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sur 501 notes
Si vous ne connaissez pas encore l'univers de Louise Erdrich, magnifique auteure amérindienne, je vous invite à y entrer par cette porte : Dans le silence du vent. C'est un titre, je ne sais pas pourquoi, qui m'a tout d'abord fait penser à André Brink. Et pour cause, dans les causes défendues il y a quelques points communs, vous n'allez pas tarder à vous en rendre compte.
Nous sommes en Dakota du Nord, à la fin des années 80 dans une réserve amérindienne. Le narrateur, qui s'appelle Joe, se souvient de cet été-là, celui de ses treize ans. C'est un dimanche après-midi. La mère de Joe va subir un viol. Pendant plusieurs jours, cette mère va rester prostrée dans son silence, emmurée, distante des autres, des siens aussi. Elle veut juste disparaître, s'anéantir.
C'est le temps d'un été où la vie de Joe bascule brusquement du temps de l'adolescence à celui des adultes.
Le père de Joe est juge des affaires amérindiennes dans la réserve où ils vivent, et va s'emparer de l'affaire, mais le peut-il ? Car il y a les lois de l'état du Dakota du Nord, et celles de la réserve, qui s'opposent : le père a autorité sur le territoire de la réserve, mais le crime a été commis par un blanc et les pouvoirs du juge sont nuls dans cette circonstance. Et la justice de l'Etat n'intervient pas dans la réserve.
Joe comprend rapidement que l'injustice fait force de loi contre l'impunité. Pour lui c'est la double peine. Il va se lever, crier. Ce roman est une colère, un cri. Celui de Joe, mais aussi de toute une communauté amérindienne. C'est aussi le cri de Louise Erdrich, qui prend fait et cause, qui écrit. Elle crie, elle écrit.
La force de l'écriture nous propulse dans les mots de Joe, dans sa voix, dans ses tripes, dans sa douleur. La douleur d'un enfant qui découvre que sa mère vient d'être violée, meurtrie, déchirée. C'est la douleur d'un enfant en découvrant la douleur de sa mère qu'elle voulait cacher à son entourage.
Combien de fois avons-nous lu ces lignes dans des romans aimés : « plus rien ne sera comme avant » ? Combien de fois y avons-nous songé en lisant des romans qui nous suscitaient cette impression ? Ici, plus que jamais, cette sensation s'affirme pour Joe. A toute force, il va chercher à réparer la blessure de sa mère. Par la justice ou par toute autre forme, qu'importe le chemin...
C'est le chemin d'un enfant qui grandit dans la douleur, une forme de souffrance insurmontable qu'il ne peut accepter. Avec Joe, nous sommes forcément dans cette révolte.
Pour autant Joe s'accroche encore à ce temps qui s'en va, c'est le temps de l'amitié et de la tendresse, Joe et ses trois amis vont faire corps pour chercher, mener leur enquête, tenter d'inverser cette justice jetée d'avance sur la table... Ils vont continuer malgré tout à partager des instants précieux, par exemple ces temps de baignade où brusquement une sorte de légèreté traverse avec fulgurance la tragédie que les personnages vivent.
Ce livre est une révolte, une croisade. Un combat. Ici c'est la voix de l'Amérique oubliée, plus que jamais. Lorsque j'ai lu ce roman, les États-Unis étaient dirigés par Barack Obama. Aujourd'hui, connaissant le personnage ubuesque qui dirige ce pays, qu'en est-il des droits et du respect de cette communauté ?
La forme de l'écriture, que j'ai trouvé magnifique et empreinte de poésie, m'a amené en totale empathie avec Joe, j'étais dans le personnage, j'étais Joe, Je ressentais son chagrin, son émotion lorsqu'il découvre ce qui est arrivé à sa mère. Ces pages sont particulièrement fortes. Elles vibrent entre nos mains. Et nous sommes Joe à cet instant-là. Nous avons mal. Nos bras sont ballants, se résignent pour un instant et brusquement se lèvent comme dans une colère ardente qui ne veut rien céder...
J'ai ressenti ses joies aussi. Car le roman est aussi fait de joies. L'insouciance de l'adolescence malgré tout, comme un geste ultime qu'on retient avant de basculer dans le temps des adultes, est décrite dans de très belles pages.
Nous avançons avec Joe, dans ses pas. Quelques légendes indiennes, au son des tambours et des chants rituels, cheminent avec nous, tandis que les rêves d'enfant de Joe s'effritent et disparaissent, emportés par une rage de justice. C'est peut-être aussi la rage de Louise Erdrich qui se mêle aux mots du narrateur.
Au fond, rien n'a changé en Amérique. C'est toujours ce monde cruel et injuste qui domine. Qu'en est-il aujourd'hui trente ans plus tard, dans cette Amérique d'aujourd'hui...?
Longtemps plus tard, le cri de Joe résonne encore en nous. Mais c'est peut-être plutôt celui de Louise Erdrich dont la voix n'est pas prête de se taire.
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Dans l'antre du bison…

De quoi serions-nous capables si notre mère était violée ? Si la matrice sacrée, notre matrice sacrée, le berceau premier, était profané ? Et que nous étions adolescents au moment du drame ?

C'est sur la base de ces questions terrifiantes que Louise Erdrich, auteure amérindienne, a construit son roman. Et sur la base de statistiques glaçantes : Une femme amérindienne sur trois sera violée au cours de sa vie ; 86 pour cent des viols et des violences sexuelles dont sont victimes les femmes amérindiennes sont commis par des hommes non-amérindiens. Et, enfin, sur un constat amer : l'enchevêtrement de lois qui dans les affaires de viol fait obstacle aux poursuites judiciaires sur de nombreuses réserves indiennes existe toujours.

A la fin des années 80, après le viol brutal de sa mère, Joe, jeune indien de treize ans qui vit dans une réserve dans le Dakota du Nord, va devoir admettre que leur vie ne sera plus jamais comme avant. Sa mère, très marquée, prostrée, encagée, mettra du temps pour sortir de sa léthargie, pour entrer de nouveau dans le cercle familial et renouer avec la parole. Joe comprend peu à peu que son père, qui s'est emparé de l'enquête étant juges des affaires amérindiennes dans la réserve, ne peut rien. En effet, ils ne savent pas exactement où le viol a été commis, s'il s'est produit au sein de la réserve, sur une terre tribale, sur un terrain privé, sur une propriété blanche. Et le viol a été par ailleurs commis par un blanc. Impossible d'engager des poursuites judicaires sans savoir quelle loi s'applique…Face au regard de bête traquée de sa mère sous sa couverture qui « regarde fixement comme du fond d'une grotte obscure », face à son allure d'araignée repoussante et étrange, le jeune garçon n'aura d'autre choix que de mener sa propre enquête, son voeu le plus cher étant de revenir comme avant. Cette impossibilité de retour en arrière et sa quête marqueront pour lui la fin de l'innocence.

L'écriture est tranchante, simple, sans circonvolution, elle touche exactement là où ça fait mal. La plume acérée est flèche, comme tirée d'un arc, elle se fait alors lame. Des phrases directes et limpides, claquantes, comme le feraient les mots d'un adolescent meurtri, fou de douleur. Et nous sommes précisément dans la tête de Joe, à hauteur d'enfant. Ce sont ses entrailles qui parlent, ses tripes, son instinct, son coeur. Les mots de Joe sont souvent tout en retenue, non par politesse ou par pudeur, simplement parce qu'il ne sait pas toujours comment exprimer des sentiments qui le dépassent. Quelques mots seulement, un regard, une position permettent de percevoir l'immense détresse qu'il ressent face à sa mère, déchirée, qui ne cesse de tomber encore et toujours dans le puits de l'horreur. Impossible de ne pas éprouver une profonde empathie pour le jeune Joe, il est intéressant de noter d'ailleurs que nous sommes paradoxalement plus proches de l'enfant, étant dans sa tête, que de la victime qui nous met mal à l'aise.

Il y a les mots également pour raconter le désir physique qu'il éprouve pour la femme de son oncle, Sonja. Les descriptions physiques sont formidables et que dire de cette scène de strip-tease hallucinante, cadeau de la jeune femme qui n'a pas froid aux yeux au doyen de la famille, nonagénaire. Il y a les mots pour décrire la chute du père du piédestal sur lequel tout enfant place son père, les lézardes dans l'admiration confiante et aveugle qui fait de tout père un héros. Désir et prise de conscience qui signent la fin de l'enfance, le passage de l'adolescence à l'âge adulte.

« Elle avait un grand sourire blanc éblouissant et tape-à-l'oeil. Elle a levé les yeux et l'a dirigé vers moi quand je suis entré. Une vraie lampe à bronzer. Ses cheveux moussus comme de la barbe à papa étaient gonflés en une tourbillonnante couronne jaune, une longue et hirsute queue de cheval s'en échappait et tombait dans son dos. Comme toujours, elle était vêtue de façon spectaculaire – ce jour-là un survêtement bleu layette bordé d'un liseré à paillettes, le haut ouvert aux trois-quarts. J'ai retenu mon souffle à la vue de son T-shirt, une étoffe plus claire aussi transparente que des ailes de fée ».

Le récit intègre avec subtilité les rites et coutumes indiennes, les costumes aux empiècements brodés de perles, aux ornements façonnés et aux longues franches en cuir, les danses au son des tambours, mais aussi de vieilles légendes indiennes que raconte l'aïeul dans son sommeil. le roman prend alors la forme du conte et son onirisme vient s'entrelacer subtilement avec le pragmatique coeur du livre constitué de l'enquête. Ces croyances chamaniques qui se superposent alors à la religion catholique dont il est fait un large prosélytisme auprès des indiens, teintent l'histoire d'une ambiance mystique et sacrée dans laquelle le côté thriller puise une belle profondeur. Ce mysticisme, où le Bison est figure centrale, est tel un vent silencieux permettant de ressentir, sous l'aspect très factuel du crime, quelque chose de plus vaste, de plus mystérieux.

« Les chasseurs dans les plaines peuvent survivre à une tempête meurtrière en s'aménageant un abri dans une peau de bison dépouillé aussitôt, mais il est dangereux de pénétrer dans l'animal. Tout le monde le sait. Pourtant dans son délire, aveuglé et attiré par sa chaleur, Nanapush se glissa à l'intérieur de la carcasse. Quand il fut là, le confort subit le fit défaillir. le ventre plein et environné de chaleur, il perdit connaissance. Et pendant qu'il était inconscient il devint un bison ».

Livre sur l'amitié pure et éternelle comme peuvent le vivre les adolescents, sur la communauté et les liens familiaux, sur la fin de l'enfance, sur le désir, sur la justice, justice des hommes et justice divine, sur le racisme des blancs envers les indiens, ce récit riche et captivant montre que si tout le monde n'a pas de monstre en lui et que la plupart de ceux qui en ont le gardent sous clé, une fois libéré cependant, la question de la captivité et de la mort du monstre est éminemment dramatique. Quelle que soit l'issue. Justice ou pas.

Merci à mes chères amies Sandrine (@Hundreddreams) et Nicola (@Nicolak) pour cette lecture commune qui m'a permis de découvrir cette auteure. Ce fut une découverte pour toutes trois. Nous avons été sensibles au cri de Louise Erdrich face à l'injustice et à la violence dont sont victimes encore aujourd'hui les indiens, émerveillées par son écriture, flèche dont les plumes bigarrées mâtinent le texte de touches oniriques de toute beauté.

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Louise Erdrich, c'est la voix d'une Amérique oubliée, celle qui danse avec les loups sur les territoires désormais saccagés de la mémoire indienne.
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Née en 1954 dans le Minnesota d'un père d'origine allemande et d'une mère Ojibwa, l'auteur conjugue fiction et ethnographie pour ravauder l'identité de ces communautés qui, aux confins des grandes plaines, vivent sur les décombres d'une culture jadis enracinée dans la chair de l'Amérique.
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Dans le silence du vent se situe au coeur d'une réserve indienne du Dakota, en pays Ojibwa. Nous sommes en mai 1988, un dimanche après-midi, en compagnie de Joe, 13 ans, le narrateur.
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Avec son père, juge au tribunal tribal, il bricole autour de leur bungalow en attendant le retour de sa mère, Geraldine, la généalogiste de la communauté -un inextricable enchevêtrement de réseaux familiaux dont elle connaît les moindres secrets.
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Mais Géraldine, retournée chercher un dossier dans son bureau après avoir reçu un appel téléphonique, tarde vraiment à rentrer.
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Son mari embarque Joe dans sa voiture et les voilà partis la "trouver", comme il dit, invoquant moult explications hypothétiques au retard de sa femme.
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Ils croisent son véhicule, elle regarde droit devant elle, sans reconnaître personne, puis se gare devant leur maison.
Géraldine est tétanisée, elle a été violemment agressée et violée.
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Le cocon familial a volé en éclats. Géraldine ne se lève plus, n'ouvre plus les volets, ne parle plus, ne mange plus.
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Alors Joe, du haut de ses 13 ans, va enquêter, aidé par ses trois meilleurs copains.
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Mais on apprend que même si le coupable est découvert, selon l'endroit très précis où le viol s'est passé, il n'est pas certain qu'il soit inculpé à cause des imbroglios juridiques dont sont victimes les Indiens.
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Merci au journal L'Express, qui m'a largement aidée pour le début de ce retour.
C'est un livre si riche, si puissant, si émouvant, que les mots me manquaient.
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Il faudrait pouvoir mettre plusieurs étoiles de plus à un tel chef d'oeuvre.

On s'immerge complètement dans le récit, on s'attache à tous les protagonistes qui sont magnifiquement croqués.
Même les personnages secondaires sont importants. Les amis, la famille, les copains, tous ces gens très soudés au final.
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Et pour le temps d'un livre, ils deviennent notre famille. Une famille de coeur, celle qu'on a choisie.
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Le style est parfait, très fluide tout en restant simple puisqu'un gamin de 13 ans relate les faits.
Il nous arrive aussi de sourire aux anecdotes qui parsèment le récit ; ça fait du bien et nous permet de reprendre notre souffle.
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Je ne sais pas pourquoi je découvre Louise Erdrich aussi tardivement, mais je suis loin d'en avoir fini avec elle.
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J'ai été ravie de faire ce voyage avec mes amies Chrystèle (Hordeducontrevent) et Sandrinette (HundredDreams) que je remercie d'avoir partagé ces moments magiques avec moi.
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Livre sur l'adolescence, sur la condition amérindienne aujourd'hui et sur les souffrances liées au viol, Dans le silence du vent est aussi et surtout une histoire magnifique. Celle de Joe, 13 ans, qui vit dans une réserve indienne du Dakota entre son père juge et sa mère avocate, tous deux attachés au Bureau des Affaires Indiennes. Sa vie bascule le jour où sa mère se fait violer.

Car il doit désormais se débrouiller sans cette femme épanouie et souriante qui lui préparait ses repas, mettait des fleurs partout et l'écoutait parler de l'école ou des copains, et ne peut plus maintenant que dormir et pleurer...

Car, confronté à la négligence des policiers et à l'ineptie du droit américain quant aux juridictions indiennes, il décide de mener l'enquête lui-même, avec l'aide de ses 3 amis d'école, son vélo, les bons repas et les histoires légendaires de sa grande famille...

Car il reste un gamin, émoustillé par toutes les jolies filles, constamment à la recherche d'un truc à manger, friand de fêtes et de jeux, mais devient aussi un homme, pleinement conscient des injustices du monde et de sa condition d'indien, décidé, volontaire, implacable...

Ce livre m'a apporté beaucoup de plaisir et d'émotion, pour son histoire bouleversante, pour ses personnages attachants, pour cette découverte du monde amérindien, pour le choc de cette situation inique, pour le style percutant et poétique.

Merci donc à Babelio et au Livre de Poche pour cette belle Masse Critique.
Challenge Pavés 2015/2016 5/xx et challenge Atout Prix 9/xx
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C'était mon premier rendez-vous avec Louise Erdrich. Elle fait partie de ces auteurs que je m'étais promise de lire un jour. C'est aujourd'hui chose faite et je ne regrette qu'une chose, c'est de ne pas avoir lu ses livres avant.
J'ai été très sensible à son univers, à son écriture, à son récit intimiste, aux émotions qu'elle transmet simplement à ses lecteurs. Elle donne vie à des personnages justes, réalistes et très touchants.

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En choisissant comme point de départ de ce roman le viol particulièrement brutal d'une Amérindienne, Louise Erdrich pose un regard sur le problème des crimes sexuels dans les réserves indiennes des États-Unis. On apprend beaucoup sur la juridiction des zones, les lois qui permettent à des hommes de commettre des atrocités sans jamais être inquiétés ni punis.

« Nous voulons le droit de poursuivre les criminels de toutes races sur toutes les terres comprises dans nos limites originelles. »

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En lisant l'incipit, j'y ai vu une sorte de miroir, un reflet du récit à venir.

« Des petits arbres avaient attaqué les fondations de notre maison. Ce n'étaient que de jeunes plants piqués d'une ou deux feuilles raides et saines. Les tiges avaient tout de même réussi à s'insinuer dans de menues fissures parcourant les bardeaux bruns qui recouvraient les parpaings. Elles avaient poussé dans le mur invisible et il était difficile de les extirper. »

Lorsqu'un roman commence ainsi, un père et son fils arrachant les racines d'arbres poussant dans les soubassements de leur maison, cette image forte et très visuelle ne peut que nous faire espérer tenir entre les mains, un magnifique roman, riche en émotions. Cette espoir s'est vu confirmer au fil de ma lecture : le récit est certes poignant, dur, mais il y a des éclats de beauté inattendus, une force poétique dans le récit, dans les mots qui frappent et les émotions qui étreignent.

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L'autrice, dès les premières lignes, nous plonge dans une atmosphère étouffante, oppressante. Cette impression tenace et douloureuse paraît figer le temps.
La famille Coutts avait toute pour être heureuse jusqu'au jour où, par un doux dimanche de printemps 1988, le drame les frappe durement et leur vie bascule : Géraldine, la mère de Joe, est violemment agressée et violée dans la réserve Ojibwée.

Les cicatrices les plus visibles guérissent avec le temps, mais le viol laisse un profond traumatisme psychologique sur Géraldine qui s'isole des siens et se réfugie dans la solitude rassurante de sa chambre.

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Avec justesse et sensibilité, Louise Erdrich se glisse dans la peau du jeune adolescent. C'est à travers ses yeux que l'on embrasse le violent bouleversement de son monde. Et l'on voit comment ce crime terrible va bouleverser et transformer sa famille à jamais.
Chacun à leur manière essaie de reprendre pied : Géraldine, autrefois souriante et maternelle, se recroqueville dans la peur et la claustration tandis que le père et le fils tentent d'obtenir réparation et justice en recherchant eux-mêmes le coupable.

Le récit s'approprie différents genres, tout en soignant le fond comme la forme. Ainsi, si l'histoire prend l'allure d'un roman policier ou d'un thriller, Louise Erdrich visite le roman initiatique, tout en nous invitant à pénétrer dans la spiritisme de la culture amérindienne.
Le récit devient très vite prenant, l'autrice disséminant avec subtilité les indices tout au long du récit pour nous faire entrevoir la vérité.

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« de tout mon être, je voulais revenir au temps d'avant tout ce qui était arrivé. Je voulais rentrer dans notre cuisine qui sentait bon, m'asseoir à la table de ma mère avant qu'elle ne m'ait frappé et avant que mon père n'ait oublié mon existence. »

Le monde de Louise Erdrich est tragique, violent, fragile, injuste mais il est également tendre et émouvant. Si la tragédie et la recherche de justice sont au centre de l'intrigue, Louise Erdrich dresse le portrait vibrant d'une famille qui apprend à se reconstruire sur des fondations fragilisées. Les personnages sont superbement bien observés et décrits. Elle les dénude, nous laissant entendre leur peur, leur colère, leur culpabilité, leurs regrets.

« Je me suis allongé par terre, j'ai laissé la peur me recouvrir, et essayé de continuer à respirer pendant qu'elle me secouait comme un chien secoue un rat. »

J'ai aimé la façon dont le père et le fils, si démunis et perdus au départ, vont aider Géraldine à se relever, à reprendre goût à la vie. C'est beau, sincère, émouvant, bouleversant.

« Quand la pluie tiède tombe en juin, a affirmé mon père, et que le lilas s'épanouit. Là, elle descendra. Elle adore le parfum du lilas. Un vieux bosquet d'arbustes planté par le délégué agricole de la réserve fleurissait contre l'extrémité sud du jardin. Ma mère a raté sa splendeur. Les faces frêles de ses pensées ont resplendi et puis les églantiers dans les fossés se sont parés d'un rose naïf. Elle les a ratés aussi. Maman avait semé ses fleurs à massif chaque année, d'aussi loin que je m'en souvienne. Elle disposait ses bacs en briques de lait sur le plan de travail de la cuisine et sur les appuis de toutes les fenêtres orientées au sud, en avril – mais les jeunes plants de pensées étaient les seuls qui avaient survécu pour être repiqués dehors. Après cette semaine, nous avions oublié de nous occuper de tous les autres. Nous avions trouvé les tiges grêles desséchées et craquantes. Papa avait jeté les plants et la terre au fond du jardin et brûlé les fonds de briques de lait avec les ordures, détruisant ainsi les traces de notre négligence. »

Ce que j'ai aussi particulièrement aimé, ce sont les liens familiaux et communautaires très forts, qui vont se resserrer autour de la famille Coutts. C'est toute une dynamique d'entraide, de solidarité, d'amitiés qui va se créer pour les aider, sans voyeurisme ni curiosité malsaine. Ce roman dégage beaucoup d'humanité, de sensibilité et de générosité.

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Tout le talent de conteuse de Louise Erdrich s'exprime dans sa façon d'entremêler l'histoire familiale à des thématiques très fortes autour de la famille et de la communauté, de la culture et des traditions indiennes, de la vie dans les réserves.
Le monde évoqué par Louise Erdrich baigne dans une atmosphère de réalisme magique fortement enraciné dans les légendes et les croyances, les rituels et le monde des esprits, le pouvoir des animaux totem, ...

Mais elle réveille nos consciences sur la réalité vécue par les Amérindiens d'aujourd'hui, entre tradition et modernité, coutumes et impact de la culture américaine, spiritualité et catholicisme, identité autochtone et assimilation forcée.
En effet, l'autrice innerve son roman de problématiques liées à la pauvreté, l'alcoolisme, la drogue, l'exclusion et au racisme. Elle soulève des questions graves concernant l'injustice et la privation des droits des groupes minoritaires.

Mais, même si la trame est sombre, on ne tombe jamais dans le sordide ou dans le pathos.
Le ton est toujours juste, sans grandiloquence, sans colère, rendant le récit réaliste et émouvant. Plusieurs scènes sont particulièrement touchantes, l'autrice maîtrisant parfaitement la force émotionnelle, en particulier dans le premier et le dernier chapitre.
Le récit à hauteur d'enfant amène également des moments plus légers, plus doux.

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L'écriture de Louise Erdrich est magnifique de simplicité, de délicatesse, de pudeur et de retenue. C'est de cette manière qu'elle m'a vraiment touchée.
De façon très inattendue mais opportune, l'humour s'invite dans ce récit, permettant au lecteur de reprendre son souffle lorsque les émotions envahissent l'esprit.

Les dernières pages surprennent, si brutales et si obsédantes, comme un coup de poignard dans le dos.

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Pour conclure, « Dans le silence du vent » est un magnifique roman d'une grande richesse psychologique. Il a la beauté et le piquant de la rose. Les souvenirs douloureux et tristes émaillent le texte parfois traversé d'instants de paix, de légèreté et de douceur.

J'ai été séduite par l'univers de Louise Erdrich, par son écriture poétique et acérée, par ses personnages attachants, par leur histoire émouvante. Ce livre m'a donné envie de découvrir les autres romans de l'autrice et en particulier « LaRose » et « La malédiction des colombes » dans lesquels on retrouve plusieurs personnages de ce récit.

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Je remercie Chrystèle (@ HordeDuContrevent) et Nicola (@Nicolak) pour cette magnifique lecture partagée. Nous ne connaissions pas les livres de Louise Erdrich, mais nous avons toutes été captivées par ce récit et sensibles aux messages de l'autrice.
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Depuis mon inscription sur Babélio, je considère le chemin parcouru et je me souviens de mes premiers chers ami (es), qui se reconnaitront et m'incitaient à ouvrir mon champ de lecture….et de la haute résistance que j'opérai, notamment avec Nastasia B qui pourtant n'était pas à court d'arguments… même si c'était que son humble avis….comme elle aime à le dire… !

Cela a continué à germer et de tous vos encouragements et incitations, nait ici le fruit d'une lecture que je n'aurai jamais imaginé faire…il y a un peu plus d'un an….qui ne correspond pourtant pas à mes « affinités littéraires ».

J'avais encore hésité à acheter pourtant dans son édition originale chez Albin Michel dans une foire aux livres…c'est le titre poétique plus que le thème qui m'a irrésistiblement incité, il fallait que j'évolue… un roman de surcroit américain sous forme d'enquête….pourquoi pas….un bon compromis !

Voilà Fleur contre toute attente, arrivée en Dakota du Nord dans une réserve amérindienne…pour 460 pages afin de découvrir ce qui se cache derrière cet auteur, ce titre…

Dans le silence du vent, Louise Endrich fait parler Joe 13 ans : fils d'un juge fédéral et d'une mère spécialiste des appartenances tribales. Ils vivent sur un territoire bien délimité qui n'appartient pas à la réserve, la loi ne peut donc s'appliquer aussi improbable que cela puisse paraître, quand bien même sa mère vient d'être violée….

Joe comprend très vite que c'est « l'injustice » des hommes vis-à-vis des indiens qui fait force de loi et que rien d'autre n'aboutira.

Alors avec Angus, Cappy, Zack, ses frères de coeurs, sur leurs vélos, j'ai suivi leurs péripéties d'adolescents, parce qu'ils décident de mener l'enquête. Ils sont bourrés de tendresse, de complicités, d'espiègleries, cette bande de copains. Ils profitent du regard bienveillant des habitants de la réserve, parfois de leur complicité, vivent leurs premiers émois, écoutent et participent aux histoires rituelles de cette communauté…

Joe est un fin stratège avec ses colistiers… l'air de rien, il avance et chemine avec détermination et pugnacité, gravité…pour comprendre ce qui s'est passé et protéger ses parents.

Jusqu'où va-t-il aller ?

C'est la force de Louise Endrich dans ce roman d'avoir écrit de telle sorte, qu'on est dans la peau de ce gosse de 13 ans et c'est juste captivant, sublime, émouvant, attachant. Je ne m'attendais pas à cette « chute »...
Cela m'a soufflé….

«Dans le silence du vent», à travers ces pages, j'ai entendu un cri…silencieux s'exprimer…celui de Joe…..
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Antone Bazil Coutt a treize ans et vit avec ses parents dans une réserve indienne du Dakota du Nord. Tout le monde l'appelle Joe. Alors qu'il arrache avec son père, juge pour les affaires indiennes, des arbrisseaux qui poussent au pied de leur maison, ils voient leur mère se garer devant le garage, les mains rivées au volant, en état de sidération totale. Elle vient de se faire violer et tabasser par un inconnu.
A partir de cet instant la vie de Joe va basculer dans le monde cruel des adultes. Il n'aura de cesse que de trouver le coupable.
« Dans le silence du vent » raconte avec beaucoup d'humanité et de vraisemblance un fait divers qui touche une femme amérindienne sur trois, pour celles qui ont eu le courage de porter plainte. Dans la plupart des cas la justice ne poursuit pas le coupable car c'est souvent un non-amérindien.
Louise Erdrich nous livre un énorme roman d'une grande sensibilité qui ne peut laisser personne indifférent. Elle dénonce avec beaucoup de talent un système déloyal qui, espérons-le, sera réformé un jour.
Son écriture claire et efficace déroule une histoire qui immerge le lecteur dans la société indienne, avec ses croyances, ses codes et dont notre occidentalisme devrait s'inspirer afin de s'améliorer.
Louise Erdrich a été récompensée par le National Book Award et son roman a été élu meilleur livre de l'année 2012, autant de prix largement mérités.
Traduction de Isabelle Reinharez.
Editions Albin Michel, le livre de poche, 490 pages.
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Louise Erdrich fait partie des autrices que je m'étais promis de découvrir un jour. Je n'étais pas disponible pour la lecture commune de mes amies HundredDreams, HordeDuContrevent et Nicolak, mais leurs critiques unanimes quant à la note m'ont décidée pour ce livre ci.

Est-ce leurs critiques lues récemment si élogieuses que j'en attendais énormément, est-ce mon contexte personnel qui ne me rendait pas très réceptive à des scènes se passant dans un hôpital, il m'a fallu quelques dizaines de pages pour être conquise, d'où la demi-etoile retirée, mais j'ai ensuite dévoré et apprécié chaque page de ce livre.

Une femme est violée. Cette femme est amérindienne et vit dans une réserve. On ne sait pas exactement où le viol a été commis, et cela a son importance puisque suivant ce lieu, des lois et des juridictions différentes peuvent s'appliquer, ou non. Et le criminel le savait. Et il a soigneusement prémédité l'endroit de son crime pour ainsi échapper à la justice.

Cette femme a un enfant, un fils, adolescent au moment des faits. Un fils qui va devoir soudain grandir, Un fils qui va devoir admettre que la vie ne sera plus jamais comme avant, que ces heures fatales ne pourront jamais s'effacer. Un fils qui va se rebeller devant l'impuissance des juges, un fils qui va mener lui-même l'enquête, prêt à tout pour que sa mère puisse revivre sans craindre à tout instant que son violeur ne l'agresse à nouveau.

C'est un roman magnifique, dans lequel Louise Erdrich peint avec beaucoup de nuances les sentiments qui agitent les personnages et nous transmet grâce à son écriture à la fois puissante et intimiste les émotions qui les traversent. Ce gamin de treize ans m'a profondément émue, lui et tous les personnages qui interviennent dans le roman. Sa famille bien sur, la mère touchée dans son intégrité, son père juge, victime des absurdités de la loi, mais aussi ses amis, avec pages inoubliables sur l'amitié entre adolescents, et tous les autres....
J'ai aimé découvrir un peu plus ce peuple et ces traditions, mais il serait réducteur de penser que ce livre ne vaut que parce qu'il est écrit dans ce cadre. il est beaucoup plus universel que cela.
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Dans sa réserve indienne du Dakota du Nord, Joe est un adolescent comme les autres. Toujours entouré de ses trois meilleurs amis, il n'aime rien tant que de parcourir les sentiers à vélo, traîner à la station-service pour admirer les formes généreuses de sa tante Sonja, pêcher à la ligne ou boire de la bière en cachette. Pourtant, l'été de ses treize ans, sa belle insouciance heurte de plein fouet la triste réalité de sa condition d'amérindien. Sa mère se fait brutalement violer par un blanc et ne doit la vie sauve qu'à sa présence d'esprit et un petit coup de pouce du destin. Cette femme active, avocate au Bureau des Affaires indiennes, mère épanouie et généreuse, n'est plus que l'ombre d'elle-même. Pour Joe, la vie change du tout au tout, l'ambiance à la maison se fait pesante et même son père, l'inébranlable juge Coutts, est désemparé. Sa mère refusant de parler du viol, la police est impuissante et Joe décide de mener sa propre enquête.

Louise Erdrich ne compte plus les best-sellers dans son oeuvre dédiée à la cause de son peuple. Dans ce beau roman d'apprentissage, elle évoque les injustices dont sont toujours victimes les amérindiens. La loi est la même pour tous aux Etats-Unis mais les réserves disposent de leurs propres polices et tribunaux. Si ce système fonctionne plutôt bien quand il s'agit d'arrêter, d'inculper ou de juger un indien, les choses se corsent lorsqu'une affaire implique un blanc et se compliquent encore si le crime a eu lieu en dehors du territoire de la réserve. Confronté à une injustice flagrante, Joe s'interroge sur les relations entre son peuple et les blancs, sur la Justice, l'impunité des blancs et la possibilité de faire justice lui-même.
Cri de colère et d'impuissance d'un adolescent et de tout un peuple, Dans le silence du vent est aussi le roman de l'enfance, de l'amitié, du passage difficile à l'âge adulte. Un roman poétique, imprégné de vieilles légendes indiennes, illuminé par un Joe déterminé, épris de justice, fier de ses racines et toute une cohorte de personnages drôles, émouvants, attachants. Un gros coup de coeur.
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Joe est un adolescent indien âgé de treize ans. Il vit dans une réserve du Dakota du nord dans les années 80.

À travers son regard et ses mots on ressent les éclats d'injustice et de violence qui s'abattent sur sa famille après le viol de sa mère. L'impuissance de la loi tribale face aux crimes commis par les non-Indiens sur la terre des Indiens est un cri de rage.
Un cri dans le silence du vent, qui résonne de la légende de Akii et Nanapush, du Wiindigoo, des grands-pères et la tente à sudation, mêlés au goût de cake à la banane, aux bières et cigarettes chapardées, aux perles et aux plumes du Powwow pour touristes, aux mots âpres et impudiques des vieilles femmes.
Dans le silence du vent, on entend cette violence qui déchire la liberté et la justice, l'insolence des adolescents à la recherche d'un équilibre entre le passé de leurs ancêtres et leur présent dans la réserve.

Le style de l'auteure m'a tout de suite plu. L'absence de signes pour les dialogues rend l'histoire écorchée, comme racontée sur le vif. C'est un cri de colère à la couleur de la beauté sauvage des Indiens déracinés sur leurs propres terres. Un roman d'une pureté sombre, brutale, déchirante.


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