Un Je me souviens sans « je », comme si
Annie Ernaux voulait partager un patrimoine à la fois commun et personnel avec l'ensemble de ses lecteurs.
Le souvenir peut être un repas de famille dans
les années cinquante, une impression ressentie au cours d'un événement, une chose entrevue dans une ville étrangère. Nous remontons ainsi de la petite enfance de l'auteur jusqu'à aujourd'hui, une remontée par saccades, le souffle mesuré, presque économisé. « Ce ne sera pas un travail de remémoration, tel qu'on l'entend généralement, visant à la mise en récit d'une vie, à une explication de soi. Elle ne regardera en elle-même que pour y retrouver le monde, la mémoire et l'imaginaire des jours passés du monde, saisir le changement des idées, des croyances et de la sensibilité, la transformation des personnes et du sujet, qu'elle a connus et qui ne sont rien, peut-être, auprès de ceux qu'auront connus sa petite-fille et tous les vivants en 2070. Traquer des sensations déjà là, encore sans nom, comme celle qui la fait écrire. » « Une sorte d'autobiographie impersonnelle » pour reprendre l'expression d'
Annie Ernaux.
Comment expliquer cependant l'insatisfaction que je ressens ? Je suis face à un récit fragmenté, toujours à fleur d'émotion, mais volontairement débarrassé de tout ce qui pourrait « faire gras ». Et si, justement, le lecteur avait besoin d'un peu de gras, d'un pas plus allongé, d'une émotion qui se cristallise un moment pour ne pas être seulement une buée sur les yeux ? J'avoue que le livre d'
Annie Ernaux ne m'a pas donné le temps de m'arrêter. Son récit glissant m'a sans cesse ramenée sur le rivage comme une vague impitoyable qui ne me laisserait pas la possibilité de savourer le frisson d'une eau profonde sur ma peau.