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Critique de si-bemol


[Lu dans le cadre d'une Masse critique Privilège Babelio]

Joseph Zimm - dit “l'homme-homard” en raison de la malformation congénitale de ses mains - misanthrope notoire et haï de tous, vient d'être assassiné. Il a été découvert “éviscéré, émasculé, énucléé, étêté - et mort - dans ses toilettes.” Bienvenue en Gévaudan, et plus précisément à Margoujols, petit village tranquille de 432 habitants.

C'est une commune rurale où il ne se passe jamais rien et où la date du 11 septembre 2001 n'évoque rien d'autre que le jour où - événement croustillant - “le vieux Childéric avait été surpris en train d'exprimer son affection débordante à une brebis.” Pourtant, Margoujols n'est pas un village tout à fait ordinaire : un cirque itinérant présentant un “freak show” (et dont la victime avait fait partie) s'y est installé en 1945, y est définitivement resté et y a fait souche. de sorte que le village est, depuis, peuplé de femmes à barbe, de nains, de géants, de soeurs siamoises, d'hommes-caoutchouc et autres bizarreries de la nature, et que la normalité y est une notion tout à fait relative.

La narratrice, Julie, une jeune fille de 23 ans qui se trouve être la fille du maire, est pour sa part infirme moteur cérébrale et tétraplégique - résultat d'une naissance compliquée - et pose sur les villageois comme sur elle-même un regard pour le moins sans complaisance, elle qui se décrit par ces mots : “émaciée, le regard fixe, la tête penchée sur le côté pour mieux me baver sur l'épaule. Car je bave. Beaucoup. Un des rares domaines dans lesquels je sois très productive. Je suis un monstre. Je vous avais avertis.”

C'est par le biais de cette narratrice qui se revendique comme étant “le cynisme incarné” que le lecteur plonge au coeur de cette sombre affaire de meurtre dont elle va explorer avec son intelligence froide et acérée les pistes envisageables, les possibles mobiles et les suspects potentiels. Depuis son fauteuil roulant, elle s'improvise auxiliaire bénévole et enthousiaste de gendarmes perplexes et déconcertés, à la limite de l'effarement, l'adjudant Pascalini et son stagiaire Babiloune. Elle mène l'enquête tambour battant - elle dont personne ne se méfie - jusqu'à venir à bout de l'énigme proposée à notre sagacité de lecteurs : qui, parmi ces personnages bizarroïdes, a bien pu faire la peau de cet homme-homard détestable et détesté passé maître dans l'art de l'insulte et de la calomnie, et dont le petit carnet noir a disparu, peut-être volé par son assassin… tandis qu'une mystérieuse blogueuse tapie dans l'ombre se vante avec délectation sur son site intitulé “Ma vie en monstre” d'être une serial killer aguerrie et que les meurtes s'enchaînent, en suivant le même mode opératoire ?

Avec "Qui a tué l'homme-homard ?", J.M. Erre nous entraîne à bride abattue dans un univers totalement déjanté peuplé de créatures improbables où le sordide le dispute au burlesque. Tous les personnages sont méthodiquement passés à la moulinette du politiquement incorrect et au filtre de l'humour très noir et passablement grinçant d'une narratrice lourdement handicapée qui ne respecte aucun tabou, se moque allègrement de tout - y compris et surtout de son propre handicap - et pose sur toutes choses un regard d'une ironie mordante et désenchantée assorti de réflexions au vitriol, lucides et sans aménité, mais intelligentes et souvent profondes, notamment sur le handicap, son ressenti par les personnes concernées et sa perception par autrui.

Le style est alerte et bondissant, le roman est bien écrit (en dépit de quelques coquilles) et, une fois entamé, ne lâche plus son lecteur tant il a hâte de connaître le dénouement de cette intrigue obscure et bien ficelée qui, jusqu'au bout, ménage le suspense... Dans le même temps, l'auteur s'amuse à nous révéler les ressorts (puisés chez ses plus brillants confrères) indispensables à l'écriture d'un roman policier efficace et convaincant, ce qui, pour tout amateur de littérature, est un réel plaisir.

Un polar atypique, décalé et très original dont le ton délicieusement irrévérencieux et insolent emporte le lecteur hilare dans un univers tragi-comique et profondément dérangeant, et que j'ai beaucoup aimé.

Merci à Babelio et aux éditions Buchet-Chastel pour ce cadeau et ce bon moment de lecture !

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
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