt un carnet d'esquisses croquant affectueusement les habitants de la réserve de Turtle Mountain. Leurs luttes prennent ainsi vie de façon très intime.

Le roman est structuré autour de deux personnages dont on suit les destins parallèles,  : Thomas, donc, et Pixie dite Patrice, jeune femme de dix-neuf ans qui travaille dans la même usine de pierres d'horlogerie que Thomas sur la réserve. Les deux ont quelque chose d'a priori très stéréotypée et pourtant on est immédiatement en empathie avec eux. Lui si bon, droit et parfait, qu'il en pourrait devenir ennuyeux ; elle si résolument battante qu'elle semble miraculeusement insubmersible même lorsqu'il s'agit de partir en mode guérilla urbaine retrouver sa soeur Vera. Deux personnages forts mais pas seulement, avec eux suivent les cercles sans cesse élargis de leurs relations.

En fait toute la puissance du récit naît des personnages, tournoie autour d'eux, de leurs émotions, de leurs colères, de leurs interactions foisonnantes. Ce sont eux qui guident la narration et l'imposent. Ce sont les maitres absolus du roman. Et ils sont très nombreux. Tellement qu'on pourrait décrocher de ce récit kaléidoscopique, être étourdi par l'alternance de chapitres courts changeant souvent de perspective narrative, chacun avec des cadences très fluctuantes. Au contraire, chaque nouveau personnage rajoute une couche d'intérêt et permette à l'auteur d'embrasser de nombreuses thématiques au-delà de la lutte contre le Termination Act : amour, identité, culture amérindienne, enlèvements et assassinats des femmes autochtones etc dans des tonalités très différentes passant de la tragédie la plus sombre à un sens du comique assumé. L'histoire est incarnée dans chaque parcelle écrite.

J'ai refermé ce roman très émue par son engagement lumineux et vibrant, empli d'une vitalité complice. Ce livre donne du courage, c'est un appel à l'Humanité sans lamento convoquant l'intelligence du lecteur à méditer sur le sens d'une lutte juste.
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