J'avais été tellement enthousiasmée par "
Le mystère Sherlock" que je pouvais difficilement faire l'économie de la lecture des autres romans de J.M.Erre. C'est cependant avec une certaine appréhension que je me décidai enfin à sortir "
Prenez soin du chien" de ma PAL. J'espérais bien sûr y retrouver les ingrédients qui m'avaient tant plu dans "
Le mystère Sherlock", mais je craignais surtout d'être déçue, malgré un titre prometteur et une histoire semble-t-il complètement déjantée. Je redoutais en particulier que les traits d'humour y soient trop appuyés (la frontière est souvent mince entre le rire et la consternation).
Le fait est que j'ai eu un peu plus de mal à rentrer dans ce livre que dans le précédent. Je le trouvais amusant, mais il me manquait un petit quelque chose pour être totalement séduite : la caricature et les situations me semblaient un peu forcées, et les personnages trop énormes pour êtres crédibles. Bref, je n'étais pas plus emballée que ça. Et puis le déclic s'est produit, après une petite centaine de pages. Je me suis laissée prendre au jeu, et j'ai peu à peu succombé au charme d'une intrigue plus tortueuse que ne pouvaient le laisser présager les premiers chapitres, portée par la prose d'un auteur plein de verve et d'intelligence.
"On peut en effet se poser la question : l'agent immobilier a-t-il une âme ? En tout cas, moi c'est ce que je me demandais cet été alors que je rampais d'agence en agence, en expiant la honte de mon célibat, l'indignité de ma cinquantaine, le scandale de mon statut d'auteur de feuilletons radiophoniques ("Ah bon ? Ca existe encore ?") pour mendier la grâce d'une visite d'un infâme taudis au septième étage sans ascenseur." (page 57)
J'ai particulièrement apprécié la mise en abyme du récit, dont l'intrigue à tiroirs ne se résume pas à une simple succession de péripéties absurdes et déjantées. le lecteur va de surprise en surprise, et le dénouement tient quant à lui toutes ses promesses. La narration change régulièrement de point de vue, et l'essentiel du texte est constitué d'extraits des journaux intimes de Max Corneloup et Eugène Fluche, lesquels s'indignent continuellement du comportement inquiétant de leurs voisins respectifs. Leur affrontement à distance semble dans un premier temps être au coeur du roman, et l'on s'amuse de leur délire paranoïaque et égocentré, teinté de cynisme et d'humour noir.
Tout aussi réjouissantes sont les lettres que la concierge Mme Ledoux envoie régulièrement à sa vieille maman, pour lui faire part des faits et gestes des locataires de son immeuble... comportements qu'elle interprète évidemment à sa manière très personnelle ! Elle en devient presque touchante de suffisance et de naïveté. Une folie douce semble également s'emparer des autres résidents, tous plus tordus les uns que les autres. J.M.Erre crée une galerie de personnages burlesques et hauts en couleur, qui rivalisent de maladresse et de mauvaise foi, et semblent agir de façon totalement insensée (au grand désespoir de nos chers Max et Eugène). Mention spéciale à Zamora, "réalisateur" d'un genre nouveau, dont les films se résument à une compilation de plans et de scènes extraits de longs-métrages tournés par d'autres, soigneusement assemblés pour composer une nouvelle histoire. Les cinéphiles apprécieront ! Les autres personnages ne sont pas en reste : Raphaël Dumoget se consacre corps et âme à son élevage de gerbilles apprivoisées, Mme Brichon cherche sans relâche le responsable de la mort de son chien Hector, tandis que le petit Bruno, jeune délinquant en herbe, sème la terreur dans la cage d'escalier du n°5.
"J'étais à deux doigts d'employer une technique pédagogique un peu ringarde, certes, mais qui a fait ses preuves : la baffe. Il a dû le sentir [...] parce qu'il a arrêté net sa logorrhée. Il s'est mis à me regarder avec un air de réflexion intense et deux doigts dans le nez (pour éviter une descente de cerveau ?) puis il a accepté de travailler en silence." (page 88)
Le récit à la première personne est parfois interrompu par l'intervention d'un narrateur mystère, qui commente l'action dans de courts passages rédigés en italique. Ces ruptures surprennent, et entretiennent efficacement le suspense. Quel est donc cet individu bien informé, qui semble tirer les ficelles en attisant les haines et les rivalités ? le mystère s'épaissit, la confusion s'installe, et le roman prend un tour particulièrement réjouissant, pour ne pas dire captivant. C'est souvent drôle, parfois hilarant, et l'on ne peut qu'applaudir devant tant de maîtrise. Vivement le prochain J.M.Erre* !
* par chance, il m'en reste encore deux à lire : "
Série Z" et "
Made in China", tous deux parus chez Buchet-Chastel et édités en poche aux éditions Points.
Un premier roman très convaincant, passionnant et délicieusement burlesque.
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