le début du roman n'est pas directement une suite des récits précédents, mais s'intéresse à un petit groupe d'humanoïdes de la tribu reculées des Teblors. On le sait, chez Erikson l'archéologue, plusieurs races coexistent et nombreuses sont celles qui ont précédé les humains, qu'il en reste des traces ou des individus… ou pas. Cela s'inscrit dans une très longue histoire de plusieurs (centaines de) milliers d'années que l'auteur nous jette en pâture, parfois assez rudement, sans expliquer grand chose, et les humains ne sont que les derniers habitants (en date) des immenses continents de ce monde. Revenons à nos Teblors, qui vivent dans des terres reculées, et parmi eux au jeune Karsa Orlong, un guerrier qui rêve de gloire, bercé par les exploits passés de son grand-père. Accompagné de deux autres jeunes, dont l'un est un rival auprès de la jeune femme qu'il convoite, il va partir faire des razzias sur les terres des peuples voisins, et suivre les traces de son grand-père en direction d'un mystérieux Lac de Glace. Comme d'habitude, Erikson nous décrit un monde barbare où la sauvagerie est coutumière, et les combats comme les massacres sont légion, les âmes sensibles s'abstiendront donc ! La longue saga de Karsa occupe un des quatre « livres » de ce tome, soit plus de 200 pages, et voit le jeune géant traverser de nombreux lieux, dans des conditions éprouvants puisque le plus souvent prisonnier ou esclave. On aura l'explication partielle, lors de son périple, d'évènements ayant eu lieu dans le tome 2 (un certain bateau à l'équipage particulier, l'un des gardes d'une prophétesse dans le désert…) dont cette histoire constitue de fait un préquel. Et l'épopée de ce guerrier solitaire, arraché à sa contrée d'origine par ses ambitions de gloire, se heurte à l'expansion de l'armée malazéene qui broie les peuples sur son passage. Un récit très réussi où, malgré la dureté du personnage principal, on en vient à l'apprécier au cours de son évolution graduelle tandis qu'un de ses compagnons d'infortune, originaire de la ville Darujhistan sur le continent de Genabackis (siège des tomes 1 et 3) se révèle aussi secourable qu'amusant.
On retrouvera Karsa, sous un autre nom, au coeur du Tourbillon. Dans le désert de Raraku, les intrigues politiques vont bon train dans le camp de Sha'ik réincarnée, et les alliances se font et se défont en permanence pour « orienter » la révolution en « guidant » la prophétesse.
Pendant ce temps-là, l'Adjointe Tavore a débarqué à Aren avec des troupes fraîches mais expérimentées et se lance à rebours sur la route vers le Nord et le désert où règne sa soeur Félisine, sans qu'elle le sache. Un chemin d'autant plus éprouvant qu'il emprunte la célèbre Chaîne des Chiens sur laquelle plane encore l'ombre de Coltaine. Heureusement, des soldats malazéens expérimentés, dont l'équipage du vaisseau de morts-vivants, se joint aux troupes pour les faire bénéficier de leur savoir martial (et de leurs munitions moranthes !). On retrouve avec plaisir la gouaille et le franc-parler de ces vétérans qui, comme les Brûleurs de Ponts, ont un fort caractère et une fidélité sans faille à l'égard de l'Empire, à défaut de respecter leurs gradés (chacun prend d'ailleurs un malin plaisir à ne surtout pas souhaiter s'élever dans la hiérarchie militaire !). Tavore, à l'un des plus hauts postes de l'Empire, doit faire ses preuves tout en mettant sur pied une armée débutante et Gamet, son ancien intendant promu au rôle de Poing, peut douter de sa maîtresse et de la confiance que lui témoigne l'Impératrice.
De nombreux autres personnages sont à l'oeuvre dans ce tome. le voleur Krokus est maintenant assujetti à Cotillon et prend le nom de Couteaux, essayant peut-être ainsi de se rapprocher de la toujours distante Apsalar, marquée durablement par le fait d'avoir été possédée par le dieu des assassins. Leur arrivée sur une île où des Tistes Andii défendent un artefact plus ou moins abandonné par Anomander Rake les met à rude épreuve. Assassin lui aussi, Kalam se rend lui aussi dans le désert où le destin des Brûleurs de Ponts a été forgé dans la douleur.
On notera qu'Erikson aime les (vieux) personnages usés et désabusés, Gamet prenant la suite de Duiker voire de Mésangeai, d'une certaine manière, ainsi que les femmes fortes, avec Tavore, Félisine ou encore Lostara. Tandis que les soldats malazéens, et notamment les sapeurs, voient leurs gradés bien malmenés alors que ceux du rang jubilent avec leurs armes explosives, et que les Bruleurs de Ponts connaissent une destinée inédite. Quant aux dieux, ils s'impliquent fortement dans la destinée du monde. On avait déjà lu les mésaventures du dieu de la guerre (qui va ici retrouver Hédoric), Cotillon et Ombretrône continuent leurs manigances et n'hésitent pas à agir encore sans trop de discrétion. le Dieu Estropié reste à l'écart mais son arrivée se précise, tandis que l'imprévisible Karsa, décidemment le personnage central de ce tome, pourrait, ou pas, lui obéir.
La bataille finale est pour le moins déroutante, tous les fils tissés au long du long roman convergent en effet vers le Tourbillon et le camp des rebelles du désert, et les multiples forces en présence se déchaînent (si j'ose dire, tant le symbole des chaînes, réelles ou psychologiques, est omniprésent dans ce tome). Trahisons, meurtres sordides, sorcellerie, coups d'éclats se succèdent tandis que les personnages se croisent ou se combattent.
Vous l'aurez compris, La Maison des Chaînes et ses 960 pages Grand Format bien remplies est un livre copieux où
Steven Erikson mêle les destins de nombreux personnages, peut-être même plus d'ailleurs que dans les tomes précédents. Il vaut mieux rester concentré et, là où d'autres auteurs auraient sans doute écrit une trilogie par groupe de personnages, lui a choisi de concentrer les informations. Au quatrième tome, l'univers continue à se dessiner et le lecteur est donc moins perdu, d'autant que celui-ci prend la suite directe des Portes de la Maison des Morts. Mais cela reste une lecture relativement exigeante, au moins autant qu'elle est passionnante. Quasiment tous les personnages sont attachants, à leur façon, et l'auteur ne les ménage pas. On ne peut donc pas anticiper ce qu'il va leur advenir, contribuant ainsi à rendre la lecture addictive.
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