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Critique de berni_29


Je viens de terminer la lecture de L'enfant de la prochaine aurore. L'univers de Louise Erdrich commence à m'être familier.
Lorsque je dis « commence », je prends mes précautions car chez cette auteure c'est un univers toujours mouvant, instable, inattendu. Ici bien sûr j'ai été à la fois étonné, déstabilisé par le sujet, en même temps rassuré de savoir que peut-être l'auteure, avec la simple magie des images et des mots, saurait me sauver de ce désastre qu'elle déploie sous nos yeux... En tous cas, essayerait...
L'univers dans lequel Louise Erdrich nous invite est terrifiant. Il me fait peur tout simplement parce qu'il paraît possible et palpable. C'est cela l'angoisse, la peur d'un possible quelque chose qui peut parvenir. Qui, peut-être, est déjà là...
Le décor est contemporain. Nous sommes dans le Minnesota, un peu plus tard que maintenant.
Une catastrophe écologique ravage la planète, bien plus avancée que celle que nous connaissons déjà aujourd'hui.
Le gouvernement est en alerte. Les scientifiques sont dans l'atermoiement. C'est l'état d'urgence. Les femmes enceintes sont invitées à se signaler au plus vite, au motif qu'un mystérieux virus est susceptible de causer des malformations génétiques.
Cedar Hawk Songmaker est une jeune femme enceinte de quatre mois. Elle nous partage son journal intime qui est une longue lettre adressée à l'enfant qu'elle porte. Cedar est amérindienne, d'origine ojibwée, adoptée par un couple progressiste blanc de Minneapolis.
Le journal commence au moment où Cedar apprend l'existence et fait la connaissance de sa mère biologique et c'est peut-être cela l'élément déclencheur qui la pousse à laisser une trace écrite auprès de l'enfant qui va naître...
Mais dans quel monde va-t-il naître ?
Car bientôt le récit devient un cauchemar, le décor une sorte de fin du monde. Les femmes enceintes sont traquées. Il faut se cacher, fuir. Cela prend la forme d'une traque. Des femmes disparaissent sans laisser de traces...
Ce qui rend totalement réaliste ce roman dystopique, ce sont certaines scènes de la vie quotidienne. Les magasins sont pris d'assaut, la pénurie alimentaire se fait bientôt sentir. Personne ne sait exactement ce qui se passe. Il est désormais impossible de désactiver la géolocalisation des téléphones portables. Les délations se multiplient pour dénoncer à la police les femmes enceintes, encouragées par des récompenses.
Bientôt, un gouvernement religieux remplace le gouvernement fédéral. Les noms des rues sont rebaptisés par des versets de la Bible...
Et puis, comme un malheur terrestre n'arrive jamais seul, il est question aussi de changements climatiques. L'hiver bientôt disparaît...
Quel sort sera réservé alors aux enfants qui viendront au monde ? Au bébé de Cedar ? Aux autres ? Venir au monde... Quelle drôle d'expression subitement ! Mais pour quel monde devenu ou en devenir ?
Car ce journal intime prend peu à peu des allures philosophiques dans un style onirique où j'ai retrouvé les respirations de Louise Erdrich, sa manière d'approcher le monde, notre monde avec ce qu'il nous est possible de voir, mais aussi ce qu'il nous est possible de deviner, de sentir, de faire venir à nous. Par moment, c'est comme un chant presque mystique.
Et dans cette longue lettre qu'elle écrit, Cedar ne renonce jamais, puise dans ce chant de la terre toute la joie et l'amour qu'elle peut offrir à cet enfant qui va naître. C'est beau.
Je pense que ce n'est pas un hasard si l'auteure a voulu poser le début de l'écriture du journal intime de son héroïne au moment où il est possible à celle-ci de se pencher sur ses racines, esquisser le territoire d'où elle vient, à défaut de savoir où elle va avec l'enfant qu'elle porte, dans ce futur improbable. Dans cette réserve indienne du Minnesota ses retrouvailles avec sa famille biologique sont surprenantes, cocasses, touchantes. C'est une belle quête d'identité à laquelle elle va pouvoir s'accrocher dans ce monde en furie, qui s'effondre.
J'ai senti aussi que ce journal intime était pour Cedar comme une bouée de sauvetage. Quand autour de soi tous les repères s'effondrent comme des châteaux de sable, écrire devient une citadelle imprenable.
Ce récit m'a tenu en haleine jusqu'aux ultimes pages.
Et puis les personnages sont beaux, traversés de lumières. C'est aussi une merveilleuse variation sur l'identité, l'adoption, nos racines...
Ce fut un coup de coeur autant pour la narration que pour la voix de Louise Erdrich que j'ai retrouvée ici, intacte, lumineuse, inspirante.
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