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sur 1131 notes
Jusqu'à ce que « La Grande Librairie » sur France 5 lui consacre une émission entière, je n'avais encore jamais rien lu d'Annie Ernaux. Si François Busnel a l'art de savoir titiller l'envie des lecteurs, c'est cependant la petite phrase notée en exergue de son quatorzième roman qui m'aura définitivement donné envie de le lire :

« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues »

À elle seule, cette petite phrase résume également la raison d'être de chacun de mes avis car tant que n'ai pas écrit de chronique, je ne considère pas la lecture comme terminée.

Ce court récit autobiographique d'à peine quarante pages raconte la liaison d'Annie Ernaux avec un jeune étudiant de Rouen dans les années 1994-1997. Alors âgée de cinquante-quatre ans, elle entame une relation amoureuse controversée avec un jeune homme de vingt-cinq ans, qui lui permet de « revivre » son passé. Ce jeune amant lui donne non seulement l'occasion de rejouer des scènes de sa jeunesse, mais lui ouvre également la porte vers ce milieu populaire dont elle est issue. Un retour en arrière qui ravivera également le souvenir particulièrement marquant de cet avortement clandestin qu'elle a subi en 1963. C'est d'ailleurs au moment où elle commencera l'écriture de cet événement clé de sa vie (« L'événement »), qu'elle mettra un terme à la relation avec ce jeune homme qui aurait finalement pu être son enfant…

« Il m'arrachait à ma génération mais je n'étais pas dans la sienne. »

Si ce récit d'Annie Ernaux touche à l'intime, il raconte également l'universel. En relatant sa vie, Annie Ernaux écrit également la vie. Alliant simplicité et densité, elle va à l'essentiel du vécu, tout en offrant sa vision de la société et en défendant la condition féminine. Comme quoi, il ne faut pas forcément plus de quarante pages pour parvenir à partager un histoire forte.
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Le reflet du temps qui passe.

30 ans de moins et sans argent, l'homme qui consume de passion la narratrice se fait révélateur de son propre désir et de ses manières bourgeoises. Devant l'inconvenance sociale de cette union, elle redevient la fille scandaleuse fière de son genre et de sa classe. Une ode à la puissance de la conscience sociale. 

40 pages à peine, avec une police d'écriture large, mais non moins essentiel. Ce n'est pas la longueur d'un texte qui importe selon moi, mais ce qu'il peut dire ou fait surgir à sa lecture. Un texte court qui parle de sujets que de nombreux longs romans n'abordent jamais : la conscience de classe et la
condition d'être une transfuge qui refuse d'oublier ses origines sociales ; le scandale encore et toujours d'être une femme libre aux yeux de certains hommes et d'autres femmes.

Dans ses yeux se reflète sa jeunesse qui n'est plus, physiquement bien sûr, aussi socialement. Il est
étudiant quand elle est devenue professeure et écrivaine reconnue. Avec lui, elle est de nouveau cette jeune femme que d'aucuns trouvaient effrontée portant des robes courtes sur les plages normandes, mais elle n'a plus honte désormais d'être libre en tenant la main d'un garçon de trente ans de moins qu'elle.

Encore une fois, avec le Jeune homme, Annie Ernaux parle d'elle pour mieux parler de nous tous. Un texte bref et irradiant comme peut l'être une passion, celle d'être une femme ou un homme tout simplement.
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Un si petit livre signé Annie Ernaux, ça ne se refuse pas !
Après avoir lu Les armoires vides, La place, La honte, L'événement, Les années, le vrai lieu et Écrire la vie qui reprenait une grande partie de l'oeuvre de notre Prix Nobel de Littérature 2022, me voici avec le jeune homme, ouvrage qui permet de comprendre un peu mieux son autrice.
Alors, je me suis plongé dans la lecture : le jeune homme et ses 37 pages dans lesquelles Annie Ernaux, avec sa franchise habituelle et son écriture épurée, se confie.
Ce jeune homme, étudiant, a trente ans de moins qu'elle et c'est lui qui est demandeur. Alors, pourquoi pas ?
C'est à Rouen où Annie Ernaux a fait ses études supérieures, qu'ils font l'amour et se découvrent. Surtout, elle ne voit pas pourquoi elle se refuserait ce que certains hommes vivent sans vergogne.
Pour elle, c'est un vrai bain de jouvence. Elle a 54 ans, est ménopausée et il lui témoigne une grande ferveur, se montre d'une jalousie extrême. Elle s'amuse des regards au restaurant, ceux des autres hommes mais surtout des femmes de son âge et se voit même draguée par d'autres jeunes hommes.
J'ai souri en lisant cette expérience initiatique et apprécié la formule comparant le présent à un passé dupliqué. J'ai été un peu sceptique quand elle parle de pauvreté du jeune homme puis raconte leurs voyages à Venise, Madrid, Capri et même Fécamp ! Annie Ernaux assure !
Moins drôle mais tout aussi évocateur de l'oeuvre de l'écrivaine, l'évocation de son avortement clandestin relie le jeune homme à ses livres précédents et permet de mieux les comprendre.

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Quand « Lire au lit » lit debout… Ah, ah, approchez que je vous raconte ma petite mésaventure. le ridicule ne tue pas paraît-il… Samedi matin, je vais faire mes courses (j'ai une vie passionnante...) Quatre (grands) gosses = caddie, panier, sacs… Bref. Avant d'entrer dans le supermarché (avais-je déjà une petite idée en tête ?), j'oblique vers l'Espace Culturel. le bouquin d'Annie Ernaux est là. Je l'ouvre et commence à le lire. Debout. le problème avec un bouquin aussi court, c'est que quand t'as commencé à le lire, tu l'as déjà fini. 27 pages de texte, c'est vite lu...
Je le repose, l'air détaché, reprends mon caddie et commence à arpenter les rayons. Alors, elle rencontre un gars de 30 ans de moins qu'elle. Bon, on en a vu d'autres. (Cela dit, l'essentiel du texte ayant été écrit il y a plus de vingt ans, le sujet était peut-être à l'époque un peu tabou...) La suite est classique : l'impression de revivre sa jeunesse, de se voir donc comme elle était avant, la différence de statut social… Et puis, le regard des autres, le temps qui passe, le corps qui vieillit, la mort etc etc... Bien analysé, écriture au couteau… du Ernaux pur jus.
J'avais préféré « Passion simple » mais pourquoi pas... Tiens un poulet pour demain, c'est pas mal. Un poulet ou une pintade ? Un truc me turlupine quand même. Je ne sais pas quoi. J'ai l'impression que je suis passée à côté d'une chose importante… Merde, j'aurais dû acheter le bouquin… Céréales, baguette… Je retournerais bien dans l'Espace Culturel relire deux trois phrases mais bon, pas le temps… Des bananes. Qu'est-ce qu'il m'a demandé Antoine déjà ? Des cordons bleus ? Est-ce qu'elle ne dit pas, à un moment, que dans cette relation, elle est un personnage de fiction ? J'ai bien lu ça ou j'invente ? Je regarde les compotes et là, je comprends, je me dis, attends, en fait, c'est énorme ce qui se passe dans ce bouquin, énorme. L'essentiel, ce n'est pas du tout le jeune homme, évidemment, mais l'écriture. Oui, elle parle de la littérature là. Je ne me souviens plus… qu'est-ce qu'elle emploie comme termes exactement ?
Je rentre. Je raconte. Les gamins ricanent : tu pouvais pas te l'acheter ton bouquin, hein, pas plus cher qu'un paquet de clopes. Allez les mioches, il n'y a pas de petites économies et puis, je l'avais déjà lu… Je repense à ce truc qui me turlupine. Je rumine, tourne en rond. Je n'ai pas de librairie en bas de chez moi, faut que je reprenne la voiture, fasse vingt bornes... Je raconte à une amie, une vraie, qui me dit : bouge pas, j'y vais, non je l'ai lu, j'y vais je te dis, bah si tu veux...
Elle revient, je le lis, il est à moi, je le relis, crayonne, retourne en arrière, vérifie. C'est ça et c'est effectivement ÉNORME. Parce que ce qu'elle nous dit, c'est non seulement que sa vie est littérature mais là, on se demande si ça ne va pas plus loin et si cette relation n'a pas été entamée précisément POUR ÊTRE ÉCRITE. Ce qui signifie qu'au moment même où elle était vécue, elle devenait matière littéraire. En fait, chez Ernaux, la vie EST littérature et n'a de sens que si et seulement si elle devient littérature, se transforme en objet littéraire. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la vie mérite d'être vécue : pour être écrite. Sinon, autant mourir. La vie ne doit servir qu'à être écrite. « C'est peut-être ce désir de déclencher l'écriture du livre… qui m'avait poussée à emmener A. chez moi. » Ici , tout se passe comme si Annie Ernaux « PROVOQUAIT » dans le réel un événement afin qu'il DONNE LIEU à une matière susceptible d'être à l'origine d'un texte.
Si j'osais, j'irais jusqu'à dire qu'elle vit cette relation PARCE QU'ELLE SAIT qu'elle va générer une matière littéraire.
Jusqu'à présent, elle se servait de son vécu pour écrire. Là, elle « amorce » (et prolongera aussi longtemps que nécessaire) ce qu'on appellera par commodité « l'action » dans le réel, d'où la présence simultanée des deux verbes dans cette citation : « … écrire/vivre un roman dont je construisais avec soin les épisodes.»
Et cette « construction » n'a pas lieu sur le papier, après les événements, mais AU MOMENT MÊME où l'autrice les vit. Annie Ernaux n'attend pas d'écrire pour lancer son récit, elle le fait naître avant, in real life, le déroule, s'observe, observe les autres EN TANT QUE PERSONNAGES LITTÉRAIRES (de fiction?) prêts à être embarqués pour un récit imminent. C'est pourquoi elle dit : «La principale raison que j'avais à vouloir continuer cette histoire, c'est… que j'en étais le personnage de fiction.» Ainsi, au moment même où elle vit les événements, elle agit en sachant qu'ils vont devenir objets d'écriture. D'ailleurs, la fin de l'écriture du livre coïncidera logiquement avec la fin de la relation.
(Je ne vous raconte même pas ce que ça doit impliquer comme regard distancié sur ce qu'on vit...)
Je suis stupéfaite. Je crois que chez aucun écrivain je n'ai senti une telle nécessité absolue d'écrire au point même de provoquer des événements parce qu'ils sont susceptibles de donner lieu à un texte.
C'est l'impression que j'avais eue en parcourant rapidement le livre, à savoir que, dans le fond, l'essentiel, ce n'était pas le jeune homme (ce qui explique d'ailleurs pourquoi le livre est court : c'est une histoire banale à notre époque… et finalement, il n'y a pas grand-chose à en dire.) Non, l'essentiel apparaît à mon avis dans cinq, six phrases et dans le sublime exergue : « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues. » Et ce qu'elle dit là est vertigineux. Et terrible : elle exprime l'espèce de fusion, de tissage, d'imbrication que sa vie entretient avec la littérature non seulement parce que ses textes se nourrissent de son existence mais aussi parce qu'ils influencent la trajectoire même de cette existence.
Et c'est précisément le cas ici parce qu'elle vit quelque chose qu'elle a déjà vécu lorsqu'elle était étudiante (fréquenter un jeune homme, aller au resto U, dormir sur un matelas par terre…) Interviewée pour le Magazine Littéraire, elle dit « Écrire ne se confond pas avec imaginer… Pour moi, écrire, c'est retrouver. » Or, finalement, ici, dans cette expérience précise, il ne lui est pas nécessaire de passer par l'écriture pour « retrouver », elle le fait déjà en le vivant. On comprend mieux alors son impression d'être une actrice et de « rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu. » Ce que je veux dire, c'est qu'il me semble ici que « l'acte littéraire », le passage à « la création », « la fiction » a lieu avant même l'écriture. Je ne sais pas si l'on retrouvera cette posture particulière ailleurs, dans d'autres textes d'Annie Ernaux. (sauf peut-être dans l'épisode de la rencontre avec l'officier à Venise qui sera à l'origine du livre « Les Années » : « Parce que j'attends toujours de la vie qu'elle apporte une solution à mes problèmes d'écriture, il me semblait que cette rencontre sur le vaporetto m'avait d'un seul coup rapprochée du livre que je voulais entreprendre. »)
À la page p 23, l'autrice écrit : « Notre relation pouvait s'envisager sous l'angle du profit. » Il me semble que le principal profit que la romancière ait tiré de cette relation, ce n'est pas forcément le fait de revivre une seconde jeunesse mais celui de donner naissance à une matière fictionnelle. Elle dit d'ailleurs qu'elle a « conscience qu'envers ce jeune homme, cela impliquait une forme de cruauté. » Je veux bien la croire… Elle domine sur le plan matériel et culturel, tient les cordes, joue un rôle (celui de la fille qu'elle était autrefois), sait que tout ça ne débouchera sur rien sinon une séparation… et surtout… un texte.
Évidemment, on s'en remet d'être transformé à son insu en être de fiction mais j'aimerais mieux, moi, que ça ne m'arrive pas…
Allez, j'espère que leur histoire fut tout de même une belle histoire…
En tout cas, « Le jeune homme » me semble être un texte complètement essentiel sur le rapport d'Annie Ernaux à l'écriture.
Et je suis contente de l'avoir dans ma bib !
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Annie Ernaux passe-t-elle encore les portes ?
J'en doute, le melon de la dame s'approchant plutôt d'une pastèque siamoise gonflée aux hormones brésiliennes. Appeler livre ou roman cette petite chose ridicule de 27 pages.
À la fin de la chose, 3 pages entièrement blanches, Gallimard ne sachant visiblement pas quoi inventer pour donner volume et ampleur à un texte aussi pauvre et donner l'illusion au lecteur pigeon qu'il n'achète pas que du vide. Heureusement, je l'ai emprunté à la médiathèque ! Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le souci de l'écologie qui étouffe Gallimard.
S'il n'y avait que ça, car tout compte fait, c'étaient peut-être les 3 pages blanches les moins pénibles à lire… Les 27 autres m'ont constamment hérissé le poil.
Prix Nobel, vraiment ?
J'ai visiblement un gros problème avec ce prix, Modiano me faisant peu ou prou le même effet.
Il est certain qu'Annie Ernaux arrive à faire passer un maximum d'idées et d'images en très peu de lignes. J'ai lu dans une chronique babéliote le terme « d'écriture au couteau » et je la trouve parfaitement appropriée.
Si je n'ai rien à dire sur la forme, le fond m'a beaucoup dérangé. Ce texte aurait pu s'appeler « le mépris », c'est le seul mot qui me vient à l'esprit après ma première lecture et me semble tout résumer.
Quel mépris : mon Dieu, que cette dame a une très haute opinion d'elle-même, ça transpire à toutes les pages. Tout au long de ma lecture je n'ai pu que ressentir un profond malaise à imaginer le fameux jeune homme lire ce texte. Alors qu'il vouait visiblement une admiration béate à cette femme, espérait un enfant avec elle, quelle claque, quelle gifle ! Se rendre compte que l'on a été à ce point berné, manipulé ! Où est l'amour là-dedans, j'ai eu beau chercher dans ces 27 pages, je n'ai rien trouvé !
« Il y a trente ans je me serais détournée de lui. Je ne voulais pas alors retrouver dans un garçon les signes de mon origine populaire, tout ce que je trouvais « plouc » et que je savais avoir été en moi. (p.20) »
Elle ne s'intéresse à ce garçon que pour le fumet de sa basse extraction sociale, qui la ramène à sa propre enfance, à sa jeunesse, un temps révolu dans lequel elle était libre et jouissait sans entraves.
« avec A., j'avais l'impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse. » (p.23)
Quelle condescendance : « Je m'autorisais des réparties brutales dont je ne sais si elles étaient liées à sa dépendance économique ou à son jeune âge. » (p .24)
« Il disait « stop » ou « c'est bon » à la place de « merci » quand je le servais à table. » (p.19)
Faut-il expliquer à Annie Ernaux que c'est peut-être lié au fait qu'il a déjà dit merci, mais que comme elle ne l'écoute pas, elle le ressert quand même ? Parce que sa qualité première à Annie, ça ne semble quand même pas être l'écoute …
Quelle modestie : « J'aimais me penser comme celle qui pouvait changer sa vie » (p.24)
Quel humour : « Lâche-moi la grappe, cette injonction vulgaire qui l'offusquait, je ne l'avais jamais adressée à personne avant lui. (p.24) ». Là je dois avouer que je ne m'en suis pas encore remise, j'en suis encore tout offusquée ! La façon de s'exprimer de 95% des Français doit être un summum de vulgarité pour Dame Ernaux. Dans quel monde vit-elle, et surtout en quelle année ? Enfin, c'est sans nul doute le seul passage du livre qui m'a donné le sourire…
Cependant, je serais tentée de dire que son attitude condescendante est pour moi infiniment plus vulgaire que n'importe quelle expression. La vulgarité est parfois plus dans les actes que dans les mots.
Quelle manipulatrice : Lorsque A. (il n'a même droit à son prénom, lui ou un autre, semble être un individu parfaitement interchangeable et transparent) exprime le souhait d'avoir un enfant avec elle, elle sait très bien qu'elle ne répondra pas à sa demande. Elle n'en retient que la flatterie de son ego et le sentiment de nouvelle jeunesse que cela lui procure : « Il voulait un enfant de moi. Ce désir me troublait et me faisait ressentir comme une injustice profonde d'être en pleine forme physique et de ne plus pouvoir concevoir. Je m'émerveillais que, grâce à la science, il puisse être désormais réalisé après la ménopause, avec l'ovocyte d'une autre femme. Mais je n'avais nulle envie d'entreprendre la démarche en ce sens que mon gynécologue m'avait proposée. Je jouais simplement avec l'idée d'une nouvelle maternité dont, après la naissance de mon deuxième enfant, je n'avais plus jamais voulu. » (p.34)
Donc, Annie Ernaux se joue de A., il est une petite poupée qu'elle prend plaisir à déshabiller pour assouvir ses envies, tout le reste n'est que mascarade et fiction (j'y viens justement).
Quel cynisme : l'auteure ne semble finalement avoir fréquenté A. que pour pouvoir écrire sur sa relation, que pour ce qu'elle pourra en extraire comme substantifique moelle pour alimenter son texte. C'est la mante religieuse prédatrice qui dévore ses amants, toutes mandibules dehors.
« La principale raison que j'avais de vouloir continuer cette histoire, c'est que celle-ci, d'une certaine manière, avait déjà eu lieu, que j'en étais le personnage de fiction. » (p.25)
Quand elle parle d'un moment avec A. qui lui rappelle un moment fort de sa vie passée, elle écrit : « Ce serait juste un souvenir second » (p.36). C'est sympa comme position je trouve, d'être le souvenir second, celui qui sera très vite oublié, et s'effacera au profit d'un autre plus fort, plus vivant, et présente le seul intérêt de le raviver.
Une fois le dernier petit morceau de victime dégusté, la mante vous fixe de ses yeux globuleux, en quête du prochain festin. Et si c'était vous ?
Quel malaise : ce livre n'est donc a priori qu'un pur exercice de style pour Madame Ernaux qui vit une relation pour écrire le roman de sa vie. Stop ! (oui oui je sais, je suis vulgaire).
Premier texte d'Annie Ernaux pour moi, je doute fort qu'il y en ait un second !
Tout compte fait, quel soulagement que ça ne fasse que 27 pages …
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« le Jeune Homme » relate la relation qu'Annie Ernaux, alors âgée de 55 ans, a entretenue avec un jeune homme de 30 ans son cadet, dans les années 1990. Annie Ernaux mesure le fossé des âges et celui de la mémoire dans ce récit qui reprend certains de ses thèmes de prédilections, l'amour, le regard des autres, son rapport au temps…

Ce très court texte, à peine 28 pages, ressemble plus à une chronique racontant une histoire d'amour assez banale entre un homme et femme qu'à un roman. Banale ? Pas tout à fait car c'est la femme qui est beaucoup plus âgée et c'est à travers les yeux de l'auteure que nous percevons l'écart d'âge entre les deux amants. du reste, les événements d'une vie ordinaire ne sont jamais banals pour celui ou celle qui les vit. En fait, le trouble de l'auteure vient moins de la différence d'âge, même si elle se montre bien consciente de la provocation sociale que représente cette relation pour les autres, que de l'impression de revivre des instants déjà vécus, dans cette petite chambre d'étudiant à Rouen, où elle-même fut étudiante dans les mêmes conditions dans les années 1960. L'écart d'âge, c'est dans le regard des autres qu'elle le voit, pas dans celui de ce jeune homme dont on ne saura jamais le nom et dont la jeunesse la transporte dans ses propres expériences de jeunesse, comme un miroir.

L'écriture semble être un moyen pour Annie Ernaux de se libérer des normes et du regard des autres. Au fil des pages, le lecteur découvre comment elle prend conscience de son passé, de son ascension sociale, et s'affirme comme une femme libre.
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Annie Ernaux nous raconte l'histoire d'amour qu'elle a vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. ● Je n'ai pas aimé tous les livres d'Annie Ernaux que j'ai lus : si La Place, par exemple, m'a plu, je n'ai pas aimé La Femme gelée. ● On a pu qualifier son écriture de « blanche », je pense au contraire, en tout cas dans cet opuscule, qu'elle est très travaillée, pour arriver au dénuement le plus pur, « à l'os ». ● Je comprends qu'on puisse ne pas aimer ces phrases qui semblent dépourvues d'affect, même si à mon avis il faut les chercher dans la profondeur du texte, car son écriture est tout sauf superficielle. ● Il y a vraiment dans ce très court récit de très beaux moments d'écriture, comme « ce jeune homme, qui était dans la première fois des choses ». ● le mélange des époques provenant de son union avec un homme beaucoup plus jeune qu'elle, qui lui rappelle sa propre jeunesse, mais aussi évoque sa future mort, est très bien mis en lumière : par exemple « Il rendait le moment présent d'autant plus intense et poignant que nous le vivions comme du passé. » Elle revit avec lui sa jeunesse pauvre et « plouque », maintenant qu'elle est « bourge ». S'inverse ainsi le phénomène qu'elle a analysé dans tous ses livres antérieurs : c'est elle, la transfuge de classe, maintenant « bourge », qui est face au jeune pauvre qu'elle était avant sa mue. ● La thématique de l'inceste court également dans le livre, et il y a cette très belle phrase : « Je voudrais être à l'intérieur de toi et sortir de toi pour te ressembler ». ● L'autobiographie transforme l'auteur en être de fiction, ce qui, par un curieux mécanisme de va-et-vient entre réel et fiction, interfère dans sa vie : « La principale raison que j'avais de vouloir continuer cette histoire, c'est que celle-ci, d'une certaine manière, avait déjà eu lieu, que j'en étais le personnage de fiction. » Comme si la vie n'était vécue que pour être écrite, pour faire littérature. ● Une certaine jeunesse se trouve bien décrite et montre le fossé qui s'établit entre son jeune amant et l'auteur, qui, elle, s'est libérée et a échappé à sa classe sociale par le travail : « Il n'avait jamais voté, n'était pas inscrit sur les listes électorales. Il ne pensait pas qu'on puisse changer quoi que ce soit à la société, il lui suffisait de se glisser dans ses rouages et d'esquiver le travail en profitant des droits qu'elle accordait. C'était un jeune d'aujourd'hui, convaincu de « chacun sa merde ». le travail n'avait pour lui pas d'autre signification que celle d'une contrainte à laquelle il ne voulait pas se soumettre si d'autres façons de vivre étaient possibles. » ● L'utilisation des initiales pour le nom de son amant, « A. » et surtout pour la ville où elle a passé son enfance, « Y. » est assez agaçante, tout le monde sait que c'est Yvetot. Ces demi-cachotteries sont malvenues dans un récit où elle se veut sincère. ● En conclusion, j'ai aimé ce petit livre et je le conseille.
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C'est un récit très court et intimiste comme le sont tous les récits d'Annie Ernaux, c'est une petite parenthèse amoureuse et sexuelle dans sa vie de femme de 55 ans.
Cette liaison avec cet étudiant de 30 ans son cadet suit la genèse d'un roman qui parle de cet avortement clandestin qu'elle a subi alors qu'elle était étudiante comme lui.
Cet amour, qui attire les regards, la comble, car pourquoi les femmes mures n'auraient pas le droit de s'afficher avec des jeunes hommes puisque le contraire semble n'étonner personne. Et elle sait être convaincante et provocante, Annie, lorsqu'on touche au féminisme.
Á travers le comportement de ce jeune étudiant, « désargenté, issu d'un milieu populaire » elle retrouve ses origines modestes :
« Il était le porteur de la mémoire de mon premier monde ».
Elle épingle même ces petits gestes, les mêmes que les siens autrefois et c'est comme une marche arrière dans sa vie :
« J'avais l'impression de rejouer des scènes et des gestes qui avaient déjà eu lieu, la pièce de ma jeunesse.
Elle met une certaine distanciation quand elle évoque sa relation qui se joue au présent, dans cette l'immédiateté qui lui apporte une certaine jouissance. Elle est aussi dans les souvenirs, ceux de ses amours passés, plutôt que dans un avenir commun incompatible avec leur différence d'âge :
« Avec lui, je parcourais tous les âges de la vie, ma vie. ».

Le jeune homme a joué ce rôle « d'ouvreur du temps » dans la vie de l'écrivaine, lui permettant d'écrire son roman jusqu'à ce qu'elle le quitte.
« Plus j'avançais dans l'écriture de cet évènement qui avait eu lieu avant même qu'il soit né, plus je me sentais irrésistiblement poussée à quitter A. »

Malgré la sincérité qui perce tout au long du récit, on a l'impression qu'elle se sert de la jeunesse de son amant, qu'il est un catalyseur pour retrouver sa jeunesse étudiante et lui permettre d'entrer en écriture.
Et la brièveté du récit ne fait que renforcer mon impression. Peut-être qu'avec un texte plus long, plus fouillé aurait-on pu sentir davantage cette complicité et ce plaisir simple qui vont bien au-delà de la différence d'âge ?
Cette lecture m'a laissée sur ma faim.



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Ce court roman d'Annie Ernaux, plutôt une nouvelle, est important pour comprendre sa démarche d'écrivain et son rapport au temps et à l'écriture.
L'histoire est connue : elle a une laison avec un jeune homme de 25 ans alors qu'elle a 30 ans de plus.
Davantage que l'histoire elle-même (les regards réprobateurs, sa volonté de choquer,...), c'est ce que lui inspire cette histoire qui est intéressante;
Cette histoire lui permet de replonger dans ses propres souvenirs de jeune femme, quand elle était encore étudiante, dans ses souvenirs d'avant son changement de statut social aussi.
Que ce soit clair, elle n'a pas eu cette aventure pour avoir une trame de roman, mais elle a compris que l'écriture donnait de l'épaisseur et de la réalité à ce qu'elle vivait.

Cette démarche, toute proustienne (alors que leurs styles sont à l'opposé l'un de l'autre), permet de comprendre Annie Ernaux et sa recherche inlassable des moments forts de sa vie pour en faire des thèmes de roman.
Loin de l'auto-fiction pure, elle prend de la distance pour retranscrire l'essence de ses souvenirs, et si ça ce n'est pas proustien... ;-)
Après avoir lu les autres billets, j'ajoute qu'à mon avis on apprécie plus ce livre si on a lu les autres ouvrages d'Annie Ernaux.
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C'est toujours un immense plaisir de découvrir un nouveau récit d'Annie Ernaux.

« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme, elles ont été seulement vécues », nous dit l'autrice dès la page de garde.
Nous sommes à Rouen, à la fin du 20ème siècle – Rouen, la ville qui a été celle de l'écrivain, qui a connu un avortement clandestin il y a bien longtemps. La narratrice accepte de rencontrer un jeune étudiant qui lui écrivait depuis un an et qui avait trente ans de moins qu'elle.

Ils nouent ce qu'on pourrait qualifier une relation sexuelle, une relation que la narratrice qualifie d'équitable : il lui donne du plaisir, il lui fait revivre ce qu'elle n'aurait jamais imaginé revivre, et elle lui évite un travail qui le rendrait moins disponible : « J'étais en position dominante et j'utilisais les armes d'une domination don, toutefois, je connaissais la fragilité dans une relation amoureuse » : le décor est planté.

Ils dorment dans l'appartement de l'étudiant, concoctent des repas sur une plaque électrique, vont parfois dans des café fréquentés par des jeunes. le couple présidentiel de 2017 n'est pas encore arrivé, et ce type de relation n'est pas du tout dans l'air du temps : « comment peux-tu sortir avec une femme ménopausée » ? pensent probablement les jeunes qu'ils croisent.

L'étudiant est pauvre. Il n'a pas encore accédé au niveau de vie qui est celui de la narratrice à ce moment-là, il est même un peu « plouc » selon elle : cela la replonge doublement dans sa propre jeunesse, pauvre et sans culture non plus, à ceci près qu'elle pensait s'en sortir en travaillant – « avoir un métier avait été la condition de ma liberté » - tandis que lui essaye d'esquiver le travail en profitant tout de même des droits que la société peut lui accorder.

Une sensation étrange nait dans l'esprit de la narratrice, qui se retrouve face à lui dans des gestes qu'elle avait autrefois : « Avec lui je parcourais tous les âges de la vie, ma vie. ». Sensation qui se poursuit lorsqu'elle parcourt des lieux qu'elle a fréquenté à Rouen, comme la cité universitaire encore visible et restée quasiment en l'état.

N'est-elle pas en quelque sorte le personnage de sa propre fiction ? On peut se le demander.

Lorsqu'il évoque le futur, elle fait preuve d'une forme de cruauté. Elle lui répond « le présent suffit », mais ils peuvent parler tout de même du temps où il sera marié, père d'un enfant et … loin d'elle.
Le regard que les autres portent sur eux est bien sûr jugeant, mais ils n'en ont cure, et cherchent même les couples semblables au leur : une forme de connivence s'enclenche aussitôt.

Il y a même de la revanche chez la narratrice à s'afficher ainsi avec lui, comme sur la jetée près de la mer à Fécamp, en écho à une scène sur le même lieu lorsqu'à 18 ans elle se promenait sous le regard furieux de sa mère parce que portant une robe trop moulante : la différence c'est qu'avec l'étudiant elle ne ressent plus la moindre honte, voire même un sentiment de victoire.

D'autres coïncidences troublantes émergent encore, notamment lorsque la narratrice regarde son amant manger, et pense à cet autre étudiant de qui elle est tombée enceinte : et on comprend que tout le récit de cette relation n'avait qu'une finalité : pouvoir entreprendre le récit de l'avortement clandestin qui s'en est suivi à Rouen – et de fait mettre un terme à la relation avec l'étudiant.

Trois ans après la fin de leur histoire, Annie Ernaux publiait « L'Evénement » en 2000 (qui a fait l'objet d'une adaptation au cinéma).

Il faut donc relier ce « Jeune homme » à l'ensemble de son oeuvre pour bien le comprendre. Je l'ai lu trois fois successivement pour en digérer le suc, et je me suis rappelée l'immense plaisir à lire « Les Années » que j'avais chroniqué il y a longtemps, mais aussi « Passion simple », « La place » ou « L'autre fille ».

Annie Ernaux est une très grande écrivaine, qui tient une place à part mais très importante dans la littérature française. On se ne lasse pas de la lire – je ne m'en lasse pas pour ma part. J'ai lu trois fois les 37 pages de ce « Jeune homme » et je pourrais recommencer encore sans problèmes.

Elle a une façon bien à elle de traiter du récit : il ne s'agit ni d'une confession, ni d'un aveu, mais de « sauver quelque chose du temps où on ne sera plus jamais » comme elle le dira dans « les Années ».
Elle a confié pourtant à François Busnel de la Grande Librairie se sentir un peu illégitime – pour moi sa légitimité dans la littérature française ne fait pas du tout débat.
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