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sur 2148 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avec Les Années, Annie Ernaux réussit le tour de force d'écrire un récit de vie qui ne soit absolument pas narcissique ni même autocentré. Cette chronique de l'après guerre évoque par petites touches l'évolution de la société française à travers les souvenirs de l'auteur et sa propre expérience. Ecrit à la troisième personne, il porte un regard presqu'extérieur sur la femme qu'elle était. Elle se souvient, de conversations de table quand elle avait 6 ans, de la télévision qu'on regardait au café du coin, de la première voiture et de ce type qui vantait Paic Citron sur Europe 1, des vacances en Espagne si bon marché, de 68 et de Sartre, de Kiri le Clown et de la petite ville normande où elle a grandi. Les couches de mémoire se sédimentent et Annie Ernaux exhume 60 ans d'impressions, de jalons qui marquent une époque, un moment du temps. On disait "encore un que les boches n'auront pas", on disait "épatant" puis "débile", on disait "mon copain", on avait un téléphone, un ordinateur, un Ipod et à chaque fois l'engin nouveau s'intégrait à la vie au point qu'on ne puisse pas imaginer la vie sans lui.
Le récit d'Annie Ernaux est très touchant. il nous renvoie à notre condition d'étoiles filantes qui accumulent expériences, sensations, souvenirs et connaissances, importantes ou dérisoires mais qui pour la plupart sont vouées à disparaître avec nous et, en même temps, il rappelle de manière saisissante ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, ces milliers de minuscules sensations, de plaisirs plus ou moins grands, de secondes où le bonheur surgit d'un rayon de soleil ou d'une odeur retrouvée.
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Je n'avais jamais lu de romans d'Annie Ernaux, c'est maintenant chose faite et je dois dire que j'ai beaucoup aimé : Les années.
Annie Ernaux possède le talent et la finesse de l'écriture, un tantinet satirique et moqueuse, d'allier la sphère de l'intime, son petit monde, ses ondes intérieures à celui du monde universel qui nous concerne tous.
Au travers de photos et de clichés personnels, elle tisse le fil de sa mémoire etcelui de la mémoire du monde.
Avec beaucoup de finesse, à l'instar de, Marcel Proust qu'elle apprécie, elle se glisse dans la notion du temps qui passe, qui se perd et qui nous fait tout simplement parcourir le temps de la vie d' un homme, d'une femme.
L'expérience de sa propre vie est en corrélation étroite avec la mentalité d'une époque.
Elle part des années 40, celles de sa naissance jusqu'aux années 2000 jugées inaccessibles ou inateignables pour les gens de sa génération.
On apprend ainsi l'évolution de la société, très codifiée et religieuse des années 50, en passant par l'espoir de mai 68, l'élection de 1981, point d'orgue d'une génération.
Ce qui est très intéressant, c'est que ses observations ou ses commentaires comme par exemple les fêtes de famille résonnent en chacun de nous. On a tous entendu nos parents, nos grands parents raconter des choses similaires.
Le détachement, voire le reniement des origines sociales dû à une élévation sociale, notamment par les études est très pertinent.
Au total, même si je n'ai pas l'âge d'Annie Ernaux, beaucoup de choses dites et d'analyses de nos comportements sociaux ont résonné dans ma tête.
Je vous conseille vivement ce petit opus surtout si vous ne connaissez pas cet auteur.
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« Ecrire une sorte de destin de femme, qui ferait ressentir le passage du temps en elle et hors d'elle, dans l'Histoire, un roman total. Ce sera un récit glissant, dévorant le présent au fur et à mesure jusqu'à la dernière image d'une vie »
Voilà le but que s'était fixé Annie Ernaux : écrire son autobiographie mais non centrée uniquement sur elle-même, plutôt une femme dans sa famille, dans la société, dans son pays, dans le monde. Son appréhension des choses. Pas de « je », mais « nous », « on ».
Elle participe au monde, et le monde rejaillit sur elle.


J'ai adoré ce type de narration qui m'entraine bien plus loin que moi-même.
Depuis l'après-guerre jusqu'à la première décennie des années 2000, Annie Ernaux cite des faits marquants, retrace l'humeur et l'état d'esprit de chaque génération, expose l'âme du temps.
J'ai l'impression que tout est recensé !
Evidemment, comme elle est française, elle fait référence aussi à la politique de son pays, mais nous les Belges y sommes habitués, donc ses fragments ne m'ont pas souvent déstabilisée.
J'ai retrouvé les préceptes d'éducation de ma grand-mère et de ma maman, et les miens aussi.
J'ai acquiescé devant son exposition de la transformation du monde.
J'ai souri devant son énumération des morceaux de musique, des titres de livres, des slogans publicitaires, des phrases toutes faites, des blagues éculées.
J'ai frémi au souvenir des faits-divers marquants.
J'ai souscrit à ses pensées féminines et féministes.


Deux éléments récurrents rythment le récit : les repas de famille et les photos d'Annie Ernaux, qui sont détaillés à chaque décennie environ, et on remarque ainsi le glissement des mentalités, de la préhension du monde. Ayant vécu plusieurs décennies depuis les années 60, je peux assurer que j'y adhère complètement !


« Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais » : c'est totalement réussi.
Ce livre m'a aidée à appréhender le temps qui passe et à opérer un retour sur moi-même, mon époque et celle de mes parents.
C'est un coup de coeur !
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De la grisaille au culte d'Apple
OU
des méfaits cognitifs de l'hédonisme.

Dans mes explorations des romans contemporains, j'ai rencontré le nom d'Annie Ernaux en lisant des critiques. Il y en a des volumes, sur Babelio. Pour me former une opinion, j'ai choisi le roman qui me semblait être le plus ambitieux, ou le mieux abouti: Les Années.

Dans son discours d'acceptation du Nobel, elle dit écrire pour venger les siens, des humbles, et les femmes, ses soeurs. Elle se veut aussi opposante à l'extrême droite. de tout cela, je n'ai pas retrouvé grand'chose de bien explicite ici. Il s'agit plutôt d'une exploration chronologique de sa vie, dans le contexte où elle l'a vécue. Un récit ethnographique, en quelque sorte. Écrit dans ce style qu'elle justifie par la pudeur, ne voulant ni des larmes ni des ricanements de ses lecteurs, surtout s'ils sont riches.

J'ai eu l'impression d'assister à la projection d'un film, ou d'entreprendre un voyage en train. Les paysages changent, mais chaque paysage a ses maisons, ses prés, ses forêts et ses cours d'eau. L'enfance, l'adolescence, les années d'étude … passent la revue. Et chaque période est accompagnée de nouveaux mots, de marques, de modes, d'activités, de passions, d'événements petits et grands, de la première voiture à l'élection présidentielle ou à la chute du Mur. Ainsi passent les années puis les décennies : trois p'tits tours et puis s'en vont.

Il y a donc de tout dans ce récit. de tout, sauf de projet de vie, mis à part l'envie, sans cesse remise, d'écrire ce roman.. L'engagement politique, tant vanté, se limite à des sympathies, peut-être à un bulletin de vote, et au souvenir de lectures de jeunesse. Pas de philosophie ni d'idéologie, plutôt un hédonisme plat, matérialiste et franchement assumé ( c'est déjà ca). L'écriture serait quête spirituelle, mais elle aboutit à une énumération. L'auteur affirme avoir tellement changé au fil des ans qu'elle n'y voit pas vraiment de continuité personnelle. D'où peut-être le besoin de mettre les choses à plat et d'écrire cette énumération. Pour voir ce qu'il en ressort.

Je crois que là, justement, réside la force de ce roman. Il peint un portrait, que l'on pourrait sans doute qualifier de “naturaliste” ou “ minimaliste” de tout ou partie d'une génération. Celle dont je fais juste encore partie . Bien que venant de contextes différents,aussi sur les plans politiques et philosophiques, je me souviens moi aussi du monde gris de mon enfance. La télévision noir et blanc. La radio qui serinait vingt fois par jour la même chanson. Les convenances. Les questions qu'il ne fallait pas poser, les choses dont on ne pouvait pas parler. Les hypocrisies. La routine. L'ennui. Quand j'ai eu seize ans, j'ai regardé autour de moi, j'ai vu mes copains, leurs mobylettes, leur flipper, leurs parents, leurs trois-pièces-cuisine. Mon prof. d'histoire, qui se disait anarcho-syndicaliste mais vivait en petit-bourgeois, qui avait un vague DEUG mais se prenait pour un intellectuel. Je me suis dit : je ne veux pas être comme eux. Cette vie là, je n'en veux pas. Moi, je ferai quelque chose de ma vie. Je veux être quelqu'un. Je ne sais pas si j'ai réussi mieux que les autres. Mon “moi” de seize ans me jugerait sans doute sévèrement. Je lui dirais que c'est un petit con et qu'il la ferme. Mais je me dirais aussi que si nous avons déconstruit un monde de conventions et de grisaille, nous n'avons pas mis grand chose de valable à la place. Un terrain vague, avec un hypermarché au milieu. le culte d'Apple. Quelle bêtise ! C'est cela, ce que montre ce roman. C'est là sa force. Et c'est pourquoi je crois que ce livre devait être écrit.




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J'aurais peut-être du commencer par là, par ce livre - parapluie qui englobe beaucoup de publications précédentes d'Annie Ernaux et m'a permis de mieux comprendre le sens de son travail.
Il faut dire qu'il est plus facile d'accès, axé sur un "nous" qui à travers une sociologie intime déroule une certaine réalité française des années cinquante à aujourd'hui, réalité appréhendée de manière suffisamment vaste pour que l'on ne puisse que s'y reconnaître à un moment ou à un autre.
J'ai été plus à l'aise, par rapport à d'autres publications plus autocentrées, avec le positionnement par lequel l'auteure intervient dans ce récit construit autour de clichés exhumés d'une boîte à souvenirs; un positionnement plus équilibré entre le lecteur et l'auteure, la seconde prenant la bonne distance pour éclairer un vécu par l'époque dans laquelle il s'est déroulé, le premier moins invité à une contemplation voyeuriste d'une intimité qu'à comprendre, porté par ses propres résonnances, la construction d'une personnalité dans son environnement.
En faisant défiler sous nos yeux toute l'histoire sociale et politique de ces soixante dernières années, de la France d'après-guerre à l'explosion de la société de consommation, des souvenirs de la guerre qui s'estompent aux convictions politiques qui se brouillent, on mesure ce qu'il y a de particulier d'être né pendant la guerre et d'avoir traversé ces bouleversements profonds, qui plus est pour une femme, plus encore pour une intellectuelle (de gauche, le récit en miroir d'une femme de l'autre bord serait intéressant!).
Beaucoup de notes intéressantes, pertinentes ou subtiles dans ce journal du temps qui certes prend des raccourcis et des biais idéologiques pour dire ce que l'on est au moment où on l'est, mais n'est-ce pas le principe même de ces "années".
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Je viens de terminer avec émotion ce livre prodigieux, époustouflant, et d'une sincérité rare. Et puis, il y a tant de tendresse et d'humanité qui transparaît derrière ce choix revendiqué du récit impersonnel. Pour moi, un véritable chef-d'oeuvre.

D'Annie Ernaux, j'avais énormément apprécié dans les années 80 ses romans La place et Une femme, consacrés en grande partie l'un à son père l'autre à sa mère. Cette façon de relier autobiographie et récit sociologique dans une écriture volontairement dépouillée, débarrassée de toute emphase, mais pas sans émotion, m'était apparue foncièrement originale.
Je ne sais pas m'expliquer pourquoi, depuis lors, je n'ai plus rien lu de cette autrice. Il y a comme cela des écrivain.e.s que l'on oublie alors qu'on les a aimés, c'est ainsi pour moi par exemple d'Andrei Makine dont je n'ai plus rien lu depuis le testament français, ou encore Gilles Leroy depuis Alabama Song.
Le Prix Nobel 2022 attribué à Annie Ernaux m'a incité, comme beaucoup d'autres je suppose, à aborder à nouveau l'oeuvre de cette autrice.

Après un petit hors d'oeuvre constitué par une chronique perspicace et tendre d'une année de courses dans l'hypermarché Auchan de Cergy, le plat de résistance qui m'attendait était ce formidable récit publié en 2008. Annie Ernaux, approchant des 70 ans, revient sur son parcours de vie en y mêlant les événements de la société et de la politique qui l'ont marquée.
Et le résultat est magnifique. Car cette narration impersonnelle et impressionniste, et pourtant si émouvante, dont elle s'explique en fin de livre, raconte à la fois plus d'un demi-siècle de notre mémoire collective, et les attentes, les déceptions et les joies, les combats de cette femme profondément humaniste et honnête.

Je sais que je ne peux pas être totalement objectif à l'égard de ce texte, car je suis de la génération de l'autrice, de quelques années plus jeune, comme elle issu d'une famille modeste, et ayant longtemps partagé, mais plus depuis les années 2010, ses opinions politiques. Évidemment, je n'ai pas vécu sa condition de femme et ses évolutions durant toutes ces années.
Mais que cela me parle, la vie d'après guerre, les récits des parents de « leur » guerre 1939-1945, les réunions de famille, les années yé-yé, mai 68 où j'étais étudiant, 1981 et ses grands espoirs finalement déçus, la société de consommation et ses dérives, l'avènement de l'ère Internet et du téléphone portable, des réseaux sociaux, et ce sentiment de décalage avec la vie actuelle, et tant, tant d'autres choses. D'ailleurs, ayant fini le livre, je n'ai qu'une envie, le relire. Et je remercie cette femme d'avoir ainsi donné vie à notre vie collective.
Et puis, l'évolution de sa vie, les attentes de l'enfant, de la jeune fille, sa condition subie de femme au foyer dans les années 60, son émancipation, sa vie professionnelle, amoureuse, les relations avec ses enfants empreintes de tendresse et d'étonnement, et enfin, la sérénité de la vieillesse. Et jamais de complaisance, d'auto-satisfaction, de misérabilisme non plus.
Des photos de famille constituent aussi les jalons de ce kaléidoscope personnel et collectif, conférant une mise à distance dans l'autobiographie.

Vraiment un très grand livre. Maintenant je comprends mieux pourquoi le jury du Nobel a voulu distinguer Annie Ernaux pour « le courage et l'acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements, et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ».
Enfin, un petit détail, peut-être pas si petit que cela, qui m'a émerveillé: c'est sa référence à Proust et à la mémoire involontaire, auquel elle consacre quelques pages, et cette façon dont, comme Proust dans le Temps retrouvé, elle termine son livre en annonçant comment elle a trouvé la manière de le construire. Et pourtant, quelle différence entre les méandres et la luxuriance de l'écriture de Proust, et celle si dépouillée de Ernaux. Mais cette différence ne doit pas nous tromper. Tous deux sont des écrivains qui mêlent mémoire personnelle et collective, et ont créé un « monde » si proche et si lointain, inimitable.

Je sais que beaucoup de lectrices et de lecteurs s'expriment, sur Babelio ou ailleurs, pour dire leur désintérêt, voire leur rejet de cette oeuvre qu'elles, ou ils, trouvent trop auto-centrée, voire narcissique, et puis ne laissant pas de place à la fiction, l'imaginaire.
Des lectures que j'ai faites et notamment de celle-ci, je ne partage pas cet avis. Pour moi, comme dans d'autres aspects de l'art, peinture, musique, etc.., il y a différentes approches qui ont toutes leur beauté, et que l'on ne peut comparer. En tout cas, et bien que je ne serais pas là pour le vérifier, je parie que l'oeuvre d'Ernaux, comme avant elle celle de Proust, restera dans cent ans, comme témoignage d'un monde disparu et comme source de réflexion sur la vie.
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Que d'émotions en lisant ce livre. Annie Ernaux nous entraîne dans un tourbillon historique et individuel d'où il est impossible de se sortir. Pas de "c'était mieux avant" possible. Le carcan social et religieux brimait l'individu et l'empêchait de s'accomplir. Faire partie du groupe absolument. La description de la première communion est à cet égard significatif. L'histoire nous entraîne comme une force à laquelle on ne peut échapper. Impossible dans ce milieu social par exemple de ne pas participer à mai 68. Pour autant , l'avenir est tout sauf radieux car la technologie et la société de consommation nous entraîne dans l'individualisation à outrance très bien décrite dans l'évolution des repas de famille où l'on peine à s'entendre sur des sujets de conversation. Les jeunes ne parlent plus que de leur "dernière bécane".
La protagoniste ne se retrouve plus dans l'éclatement familial et social.
Un roman sociologique et déterministe qui ne laisse pas indifférent.
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Ma lecture fut d'abord déconcertante : des phrases lancées en l'air comme des souvenirs en vrac.
Puis le livre s'organise avec une photo comme point de départ d'un voyage dans notre société de 1944 à 2006.
Annie Ernaux procède comme elle peindrait une toile impressionniste, par juxtaposition d'aplats de couleurs hétérogènes.

Elle nous emmène en balade, structurant une forme d'autobiographie originale, “à la recherche du temps perdu” ou plutôt du “temps retrouvé” à sa façon.

La prix Nobel est née en 1940 et “Les années” de sa jeunesse vous seront pour la plupart d'entre vous inconnues, cependant vous croiserez à un moment ou un autre des images qui vous “parleront”.

La construction du livre suit un mouvement de zoom arrière, elle part d'une photo d'Annie, embrasse ensuite son environnement rapproché puis englobe la représentation ethnographique d'une époque.

Qui plus que l'autrice est la mieux placée pour parler de son “objet” littéraire ? “Ce ne sera pas un travail de remémoration, tel qu'on l'entend généralement, visant à la mise en récit d'une vie, à une explication de soi. Elle ne regardera en elle-même que pour y retrouver le monde, la mémoire et l'imaginaire des jours passés du monde, saisir le changement des idées, des croyances et de la sensibilité, la transformation des personnes et du sujet, qu'elle a connus…”

Je l'ajoute à ma liste de livres à emporter sur une île déserte pour garder un peu de notre vie d'avant la solitude.
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"C'était une dictature douce et heureuse contre laquelle on ne s'insurgeait pas, il fallait seulement se protéger de ses excès, éduquer le consommateur, définition première de l'individu. Pour tout le monde, y compris les immigrants clandestins entassés dans une barque vers la côte espagnole, la liberté avait pour visage un centre commercial, des hypermarchés croulant sous l'abondance. Il était normal que les produits arrivent du monde entier, circulent librement, et que les hommes soient refoulés aux frontières. Pour les franchir, certains s'enfermaient dans des camions, se faisaient marchandise - inertes-, mouraient asphyxiés, oubliés par le conducteur sur un parking au soleil de juin à Douvres."

C'est à travers Les années que je découvre Annie Ernaux. A partir de photographies et de marqueurs temporels, l'auteur nous peint l'histoire de celle qui dit elle et non pas je. le "je" est un point fixe et transparent, en revanche, le "elle", bien qu'extérieur, retrace la perspective de celle qui devient.
Une volonté de liberté et de libération anime violemment celle qui déplore que l'individu ne soit désormais qu'un objet de consommation, un pur produit. Car lorsque l'homme est réduit à ce point à n'être qu'un objet commercial, que reste-t-il de son humanité ? L'homme a-t-il encore une conscience et la conscience du monde ?

"On évoluait dans la réalité d'un monde d'objets sans sujets. Internet opérait l'éblouissante transformation du monde en discours.

Le clic sautillant et rapide de la souris sur l'écran était la mesure du temps."

Le temps humain, la durée vécue, détrônés par le temps des machines...
L'homme serait-il devenu un être qui a perdu son temps propre ? Mais comment exister alors hors de soi et de son humanité ?

Dans un style simple et percutant, Annie Ernaux place le lecteur face aux contradictions de notre temps. Les années pose beaucoup de questions et donne à penser une humanité décalée, et déracinée... Sans langage.....

"Dans le brassage des concepts, il était de plus en plus difficile de trouver une phrase pour soi, la phrase qui, quand on se la dit en silence, aide à vivre."

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Annie Ernaux, spécialiste de l'autofiction, puise sans relâche et depuis toujours dans son vécu personnel. C'est encore le cas avec ce livre mais ici, l'ambition est bien plus élevée et le résultat confirme un véritable talent d'écrivain, témoin de son époque et identifiable par un style d'écriture innovant.
Elle brosse le tableau d'une vie entière, en faisant resurgir ses souvenirs au moyen de photographies anciennes commentées et datées. Au rythme des pages tournées, comme en feuilletant un album de photos de famille, elle revisite les moments clés de son histoire.
Elle parle à la troisième personne comme pour prendre de la distance devant une matière aussi intime.
Et ses souvenirs, si personnels, sont inextricablement mêlés à la mémoire collective de tous ses contemporains. On explore ainsi non seulement l'évolution de sa vie, mais aussi celle de son époque, avec les courants de pensée, les comportements, les crises, les anecdotes, les modes de consommation, depuis l'après-guerre jusqu'à aujourd'hui. Éblouissant.

Bonus : https://youtu.be/awZWWumS4AU
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