Deux jours après mon arrivée, l'Angleterre déclarait la guerre à l'Allemagne, entraînant derrière elle tout le Commonwealth : Inde, Canada, Australie, Afrique du Sud et Nouvelle-Zélande.
L'après-midi même, tandis que le clocher de Notre-Dame sonnait cinq heures (j'étais alors monté contempler la vue depuis la cathédrale, encore plus impressionnante que celle de ma chambre), la France est à son tour entrée dans le jeu. "La France en guerre contre l'Allemagne !" ont hurlé les crieurs, dès le lendemain matin, par un 4 septembre qui sentait encore l'été malgré les marronniers grillés et les platanes brunis.
Dans les rues, c'était la panique. Les gens se parlaient, les inconnus s'apostrophaient, inquiets, terrifiés, ou juste surpris :
Vous avez entendu ? C'est donc la guerre ?
Il paraît qu'elle va être encore plus longue que la précédente...
Ça ne va pas recommencer, s'est lamenté un quadragénaire à béquille, à l'angle de l'avenue
Georges V et des Champs-Elysées, devant le restaurant Fouquet's où j'avais tenté d'apercevoir quelques vedettes de cinéma.
Il a exibé sa jambe gauche.
La droite est restée à Verdun, en 17; et je n'ai pas l'intention de perdre celle-ci...
Soyez sans crainte, l'a rassuré un militaire qui descendait la célèbre avenue au bras d'une
élégante, notre armée est la plus forte du monde, nous ne ferons qu'une bouchée de ces Fritz. Et si certains parviennent à percer la ligne Maginot, ils seront coincés. Ils ne pourront pas aller plus loin...
Le militaire avait l'air si sûr de lui que le petit attroupement qui s'était formé sur le trottoir a semblé rassuré. Seul l'infirme, agrippé à sa béquille, faisait grise mine.
Dieu vous entende, mon colonel..., a-t-il maugréé en levant vers le ciel un oeil perplexe, car le temps tournait à l'orage.
Le colonel a haussé les épaules avec désinvolture, offrant un sourire charmeur à sa cavalière avant de répondre, comme une boutade :
Dieu est français, soldat !
Tout le monde ne partageait pas hélas l'optimisme de cet officier.
Je te l'avais annoncé, Guillaume, c'est une vraie catastrophe ! m'a dit Simon le soir de la funeste nouvelle, tandis que je revenais d'une immense promenade qui m'avait conduit de l'Institut au bois de Boulogne, de Longchamp à Montmartre, du Sacré-Coeur au Père-Lachaise et de la Nation à la Cité... Une promnade qui s'est achevée sous la pluie, car l'orage avait fini par éclater, déchirant le ciel parisien d'éclairs presque aussi éffrayants que ceux de la Manche.
Trempé, vidé, je me suis effondré dans le canapé du salon, ôtant mes chaussures pour laisser respirer des pieds aussi douloureux que des brûlures à vif.
Simon était assis à son petit bureau d'acajou, de l'autre côté de la pièce, près de la fenêtre giflée par les gouttes. Plussieurs journaux ouverts devant lui, il observait les passants qui fuyaient la pluie, sur le quai.
- Il va falloir être discret, ami. Si tu n'étais pas étranger, tu serais bon pour la mobilisation
générale. Mais n'attirons pas trop l'attention ssur toi, car tu pourrais être renvoyé en Angleterre pour être aussitôt sous les drapeaux...
Soldat ? Moi ? me suis-je récrié.
Simon a tourné vers moi un visage soucieux, celui qu'il prenait pour m'expliquer des vérités, pour "élever mon âme", comme il disait avec ironie.
- En France, comme en Angleterre, beaucoup d'hommes entre seize et cinquante ans vont être appelés sous les drapeaux
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