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Marcher", emboîter le pas à l'auteur et le suivre dans ses errances, de villes en villes et parfois de bars en bars, le suivre au gré des rencontres, en Norvège, à Paris ou en Turquie. L'imaginer dormir à la belle étoile, poser le livre et regarder par la fenêtre la nuit claire et tranquille.
J'ai toujours beaucoup aimé ce que l'on nomme "Littérature de voyage" et peut-être qu'en ces temps de confinement, je l'apprécie plus encore.
C'est l'histoire d'un homme qui sort un jour de chez lui et commence à
marcher. Il ne sait pas vraiment où il va. Il "vagabonde", selon la vieille tradition. Derrière lui, une maison, une femme, tout un pays. Des liens terrestres, des liens du coeur. Mais
Tomas Espedal s'éloigne, il avance, il marche. Et plus il marche, plus son esprit s'allège, plus sa pensée s'approfondit. C'est une force incroyable qui le pousse en avant, l'irrépressible envie de liberté.
"Petit à petit je le comprends, tu es heureux parce que tu marches" écrira-t-il.
Il fera route tantôt seul, tantôt avec un ami. Car si la solitude est féconde, nous devons nous méfier de toute fascination morbide qui nous éloignerait du monde. Cela,
Tomas Espedal semble l'avoir bien compris.
En chemin, l'auteur rend hommage à quelques solitaires bien connus, comme Erik Satie, dont il ira voir la petite maison, mais sans s'y attarder, déçu sans doute de la trouver si misérable. le lecteur croisera aussi Giacometti, Rousseau, et quelques autres, ces grands hommes évoqués donnant au récit de voyage un tour plus érudit.
Le rythme de cette balade est lent, comme pour réhabituer le lecteur à faire la pause, à accepter les blancs.
Tomas Espedal veut faire de nous des lecteurs-flâneurs. Il nous berce de sa prose délicate et mélodieuse. Il ne s'agit ici que de prendre son temps, de ne pas trop en demander et de regarder vraiment.
Mais point d'idéalisme. L'auteur nous rappelle, juste au moment où nous commencions à chausser nos sandales que la vie du vagabond est une vie faite de beaucoup de souffrances et de privations. Alors
marcher, oui, mais pouvoir rentrer quand on veut dans sa chaude maison. C'est le vagabondage moderne, un itinéraire pour enfant gâté. L'auteur en est pleinement conscient et le léger agacement qui parfois m'avait titillée s'est évanoui en lisant ceci: "nous avons assez d'argent et aucune contrainte, ni travail ni devoirs, (...) nous sommes irresponsables et libres."
Pour tous les autres il reste les voyages immobiles car, nous dit l'auteur, "il y a bien des façons de voyager, il y a bien des façons de rester à la maison; (...) nous pouvons voyager dans notre propre salon. Nous pouvons nous asseoir dans le premier fauteuil venu, derrière le bureau près de la fenêtre, et commencer à écrire."
Ou lire....