Pour paraphraser mon cher Brel:
« Comment tuer l'amante de mon homme,
Quand on a été élevée ….dans la littérature ».
Eh, bien, en écrivant un livre!
L'occupation, je voulais absolument lire ce très, très, court récit, suite à la passionnante analyse qu'en fait Élise Huguenin-Lévy dans son livre « Projections de soi » et à sa comparaison avec l'adaptation cinématographique « L'autre ».
L'occupation, ce mot à la connotation d'envahissement d'un territoire par l'ennemi. Quel mot bien choisi pour décrire la possession, ou l'envoûtement, d'ailleurs la narratrice dit à un moment qu'elle était « maraboutée ». L'envahissement de l'esprit de l'autrice,
une femme qui après avoir pris ses distances avec son amant pour une histoire d'amour dont elle estime qu'elle ne peut s'inscrire dans la durée, se trouve prise dans un état de
jalousie aliénant lorsque son ex-amant (plus jeune qu'elle) lui apprend qu'il vit une nouvelle liaison avec
une femme du même âge qu'elle, quarante-sept ans.
Ah, l'étonnant cerveau que nous avons, nous nous lassons de l'être qui est avec nous et nous sommes incroyablement malheureux s'il nous quitte.
La façon très visuelle, le rythme des phrases, le choix des mots, tout concourt ici à nous faire vivre l'état psychique de la narratrice. Car c'est une sorte d'obsession, d'obnubilation, qui nous est décrite, un envahissement de tout l'être par la vie fantasmée de celle qui partage le lit, les nuits d'amour, les repas, bref la vie, de son ex. Cette
jalousie est terrible, destructrice, on y ressent à quel point cet état est violent et pourrait, la narratrice l'avoue, conduire au meurtre. C'est malheureusement ainsi que ça peut se terminer.
A part, que dans la vraie vie, ce sont des majoritairement des hommes qui s'en prennent à leur ex-femme, et non à son amant.
A part, que c'est, je crois, mais je peux me tromper, un sentiment majoritairement féminin que la
jalousie à l'égard de celle qui vous a remplacé dans le coeur d'un homme.
Et à part que Madame Ernaux réalise jusqu'à quel point elle est en train de sombrer, et qu'elle va s'en sortir. La fin me fait penser à la guérison subite d'un épisode de fièvre, à la disparition d'une rage de dents.
Voilà un texte intense, qui dit en peu de pages la
jalousie, dans un style bien différent de celui de
Proust dans Un amour de Swann, ou dans La prisonnière, (on sait qu'
Annie Ernaux est une grande admiratrice de
Proust) mais on y retrouve le même envahissement de l'esprit qui atteint la personne atteinte de
jalousie..
Ce qui est aussi admirable dans ce texte, c'est l'économie de mots, de phrases, mais toujours la justesse de l'écriture.
Ça me fait penser à d'autres écrivains minimalistes,
Hemingway ou Carver,
Raymond Carver qui a écrit:
« Les mots, c'est finalement tout ce que nous avons, alors il vaut mieux que ce soit ceux qu'il faut et que la ponctuation soit là où il faut pour qu'ils puissent dire le mieux possible ce qu'on veut leur faire dire. »
Et dans un autre registre,
Miles Davis: « Pourquoi jouer tant de notes alors qu'il suffit de jouer les meilleures? »
En conclusion, un récit saisissant, qui se lit vite, qui n'a pas la dimension sociologique de
la place,
Une femme, et surtout
Les années, et donc, à mon avis, n'est pas au niveau de ces livres.
Mais quand même un « bijou littéraire », qui mériterait, mais peut-être est ce le cas, d'être étudié au lycée.