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Critique de Frederic524


Bouda Etemad, professeur d'histoire retraité des université de Genève et Lausanne, signe avec "De Rousseau à Dunant, la colonisation et l'esclavage vue de Genève", un livre d'histoire des idées particulièrement intéressant. Peu étudié puisque la Suisse ne possédait aucune colonie à une période où l'impérialisme des XVIIIème et surtout XIXème siècle voyait la France, l'Angleterre, la Belgique, la Hollande, le Portugal et l'Espagne, voir même les Etats-Unis d'Amérique et dans une moindre mesure l'Allemagne, se constituer des empires coloniaux absolument immenses. le but était double: apporter la civilisation à des populations jugées "arriérées" et cela au mépris de leur histoire, de leur culture. Mais c'est surtout la mise en place d'un pillage systématique des ressources de ces royaumes qui est mis en place. Au XVIIIème siècle, la Traite négrière depuis l'Afrique en direction des Amériques où des îles comme Cuba, Saint-Domingue, les Antilles, la Jamaïque, forme un modèle économique qui apportera la fortune aux ports négriers et aux familles blanches propriétaires des esclaves. Traités comme des biens meubles, déconsidéré jusque dans leur humanité, les esclaves déportés d'Afrique, notamment du Bénin, plaque tournante du commerce négrier en Afrique, la déportation est un crime contre l'humanité absolument incontestable. Si aujourd'hui, nous jugeons très sévèrement ces horreurs, il n'en fût pas toujours le cas. Les prémices commencent aux Lumières avec quelques auteurs et philosophes qui commencent à mesurer l'horreur de ces déportations de femmes, d'hommes et d'enfants. Rien n'est simple, on peut être contre l'esclavage et dans un même temps, ne pas être troublé par la colonisation et la mise en coupe réglée des ressources des royaumes africains. La réalité est d'autant plus complexe, que certains royaumes africains comme le Dahomey au Bénin qui entre 1740 et 1880 vivait presque exclusivement de la vente d'esclaves africains pour le commerce triangulaire Atlantique. Ainsi grâce à Bouda Etemad, c'est tout le courant des idées qui, à Genève, est décortiquée. Si le pays ne possédât pas de colonie, il n'en fût pas moins un acteur de l'esclavage en investissant dans la Traite négrière. Les riches familles suisses préfèrent, aujourd'hui encore, conserver les documents familiaux compromettant. Les historiens suisses sont ainsi, en quelque sorte, privées de sources qui seraient essentielles pour poursuivre et même aller plus loin dans cette réflexion sur le point de vue des élites intellectuelles sur l'esclavage. Il n'y avait pas deux camps, les anti esclavagistes favorables à l'émancipation des esclaves noirs, la fin de l'esclavage, et les tenants d'une ligne dure voyant dans la Traite négrière un modèle économique particulièrement lucratif. La réalité est beaucoup plus complexe que cela, nuancée selon les époques. de nombreux intellectuels suisses sont ici étudiés sous le prisme de leurs écrits et opinions, leurs positionnements sur ces thématiques. Les éditons Antipodes publient ici un ouvrage particulièrement riche et intéressant. Les derniers chapitres du livre permettent aussi d'aborder une Traite arabo-musulmane bien souvent oublié et surtout bien plus importante en nombres d'esclaves déportés. C'est tout le travail d'Olivier Grenouilleau, historien français et spécialiste incontestable de la question notamment avec la publication d'un ouvrage référence en 2004 "Les Traites négrières, Essai d'histoire globale" chez Gallimard. A l'époque, la parution de cet ouvrage fît débat avec les associations noires de France. Sans doute parce que Olivier Grenouilleau, toujours dans cet esprit précurseur "d'histoire globale" (méthode aujourd'hui très en vogue chez les historiens et porté par des historiens aussi renommés que Patrick Boucheron). Olivier Grenouilleau parla de toutes les traites, là où beaucoup se contentaient de ne condamner que la seule Traite négrière Atlantique. Il aborda avec rigueur et même une certaine forme de courage intellectuel, la Traite arabo-musulmane et le rôle joué par Les Touaregs et autres royaumes africains qui firent eux aussi fortune en vendant des esclaves africains aux négociants de la Traite négrière. C'est un livre que Bouda Etemad a bâti avec sérieux, il nécessite quelques connaissances préalables des mouvements intellectuels aux origines du débat sur l'abolition de l'esclavage. Erudit, l'ensemble se lit avec un plaisir certain.
Ps : Juste pour l'anecdote, Olivier Grenouilleau fût un de mes professeurs durant mon année de DEA d'histoire en 2004 (ou Master 2) à l'Université de Bretagne Sud à Lorient.
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