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EAN : 9782070301690
75 pages
Gallimard (15/09/2003)
3.5/5   459 notes
Résumé :

Annie Ernaux

L'occupation

C'est une femme qui raconte, en même temps qu'elle se raconte. Tragédie banale s'il en est, son amant, W., l'a quittée. Enfin presque quittée. Ils continuent de se voir, tandis que W. réserve désormais sa passion et son sexe à une inconnue, professeur d'histoire à l'université de Paris III. Pourquoi écrire, qu'écrire alors ? Sans doute, et la narratrice le reconnaît elle-même, les mots ont-ils une vocat... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (62) Voir plus Ajouter une critique
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“Je voudrais la connaître, savoir comment elle est, puisqu'elle a su te prendre, puisqu'elle a pris ma place, juste voir et comprendre tout ce que je ne suis pas” chantait, jalousement, Patricia Kaas.

L'Occupation est un court texte de la Prix Nobel de Littérature française Annie Ernaux, paru en 2002. L'écrivaine poursuit son oeuvre autobiographique, notamment celle de sa vie sentimentale, dans la continuité de Passion simple, paru en 1996. Les parallèles sont assez forts entre ces deux oeuvres. Ernaux s'empêtre dans des histoires d'amour passionnelles et sans avenir avec des hommes, plus jeunes et vaguement indisponibles, sorte de schéma qu'elle répète (jusqu'à son dernier livre “Le jeune homme”) de son propre aveu: “un garçon jeune, impécunieux, avec une femme plus vieille gagnant bien sa vie.”

“Il me fallait à toute force connaître son nom et son prénom, son âge, sa profession, son adresse.”

J'ai le sentiment que Ernaux construit son oeuvre avec le souci d'en dire le moins possible ou de dépersonnaliser au possible. C'est assez flagrant quant au contexte, au portrait des personnages, on ne peut les reconnaître, ils sont à peine esquissés, rien n'ancre véritablement le récit dans un espace-temps un peu précis, un peu détaillé. Alors certes, il ne faudrait pas qu'on puisse identifier les personnes du livre, qui existent dans la vraie vie, mais je crois que c'est aussi pour permettre au lecteur de s'incarner plus facilement, à chacun(e) de voir l'homme brun ou blond, la femme rousse ou petite, la maison, les rues, les cafés avec ses propres souvenirs et son imaginaire, un peu comme si nous lisions notre propre journal intime ; Ernaux déclara d'ailleurs : “écrire sur soi, c'est écrire sur les autres.”

“Dans cet évidement de soi qu'est la jalousie, qui transforme toute différence avec l'autre en infériorité, ce n'était pas seulement mon corps, mon visage, qui étaient dévalués, mais aussi mes activités, mon être entier”. Ernaux explore ce sentiment finalement assez commun que nous sommes amenés à ressentir et parfois, à susciter plus ou moins consciemment ou volontairement. Ici, c'est une jalousie qui arrive après la rupture, quand la personne, qu'elle a pourtant quitté, trouve quelqu'un d'autre. Ernaux devient maladivement curieuse de cette autre femme et le tourment la ronge, l'obsession, l'occupation, les excès de confiance ou au contraire de dévaluation d'elle-même, la comparaison, tous ces états psychiques affolent l'électrocardiogramme de ses émotions et de son estime d'elle-même.

“Dans l'incertitude et le besoin de savoir où j'étais, des indices écartés pouvaient être réactivés brutalement. Mon aptitude à connecter les faits les plus disparates dans un rapport de cause à effet était prodigieuse.”

Il y a une forme d'impudeur dans la jalousie, l'écrivaine utilise souvent l'analogie avec la folie, et c'est vrai, la jalousie nous fait faire des choses insensées. Appeler un numéro et raccrocher lorsqu'on entend une voix qui dit “allo” à l'autre bout du fil, épier, espionner, mener l'enquête. Pour trouver quoi ? qui ? Repasser en boucle, laisser l'esprit être totalement colonisé par une rengaine envieuse, d'une affreuse banalité dont on se pensait à l'abri.

Comme très souvent, j'en reviens à Roland Barthes qui, dans Fragments d'un discours amoureux, dessine les enjeux pratiques de la jalousie : “Comme jaloux je souffre quatre fois : parce que je suis jaloux, parce que je me reproche de l'être, parce que je crains que ma jalousie ne blesse l'autre, parce que je me laisse assujettir à une banalité : je souffre d'être exclu, d'être agressif, d'être fou et d'être commun.”

L'écriture de soi, la recherche d'une authenticité, dans l'autobiographie plus que dans le roman, doit se faire au prix d'une lumière parfois peu reluisante de la personne de l'écrivain. Annie Ernaux écrit ainsi : “La dignité ou l'indignité de ma conduite, de mes désirs, n'est pas une question que je me suis posée en cette occasion, pas plus que je ne me la pose ici en écrivant. Il m'arrive de croire que c'est au prix de cette absence qu'on atteint le plus sûrement la vérité”. Lorsqu'on lui citera cette phrase lors d'une conférence, quelques années après L'Occupation, l'écrivaine française dira : “oui, j'ai une forme d'indifférence profonde au jugement d'autrui.”

“Ecrire pour moi c'est descendre” déclarait encore en interview Annie Ernaux. Avec L'Occupation, elle descend doublement à la fois comme personnage, car la jalousie nous fait tomber bien bas, et surtout comme écrivaine. Derrière tout cela, il y a l'écriture, comme une consolation dernière, comme une sorte de rétribution, de remise à l'équilibre entre la souffrance de la femme et le gain de l'écrivaine qui a enfin une histoire à raconter, un prétexte à écrire, à créer.

Car, la vie, même la plus charnelle, la plus intime, la plus douloureuse, c'est encore la promesse d'un texte à naître : “J'ai tout attendu du plaisir sexuel, en plus de lui-même. L'amour, la fusion, l'infini, le désir d'écrire.”

Qu'en pensez-vous ?
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Après la lecture de ce deuxième épisode de la vie amoureuse d'Annie, je note qu'Annie a une préférence pour les hommes plus jeunes qu'elle. Annie a bon goût.

Proust est, sans aucun doute, celui qui a le mieux disséqué la jalousie. Lire Un amour de Swann c'est connaître exhaustivement les effets de ce sentiment un peu honteux que nous avons forcément tous ressenti. Alors Annie peut-elle avec 76 pages apporter quelque chose de neuf à ce qu'a écrit magistralement le grand Marcel ?

Je réponds oui sans hésitation. Car Annie est une femme et Marcel pas (si, si), ses préoccupations, son ressenti sont ceux d'une femme, et si amour et jalousie concernent autant les hommes que les femmes, ils sont vécus différemment selon que l'on soit l'un ou l'autre.

D'où l'intérêt de ce livre qui creuse, cherche, avoue pourquoi et comment une femme, amoureuse (ou pas), ne souffre pas que l'homme qu'elle a délaissé s'intéresse à une autre. Je trouve cela très féminin et pas du tout masculin. Peu d'hommes, qui plaquent une femme, se préoccupent de qui leur succède, ils ont souvent trop de mal à rompre (avec leurs habitudes) pour regarder en arrière quand ils y parviennent.

Je continue avec plaisir la découverte de l'oeuvre d'Annie E, probablement parceque j'aime la liberté et l'impudeur cathartique de son double littéraire, qualités précieuses à mes yeux, moi qui suis un peu empêtrée.
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Si j'ai beaucoup apprécié les livres d'Annie Ernaux comme "la place" ou encore "les armoires vides", je suis en revanche très déçue par "l'occupation" qui , pour moi, n'apporte rien.
Elle relate ce qu'elle vit et ressent lorsqu'elle apprend que son ancien amant, qu'elle a quitté, refait sa vie.
Elle décrit les faits de façon crue, abrupte ce qui m'a laissée de marbre. La jalousie qu'elle ressent est tristement banale et comme elle a pris le parti de ne pas analyser mais simplement d'exposer les faits, je n'ai trouvé aucun intérêt à ce livre. Suis-je passé à côté ? ou est-ce uniquement un livre ego centré ?
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Pour paraphraser mon cher Brel:
« Comment tuer l'amante de mon homme,
Quand on a été élevée ….dans la littérature ».
Eh, bien, en écrivant un livre!

L'occupation, je voulais absolument lire ce très, très, court récit, suite à la passionnante analyse qu'en fait Élise Huguenin-Lévy dans son livre « Projections de soi » et à sa comparaison avec l'adaptation cinématographique « L'autre ».

L'occupation, ce mot à la connotation d'envahissement d'un territoire par l'ennemi. Quel mot bien choisi pour décrire la possession, ou l'envoûtement, d'ailleurs la narratrice dit à un moment qu'elle était « maraboutée ». L'envahissement de l'esprit de l'autrice, une femme qui après avoir pris ses distances avec son amant pour une histoire d'amour dont elle estime qu'elle ne peut s'inscrire dans la durée, se trouve prise dans un état de jalousie aliénant lorsque son ex-amant (plus jeune qu'elle) lui apprend qu'il vit une nouvelle liaison avec une femme du même âge qu'elle, quarante-sept ans.
Ah, l'étonnant cerveau que nous avons, nous nous lassons de l'être qui est avec nous et nous sommes incroyablement malheureux s'il nous quitte.

La façon très visuelle, le rythme des phrases, le choix des mots, tout concourt ici à nous faire vivre l'état psychique de la narratrice. Car c'est une sorte d'obsession, d'obnubilation, qui nous est décrite, un envahissement de tout l'être par la vie fantasmée de celle qui partage le lit, les nuits d'amour, les repas, bref la vie, de son ex. Cette jalousie est terrible, destructrice, on y ressent à quel point cet état est violent et pourrait, la narratrice l'avoue, conduire au meurtre. C'est malheureusement ainsi que ça peut se terminer.
A part, que dans la vraie vie, ce sont des majoritairement des hommes qui s'en prennent à leur ex-femme, et non à son amant.
A part, que c'est, je crois, mais je peux me tromper, un sentiment majoritairement féminin que la jalousie à l'égard de celle qui vous a remplacé dans le coeur d'un homme.
Et à part que Madame Ernaux réalise jusqu'à quel point elle est en train de sombrer, et qu'elle va s'en sortir. La fin me fait penser à la guérison subite d'un épisode de fièvre, à la disparition d'une rage de dents.

Voilà un texte intense, qui dit en peu de pages la jalousie, dans un style bien différent de celui de Proust dans Un amour de Swann, ou dans La prisonnière, (on sait qu'Annie Ernaux est une grande admiratrice de Proust) mais on y retrouve le même envahissement de l'esprit qui atteint la personne atteinte de jalousie..

Ce qui est aussi admirable dans ce texte, c'est l'économie de mots, de phrases, mais toujours la justesse de l'écriture.
Ça me fait penser à d'autres écrivains minimalistes, Hemingway ou Carver, Raymond Carver qui a écrit:
« Les mots, c'est finalement tout ce que nous avons, alors il vaut mieux que ce soit ceux qu'il faut et que la ponctuation soit là où il faut pour qu'ils puissent dire le mieux possible ce qu'on veut leur faire dire. »
Et dans un autre registre, Miles Davis: « Pourquoi jouer tant de notes alors qu'il suffit de jouer les meilleures? »

En conclusion, un récit saisissant, qui se lit vite, qui n'a pas la dimension sociologique de la place, Une femme, et surtout Les années, et donc, à mon avis, n'est pas au niveau de ces livres.
Mais quand même un « bijou littéraire », qui mériterait, mais peut-être est ce le cas, d'être étudié au lycée.
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Encore un petit texte mais très important pour comprendre le mécanisme littéraire lors d'une rupture amoureuse. Son mécanisme qui l'a enfermée mais aussi sauvée.
L'occupation ; celle de sa tête malade et folle de douleur après une séparation.
Mais ce qui est incroyable, (fichu cerveau...) c'est que c'est depuis que l'homme, l'Autre, lui apprend qu'il a rencontré une femme, qu'elle devient folle, littéralement.
C'est depuis l'annonce de la rencontre avec cette femme qu'elle devient obsessionnelle.
Et c'est là que le titre choisi, l'occupation, prend tout son sens. Car elle est possédée, folle (thème récurrent chez Ernaux), et devient le jouet bringuebalant d'une histoire qui n'est plus la sienne. Elle est occupée, ses pensées sont délirantes, et cette occupation lui prend tout son temps. Elle est quelque part rattachée à cette inconnue.
N'omettons pas une grande souffrance, douleur et jalousie morbides.
Alors qu'elle vivait sa rupture bien tant que mal, elle souffre le martyr, et n'a qu'une obsession : connaître tous les détails, physiques mais aussi intellectuels de cette femme.
Pour cela, elle usera de stratagèmes, de pièges, et de moyens limite adolescente, pour apprendre comment est cette femme.
Comme à chaque fois chez Ernaux, je suis époustouflee par son honnêteté intellectuelle, sa lucidité sur elle mais aussi chez les autres. Il n'y a pas de fiction, non, c'est la réalité crue qu'elle nous offre avec ce livre.
Elle a été pénétrée, occupée un certain moment et puis, comme souvent chez elle, elle guérit grâce à l'écriture.
Décidemment, cette femme est une grande amoureuse en fait, une passionnée.
Bienvenue au club.

PS : je vais peut-être me faire étriper par les "fans" de ma chère Duras, mais plus je lis Ernaux, plus je retrouve des formes d'écriture semblables à toutes les deux. Des thèmes identiques également.
Du coup, je suis doublement heureuse ; et de lire Ernaux et de relire Duras.


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Citations et extraits (71) Voir plus Ajouter une citation
“La dignité ou l’indignité de ma conduite, de mes désirs, n’est pas une question que je me suis posée en cette occasion, pas plus que je ne me la pose ici en écrivant. Il m’arrive de croire que c’est au prix de cette absence qu’on atteint le plus sûrement la vérité”
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Qu’entre toutes les possibilités qui s’offrent à un homme dans la trentaine, il ait préféré une femme de quarante-sept ans m’était intolérable. Je voyais dans ce choix la preuve évidente qu’il n’avait pas aimé en moi l’être unique que je croyais être à ses yeux mais la femme mûre avec ce qui la caractérise le plus souvent, l’autonomie économique, une situation stable, la pratique acquise, sinon le goût, du maternage et la douceur sexuelle. Je me constatais interchangeable dans une série. J’aurais pu aussi bien retourner le raisonnement et admettre que les avantages procurés par sa jeunesse avaient compté dans mon attachement pour lui. Mais je n’avais aucune envie de m’efforcer à la réflexion objective. Je trouvais dans l’allégresse et la violence de la mauvaise foi un recours contre le désespoir.
 
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Dans la conversation, il jetait parfois incidemment, « je ne t’ai pas dit ? », enchaînant sans attendre la réponse le récit d’un fait survenu dans sa vie les jours précédents, l’annonce d’une nouvelle concernant son travail. Cette fausse question m’assombrissait aussitôt. Elle signifiait qu’il avait déjà raconté cette chose à l’autre femme. C’est elle qui, en raison de sa proximité, avait la primeur de tout ce qui lui arrivait, de l’anodin à l’essentiel. J’étais toujours la seconde – dans le meilleur des cas – à être informée. Cette possibilité de partager, dans l’instant, ce qui survient, ce qu’on pense, et qui joue un si grand rôle dans le confort du couple et sa durée, j’en étais dépossédée. « Je ne t’ai pas dit ?» me plaçait dans le cercle des amis et des familiers qu’on voit épisodiquement. Je n’étais plus la première et indispensable dépositaire de sa vie au jour le jour. « Je ne t’ai pas dit ? » me renvoyait à ma fonction d’oreille occasionnelle. « Je ne t’ai pas dit ? » c’était : je n’avais pas besoin de te le dire.
Pendant ce temps je vivais en poursuivant inlassablement le récit intérieur, tissé de choses vues et entendues au fil des jours, qu’on destine à l’être aimé en son absence – la description de mon quotidien qui, je m’en rendais vite compte, ne l’intéressait plus.
 
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Pour la première fois, je percevais avec clarté la nature matérielle des sentiments et des émotions, dont j'éprouvais physiquement la consistance, la forme mais aussi l'indépendance, la parfaite liberté d'action par rapport à ma conscience. Ces états intérieurs avaient leur équivalent dans la nature : déferlement des vagues, effondrements de falaises, gouffres, prolifération d'algues. Je comprenais la nécessité des comparaisons et des métaphores avec l'eau et le feu. Même les plus usées avaient d'abord été vécues, un jour, par quelqu'un.
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Écrire, c’est d’abord de pas être vu. Autant, il me paraissait inconcevable, atroce, d’offrir mon visage, mon corps, ma voix, tout ce qui fait la singularité de ma personne, au regard de quiconque dans l’état de dévoration et d’abandon qui était le mien, autant je n’éprouve aujourd’hui aucune gêne – pas davantage de défi – à exposer et explorer mon obsession.
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Vidéo de Annie Ernaux
En 2011, Annie Ernaux a fait don au département des Manuscrits de la BnF de tous les brouillons, notes préparatoires et copies corrigées de ses livres publiés depuis "Une femme" (1988). Une décennie et un prix Nobel de littérature plus tard, elle évoque pour "Chroniques", le magazine de la BnF, la relation qu'elle entretient avec les traces de son travail.
Retrouvez le dernier numéro de "Chroniques" en ligne : https://www.bnf.fr/fr/chroniques-le-magazine-de-la-bnf
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