« Autrice » libère les créatrices endormies ou ligotées qui sommeillent ou se débattent en nous
« L'histoire d'autrice, dont nous proposons ici une rapide esquisse est passionnante à plus d'un titre, car elle recoupe à la fois l'histoire de la langue, celle de la fonction-auteur et les étapes de l'accès des femmes à la sphère publique en général, et à la création en particulier. Elle permet surtout de mettre à bas certains préjugés concernant le soi-disant incongruité de ce féminin et son incapacité à désigner la femme qui écrit » »
Aurore Evain parle, entre autres, des nombreux usages de l'auctrix latin, des « savants » et de leur résistance à ce féminin puis de son interdit, de « celle ou celui qui accroit », de l'usage du mot tout au long du Moyen-Age, du couple lexical actrix/auctrix, de la valeur sémantique que les termes recouvrent au masculin, « Apparaîtra actrice quant le terme acteur se limitera au sens de « comédien » ; disparaitra autrice quand la fonction-auteur s'institutionnalisera et se dotera d'un prestige littéraire et social »…
La Renaissance, des autrices. Puis au XVIIème siècle, la soi-disant valeur générique du masculin « considéré comme le seul genre capable d'inclure et de représenter l'universel », la guerre menée contre autrice, la censure d'un féminin et surtout la condamnation de la femme qui écrit, l'éradication d'autrice dans les manuels de langue du XVIIIème siècle…
Le mot est enfoui et lorsqu'il réapparait vidé de sa légitimité historique, il sera considéré comme… un néologisme. L'autrice cite Sylvain Maréchal et son Projet de loi portant défense d'apprendre à lire aux femmes, le lien entre discrimination terminologique et discrimination sociale « commence désormais à se dire ». Il ne faut donc pas oublier que le masculinisme est au coeur de la pensée révolutionnaire, de Sylvain Maréchal à
Pierre-Joseph Proudhon, sans oublier
Jean-Jacques Rousseau et le refus de
la démocratie passé la porte des maisons ou certains syndicalistes révolutionnaire du début du XXème siècle qui refusaient à la fois le travail salarié des femmes et leur syndicalisation… (sur ces sujets, je rappelle les travaux de
Geneviève Fraisse).
Reste que contrairement aux injonctions académiciennes le terme autrice est bien légitime, comme la réflexion féministe sur le rapport sexué au langage. Il nous faut nous réapproprier ces mots enfouis par la masculinisation politique de la langue française, redonner une « épaisseur historique » à certains mots, redonner vie à l'accord de proximité et inventer un langage plus adéquat à l'égalité…
En épilogue,
Aurore Evain souligne le fait qu'il ne s'agit pas en fait de féminiser la langue française, mais bien de la démasculiser, de rendre leur place « aux féminins qui existent depuis des siècles ». Elle aborde aussi la découverte de modèles, la place des femmes dans la production littéraire, la longue présence des femmes dans la création, la langue égalitaire « débarrassée des interventions sexistes d'un autre âge, nettoyée, pour les générations à venir, de ses mécanismes de délégitimation mis en place il y a quatre siècles », la bonne compagnie de son article avec la pièce de
Sarah Pèpe…
Sarah Pèpe nous propose une pièce et des personnages. Il faut lire les savoureuses questions de l'enfant à l'institutrice, autour de « le masculin l'emporte sur le féminin », la volonté de comprendre, le chagrin arc-en-ciel, la décision que certains mots puissent habiter dans le livre des mots, « Maintenant / Il faut que j'explique / A maman et à papa / Que la note de la maitresse est juste / Parce que la règle de grammaire / N'est pas juste »…
Comme l'autrice indique que « Toute ressemblance ou similitude avec des propos ayant réellement été prononcés est purement volontaire », les lectrices et lecteurs ne pourront être qu'effaré·es des sentences de
Georges Dumézil ou de
Claude Lévi-Strauss. Pour ce dernier je rappelle cette incroyable phrase, maintes fois commentée par des féministes : « le village entier partit le lendemain dans une trentaine de pirogues, nous laissant seuls avec les femmes et les enfants dans les maisons abandonnées » ; les femmes et les enfants ne faisant visiblement pas parti du village ou de l'humanité pour cet anthropologue…
Elle – une autrice – qui dit et assume le nom, des ielles et les ritournelles sur le laid, le grotesque, la faute de goût, le ridicule, le heurt de l'oreille…
Et, entre autres, un écrivain-vain, un philosophe qui ne peut concevoir des philosophesses, et se plaint de la défiguration de la langue, un masculiniste et la dévirilisation ou l'émasculation de la société, ceux qui énoncent que le « il » serait universel, le masculin générique…
Des femmes, Je-Dis-Je-Suis-Féministe-Même, Je-Suis-Féministe, Je-Ne-Suis-pas-Féministe-Mais, des Expertes, Marie-Louise Gagneur,
Hubertine Auclert,
Yvette Roudy…
Une leçon sur les mots, les sens, la légitimité, la dévalorisation, le pouvoir… avec l'humour nécessaire de « l'ennemi introduit dans les murs » par une sorcière…
Le titre de cette note est inspiré de deux phrases d'
Aurore Evain.
A lire et à offrir à toustes celleux qui pensent hypocritement que la langue serait le seul lieu exempt de rapport de pouvoir.
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