D’une écriture limpide, où affleurent une ironie de bon aloi et un amour immodéré de cet art menacé, l’auteur rappelle notamment que le fragile piédestal où se sont juchés compositeurs, interprètes et mélomanes est le produit d’une histoire récente. Et que des solutions existent, pourvu que l’on veuille reconnaître les causes profondes d’un déclin pas forcément inéluctable.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lionel Esparza prend à bras-le-corps le déclin de la musique classique dans les pratiques et les goûts du public. Son analyse lucide refuse cependant le pessimisme stérile.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Il y eut donc une période où c’est devant Otello ou Tristan que l’on apprenait à faire son lit. Les individus comme les collectifs, d’ailleurs : Nietzsche n’a pas baptisé pour rien « civilisation de l’opéra » cette Europe pour laquelle la scène lyrique était la principale distraction collective, un miroir où les sociétés se représentaient, s’admiraient, se testaient, un vecteur de passions nationales enfin où, certains grands soirs, les peuples venaient s’échauffer avant de se mettre en branle (ainsi lorsqu’en 1830 La Muette de Portici embrasa la révolution belge) ; en somme, à la fois l’épicentre de la société du spectacle et le cœur de la fabrique de l’homme.
Manifestement, cet âge est révolu. Depuis longtemps la vie, la vraie, ne s’échaude plus à l’opéra. En sortant d’une représentation, on ne se demande d’ailleurs pas comment le père a pu vouloir sacrifier sa fille, mais pourquoi le metteur en scène a encore installé un lavabo dans le décor ; on ne se scandalise plus des trahisons du chambellan mais des ratés du baryton. L’impact originel s’est perdu, le feu attiédi, notre empathie retirée à bonne distance. Comme l’a joli écrit Umberto Eco, on a réduit « ce qui fut en son temps un grand théâtre des passions et des idées à une comédie des formes ». On est devenu adulte - c’est bien ; mais curieusement, l’on ne s’y fait pas - c’est ennuyeux. Et quand les plus jeunes d’entre nous ont besoin de modèles (ou de contre-modèles, cela marche couramment ensemble), ils ne vont plus voir Lohengrin ou Don Carlo à l'opéra : ils regardent des séries en streaming, Euphoria ou Game of Thrones.
I. D'une concurrence l'autre, p. 25-26
Emblèmes de la "grande musique" pour beaucoup, les valses Strauss passeront auprès d'un amateur de quatuor à cordes pour des modèles de futilité. Face à Justin Bieber, le Barbier de Séville appartient à la musique sérieuse ; devant Pelléas et Mélisande, il devient un divertissement. Chacun jugera selon ses capacités relativistes du poids de ses préjugés dans ces distinctions. Ce qui est certain, c'est que, malgré toutes les métamorphoses de nos représentations, une chose ne change pas (que Proust, il est vrai, avait pointée avant Bourdieu) : sur le terrain des goûts, on est toujours le moine de quelqu'un et le bouffon de quelque autre.
Le 26.01.2023, Lionel Esparza évoquait “Conversations” de Steve Reich dans “Relax !” (France Musique).