Citations sur Le jeu des ombres (91)
Gil avait grandi avec les condensés du Reader’s Digest, et des romans à suspense en édition de poche. Il continuait à adorer les sitcoms. Irene avait grandi avec Shakespeare. C’était peut-être snob de le prendre à cœur. Mais elle y accordait de l’importance quand on lui soutenait qu’ils étaient pareils. Non, nous ne sommes pas pareils, répondait-elle. Nous avons des sensibilités totalement différentes.
Pourquoi tu as fait ça ? poursuivit Gil jusque dans la cuisine, et en se versant du vin il éprouva des remords. Pas de véritable remords, mais le genre de remords qui trouvent un exutoire en devenant la raison d’un cadeau.
"Il y avait des jours où Irène et Gil, tellement épuisés par le combat, quittaient tout simplement leurs tranchées et s'enlaçaient au-dessus des têtes de leurs enfants. On criait "pouce". Toute la famille s'aimait d'amour tendre. Juste après la fête, il y eu une forte chute de neige et la famille passa une de ces merveilleuses soirées-là. Quelque part, des branches chargées de neige tombèrent sur des lignes électriques, privant de courant les maisons de ce secteur de la ville. Riel et Stoney, qui regardaient la télévision au sous-sol, remontèrent à l'aveuglette. L'écran d'ordinateur de Florian s'éteignit et il descendit en appelant ses parents. Gil sortait de la cuisine, Irène y entrait. Ils se heurtèrent en douceur et restèrent un instant dans les bras l'un de l'autre. Les chiens silencieux répartirent leur attention entre eux tous, les regroupant dans une pièce."
Avec le temps, elle en était convaincue, pourvu qu'elle observe son père assez attentivement, elle trouverait comment triompher de lui.
Je ne vais pas repartir à zéro, assura Irène. Je suis repartie de zéro plus de mille fois. Tu ne t'en es jamais aperçu, jusqu'à ce que je décide d'arrêter. Je ne repartirai jamais à zéro avec toi. Je veux simplement que ce soit terminé. Je veux que tu me laisses partir. Allez, partage les enfants, ne fais pas souffrir tout le monde.
Une surprise ressemble-t-elle à une trahison ?
Gil, agacé, se tourna vers lui, mais fut pris au dépourvu par la beauté de son fils. Florian n’avait pas mis ses lunettes et ses yeux bruns, fendus, rehaussés par de courtes et parfaites pointes de cils bien raides, brûlaient d’un sombre éclat contre sa peau claire. Ses cheveux formaient un pic au-dessus de son front, au milieu, et jaillissaient en touffe vers l’avant. La façon dont tout en buvant Florian laissait aller ses hanches contre le plan de travail était spontanée, présexuelle.
Il avait la certitude qu'existaient des interstices, des ouvertures, des brèches, dans le mur qui se dressait entre eux. Ce mur était composé de décombres immatériels. Dits et non-dits, actes, malentendus, un agglomérat de moments empilés, duquel, croyait-il, pouvait percer un pur moment. Ou un symbole. Ou une métaphore. (p.149)
Le kitsch est pire que le mauvais goût, Gil, c'est de l'hypocrisie. (...) C'est représenter quelque chose et lui donner une apparence solide, charmante et lisse alors qu'elle est fracturée, douloureuse et malsaine. (p.99)
Le kitsch, dit-il avec un soupir, n'apparaît que dans une culture de consommation et une religion iconique, une religion de la représentation. (p.97)