Maître de la matière

A sa grande surprise elle se plaisait chaque jour d'avantage à Saradkov, justement parce que l'île était inhospitalière, difficile, primitive. Le carcan des conventions séculaires y tombait. On vivait loin du coton ou les classes aisées empaquetaient leurs enfants. Tout était authentique, direct, d'une réalité brutale. Le froid faisait voler en éclat les carapaces sociales, le vent arrachait les masques et le quotidien réduit a son minimum permettait de reconnaître l'essentiel et de se débarrasser du superflu. Pour la première fois de sa vie, elle avait l'impression d'être en contact avec la réalité. Quelle ironie d'éprouver enfin la sensation de vivre dans le monde hostile du cercle polaire. p399

On passe son temps à reconnaître ses erreurs quand il est trop tard pour les rattraper.

Charlotte découvrait avec ravissement l'extraordinaire variété des instruments à clavier. Avec Gary, elle sut bientôt faire la différence entre une épinette et un clavicytherium, découvrit son premier piano mécanique, se passionna pour le terpodion et s'extasia devant un monumental apollonicon de 1912. Elle apprit ce qu'était un piano carré, une clavi-harpe, un piano lyre, un orphica. Elle s'émerveilla devant le son éthéré de l'adiaphone, sorte de piano dont les cordes sont remplacées par des diapasons et qui, pour cette raison, ne se désaccorde jamais.
Elle s'étonna devant le pyrophone, un orgue à gaz dont les sons musicaux sont produits par des flammes et qui fut rapidement abandonné au dix-neuvième siècle à cause de sa propension à exploser en plein concert.

Je me disais toujours que c'était ça la vraie vie: faire, avoir et vivre ce qu'on voulait sans se soucier de l'argent. Pour être honnête, je le pense toujours. Surtout, la vie devrait être belle. On ne devrait pas travailler du matin au soir à des tâches inintéressantes. Mais si, pour ça, il faut devenir riche... S'il faut devenir sans scrupule et dur de cœur au point de prendre ce qu'on veut aux autres, au point même de tuer pour ça, alors le prix est trop élevé. Alors la vie qu'on gagne ainsi n'est pas la vie telle qu'elle devrait être, tu comprends ?

" C'est ainsi que voyagent les riches, poursuivit sa mère. La première classe est beaucoup plus chère que la nôtre. Pour le même trajet, figure-toi, et alors même qu'ils n'arriveront pas avant nous. C'est stupide, conclut-elle en secouant la tête d'un air désapprobateur. Tout ça parce qu'ils se croient supérieurs. Ils estiment qu'ils ne supporteraient pas de passer deux heures avec des gens normaux. "

Prends, par exemple, le traitement des informations par le cerveau : les impulsions ne circulent au mieux qu'à cent mètres par seconde. Les ordinateurs sont beaucoup plus rapides parce que leurs impulsions se déplacent à la vitesses des électrons.
- Donc la nature n'est pas pressée.
- Pourquoi le serait-elle ? Elle dispose littéralement de tout le temps du monde.

Elle se planta devant lui, lui passa le bras autour du cou et l'embrassa. "Je veux bien, murmura-t-elle. Mais après, tu devrais te laver. Rappelle-toi, c'est dans une baignoire qu'Archimède a eu sa meilleure idée."

Elle retira ses gants en caoutchouc vert sans quitter la tombe des yeux. "Il' m'a fait la cour et m'a demandé trois fois ma main. A notre âge! Le vieux fou!" Elle se tourna vers Hiroshi. De petites larmes perlaient au coin de ses yeux."J'ai toujours refusé et, maintenant qu'il est trop tard, je le regrette."
Il garda le silence. Tous deux restèrent un moment l'un à côté de l'autre sans parler.
"Parfois, j'ai l'impression que la vie n'est rien d'autre, reprit-il enfin. On passe son temps à reconnaître ses erreurs quand il est trop tard pour les rattraper."
Sa mère passa un bras autour de sa taille. Il eut l'impression qu'elle avait rapetissé.
"Je suis heureuse que tu sois là., dit-elle. C'est une bonne surprise."

... quand on parle de richesse, on ne parle pas d'argent mais de travail. Si la richesse n'était qu'une question d'argent, il serait facile d'enrichir tout le monde. Il suffirait de faire marcher la planche à billets. Ca n'aurait aucun intérêt parce que l'argent n'est que du papier imprimé. Ce n'est pas lui qui compte, c'est le travail. La richesse, c'est la capacité à faire travailler les autres pour soi.
...
La richesse, poursuivit-il, c'est posséder danvantage que les autres, à tel point qu'ils ont prêts à travailler pour en recevoir une part. C'est le principe. Et, d'après ce principe - il leva l'index-, la richesse pour tous est impossible car tout le monde ne peut pas posséder davantage que les autres. Tout le monde ne peut pas être plus intelligent ou pllus grand que la moyenne non plus.

C'est bien pratique d'être un enfant et de ne pas encore avoir le sens des réalités. Ça permet à l’imagination d'emprunter des voies qu'on s'interdirait adulte en se disant qu'elles n'aboutiraient à rien.