Claire, franco-colombienne, est de retour à Bogotá, sa ville de naissance, après avoir longtemps vécu en France. Cette psychanalyste de cinquante-neuf ans, bien qu'issue de la bourgeoisie, éprouve pour ses pairs confits dans leur condescendante et capricieuse supériorité une détestation équivalente à son incompréhension pour une nouvelle génération que son obsession pour son apparence rend superficielle et inintéressante. le ton sur lequel elle s'exprime, entre conversation amicale et confession faussement intime, embarque le lecteur sans peine. Sa narration révèle une femme discrète et sans doute sincère, qui se qualifie elle-même d'un "peu coincée".
C'est à la Maison de la Beauté, salon d'esthétique où se croise l'élite de la capitale colombienne, qu'elle rencontre Karen, qui y est employée. La jeune femme est venue du Sud du pays dans l'espoir de mieux gagner sa vie à Bogotá ; elle économise en vue d'y faire venir son fils de 4 ans, qu'elle a laissé chez sa mère. Claire est immédiatement charmée par sa beauté métisse, "naturelle au point de sembler presque agressive dans un monde où les fleurs ne poussent plus dans la terre".
Au fil de leurs rencontres régulières dans la cabine de soins où Claire se sent apaisée par la chaste sensualité que lui procure les mains expertes de Karen, les deux femmes nouent une relation invitant bientôt aux confidences. L'esthéticienne apparait à la psychanalyste comme le personnage principal d'une histoire qu'elle commence à écrire dans sa tête, puis de manière concrète, avec pour résultat le texte qu'il nous est donné à lire.
Une histoire alimentée par un drame impliquant la jeune femme : Sabrina Guzman, lycéenne, est retrouvée morte la nuit suivant son rendez-vous pour une épilation, ce qui fait de Karen l'une des dernières personnes à l'avoir vu vivante. La conclusion de l'enquête oscille entre suicide ou overdose, mais les parents de la jeune fille ne croient à aucune de ces deux versions.
Il convient d'ajouter au duo que forment Claire et Karen une troisième héroïne. Lucia Estrada est la meilleure amie de Claire. Elle a pendant des années écrit des livres de développement personnel que son mari -dont elle est dorénavant séparée-, par un arrangement qui leur convenait à tous deux, signait et publiait à son nom.
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Le salon de beauté", "terre de femmes aux manières raffinées", nous emmène bien au-delà de son atmosphère feutrée et parfumée. La mort de Sabrina est un prétexte qu'utilise
Melba Escobar pour dresser de la capitale colombienne un portrait bien peu flatteur. Corruption, misère, inégalités sociales, sont autant de maux dont les femmes sont généralement les premières victimes, souvent condamnées à des boulots difficiles et sous-payés. Dans un pays où leur valeur dépend de la taille de leurs fesses et de la rondeur de leurs seins, elles se sont habituées à ne rien dire, à ne pas faire de vagues, subissant à tous les niveaux sociaux la violence des hommes.
La description de ce contexte, la plume fluide de l'auteure rendent la lecture plaisante. Dommage que ces qualités soient amoindries par une complexité narrative qui finit par perdre un peu le lecteur.
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