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Jonathan Baillehache (Traducteur)
EAN : 9782743658458
256 pages
Payot et Rivages (08/02/2023)
3.85/5   54 notes
Résumé :
Lorsque vous ouvrez les yeux, vous ne savez plus qui vous êtes ni d'où vous venez. Vous savez que le monde a changé, qu'une catastrophe a détruit tout ce qui existait, et que vous êtes paralysé à partir de la taille. Un individu prétendant être votre ami vous dit que vos services sont requis. Vous voici donc transporté à travers un paysage de ruines, sur le dos de deux hommes en combinaison de protection, vers quelque chose que vous ne comprenez pas et qui pourrait ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (25) Voir plus Ajouter une critique
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Quand on lit la quatrième de couverture, on se dit qu'on est en terra cognita, le scénario combinant plusieurs tropes classiques de la SF ; à savoir un monde post-apocalyptique , un protagoniste principal ayant perdu la mémoire, un réveil de ce dernier après une très longue cryogénisation.

Sauf que dès les premières pages, la sensation de familiarité s'envole immédiatement pour ne jamais réapparaître. Là où la plupart des auteurs de SF cherchent à présenter un monde clair et compréhensible, quitte à surexpliquer, Brian Evenson choisit lui d'introduire en permanence des éléments d'incertitude narrative. A peine sait-on qu'il y a eu le Kollaps, une catastrophe ( indéterminé ) qui a transformé la Terre en paysage lunaire, désertique et stérile, empoisonné au point que la faune et la flore ont été éradiquées et que la population humaine se réduit à quelques groupes dispersés accrochés à leur survie. Et puis c'est tout pour le cadre spatio-temporel.

Le lecteur est propulsé dans un doute oppressant qui ne le quittera jamais, complètement déboussolé car ce qu'il découvre de ce monde terrible, il le fait à travers les seuls yeux de Josef Horkai sauf qu'après un « stockage » cryogénisé de trente ans, il se réveille paraplégique et amnésique. Ses limitations physiques et mentales ne lui permettent plus de distinguer ce qui relève de souvenirs réels ou de son imagination voire d'un rêve ( ou cauchemar ). Il est page blanche, plongé dans un brouillard d'images figées qu'il ne parvient à analyser correctement, avec des bribes d'informations qui se cognent dans sa tête. Il ne sait même pas s'il peut faire confiance à ceux qui l'ont réveillé pour lui assigner une mystérieuse mission de retrouver un objet volé. Lui dit-on la vérité ? Il ne sait pas qui il est, même pas s'il est toujours humain.

Le récit est court, plein d'étrangeté et de tensions très immédiates que le lecteur ressent aussitôt, comme connecté à ce Josef, presque comme s'il était en lui. La prose de Brian Evenson a la netteté d'une lame de rasoir, que ce soit dans les descriptions du monde qui se révèle progressivement à notre regard, ou dans les dialogues quasi absurdes ( presque du Beckett parfois ) avec les deux hommes «  mules » qui le transportent sur leur dos.

L'auteur transmet parfaitement la menace et le désespoir qui transpercent la sauvagerie de ce nouveau monde. Se juxtaposent des perspectives discordantes qui ne conduisent jamais vers des conclusions préfabriqués, plutôt un ensemble d'idées interconnectées qui aident le lecteur à se positionner quasi philosophiquement en se questionnant sur le sens de la vie, l'identité et la responsabilité morale. Comme souvent chez Evenson, ancien prêtre mormon en rupture avec son milieu, le récit oscille entre nihilisme et messianisme. L'intrigue est saturé de références bibliques, mais toujours pour plonger encore plus dans le cauchemar. Jusqu'aux dernières pages terrifiantes de brutalité ( j'en frissonne encore ) qui propose un dénouement aussi percutant qu'inattendu.

Un étrange voyage qui ne ressemble à aucun livre post-apo lu auparavant, une lecture rude et marquante.
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Il existe des gens très bien sur cette planète. Seulement, ceux qui dominent le monde, ne le sont pas. Forcément, seuls les haineux arrogants perfides dominent le monde. D'où ma question : à la Fin des Temps, lorsque les vivres manqueront, quel genre de personne restera-t-il?
****
Josef Horkaï se réveille d'un long sommeil en cryogénie. Il ne se souvient de rien et ne peut plus bouger ses membres inférieurs. Il se retrouve acculé à une tâche qu'il ne comprend pas. On lui demande de récupérer un cylindre dans un lieu particulier. Et comme il ne peut pas marcher, on lui octroie deux « serviteurs », appelés des mules, qui doivent accomplir leur raison d'être : transporter Horkaï d'un point à l'autre, et le ramener avec l'énigmatique cylindre. Qualifier des êtres humains de mules, déjà cela me fait mal au coeur. D'ailleurs pendant tout le trajet, Horkaï tente de comprendre leur raisonnement, absent de toute réflexion existentialiste. L'air est toxique, les mules sont sous scaphandres, tandis qu'Horkaï est « spécial », l'air toxique ne l'atteint pas. Pourquoi ? Est-ce un surhomme ? Un ange ? Pendant cette quête, Horkaï va découvrir un monde dévasté, dépeuplé, désertique, toutes constructions du passé en ruine, sans plantes, ni animaux. Lorsqu'il parvient enfin à destination, la personne qui le reçoit lui ressemble trait pour trait…. Tous ses mystères attraperont le plus haut niveau de mon attention jusqu'à la dernière ligne. Tandis que nous nous posons des questions sur Horkaï, nous nous en posons également sur le fond du roman :
- Si la religion n'avait pas existé, que serions-nous aujourd'hui ? (et j'ai pensé à Zarathoustra qui descend de la montagne pour nous apprendre la mort de Dieu).
- Si c'était la fin des temps, et que nous avions le pouvoir de redonner vie, le ferions-nous ?
- Si les anges existent vraiment, nous protègent-ils des malheurs de la Terre ou de nous-mêmes ?
- Dans La Bible, les justes seront ressuscités pour la Vie Eternelle. C'est quoi les justes ?
- Est-ce que j'ai envie de vivre éternellement ?
- Est-ce que la Vie Eternelle n'est pas une métaphore pour exprimer que l'être humain fera tout, quoi qu'il en coûte, pour assurer la survie de l'espèce?
- Si Dieu nous a fait à son image, est-il arrogant et perfide comme nous le sommes ?
- Et d'autres encore...

Toutes ses questions métaphysiques ont un sens pour moi. Et Brian Evenson, ancien mormon a de la matière a communiqué sur ce pan de spiritualité. Car, alors qu'il est peut-être bon de se questionner sur la naissance de l'humanité et son devenir, il est moins bon d'adhérer à une communauté dirigée par des êtres humains qui disent suivre la parole divine. En réalité, ses communautés ne suivent que ce qui les arrangent car les textes sacrés sont interprétables à l'infini… Les textes sacrés ont ceci de vicieux, c'est qu'ils sacralisent d'une certaine manière la place de l'Homme dans le monde. Derrière ses belles paroles d'humilité, se cachent le plus grand complot d'arrogance et de malveillance à l'égard d'une grande partie des êtres vivants. Et peu importe que Dieu soit Amour et qu'il a un plan pour l'être humain, ou qu'il soit inexistant. Peu importe, du fait que la vraie question que se pose Brian Evenson dans ce roman : le méritons-nous ? Avons-nous envie de réessayer ?
« Nous sommes une malédiction, un fléau. Nous avons commencé par donner des noms à toute chose puis nous avons inventé la haine. Puis nous avons commis l'erreur de domestiquer les animaux, une erreur presque aussi grave que la découverte du feu. A partir de là le lien est facilement fait avec l'esclavage, et une fois qu'on considère les hommes comme des animaux -comme des mules, par exemple, continua-t-il en lançant un regard à Horkaï -, nous devenons un bien jetable, la guerre devient monnaie courante. Ajoutez une religion majoritaire qui prêche la fin des temps et des livres sacrés utilisés pour justifier une atrocité après l'autre, et de là l'annihilation, il n'y a qu'un pas. Il est préférable de ne pas laisser la société se développer du tout, d'abandonner chaque personne à son propre sort, seule, tremblante, et effrayée au milieu des ténèbres. »
L'opposition des hommes restants, entre ceux qui se prennent pour des élus de Dieu et ceux qui se prennent pour Dieu en trafiquant la génétique, rendent les personnages (les plus enclins à survivre naturellement dans ce monde), d'abord Rykte, puis Horkaï, comme au contraire ceux qui pourraient sauver l'être humain des mauvaises décisions, dans un potentiel éternel retour. Je ne vais pas spoiler. Il faut le lire si vous voulez plonger dans cette réflexion.

Bien que se drapant dans une amertume nihiliste, ce roman sera incontestablement dans mon top 5 de 2023. Incroyable road movie sans jambes, ni voiture.

Pour plus de contenances, je vous invite à lire la superbe critique de monromannoir.



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« L'infini du vide sera autour de toi, tous les morts de tous les temps ressuscités ne le combleront pas, tu y seras comme un petit gravier au milieu de la steppe ». »
Samuel Beckett, « Fin de partie ».

Cette épigraphe beckettienne donne le ton du roman de Brian Evenson, une dystopie hallucinée et paranoïaque, une longue plongée au coeur d'un monde dévasté par l'apocalypse, qui a quasiment détruit toute forme de vie, humaine, animale ou végétale.

« immobilité » débute par le réveil violent de son héros, Josef Horkaï. Ce dernier ne garde aucun souvenir d'avoir été stocké, ni des jours qui ont précédé son stockage, et encore moins de sa vie avant le « Kollaps », qui a mis fin au monde tel que nous le connaissons.

Doté d'une force étonnante, Josef se débat lors de l'opération, au point d'amocher les hommes de main chargés de le ramener à la vie. Ses souvenirs sont flous et épars. Josef n'est plus certain de rien, à l'instar des héros dickiens qui peinent à discerner le réel du rêve. Est-il vraiment revenu au monde ? Est-il en train de rêver ? Où se situe la frontière entre les limbes dont il a émergé et la réalité d'un monde dévasté ?

À peine remis sur pied, il saisit qu'il fait partie d'une communauté dirigée par un dénommé Rasmus, qui lui inspire une confiance toute relative. Ce dernier lui apprend que l'absence de sensation dans ses jambes a vocation à durer, dans la mesure où malgré sa force brute, il est paraplégique et atteint d'une maladie incurable.

Josef n'a pas le temps de se familiariser avec la réalité qui l'entoure, ni d'obtenir de réponses tangibles à ses questions. On lui confie en effet une mission de la plus haute importance, dont dépend l'avenir de la communauté de survivants qui vient de le « déstocker ». Il s'agit de récupérer un objet essentiel, une capsule congelée contenant des graines, située à l'extérieur de l'abri où se sont réfugiés les survivants.

Le héros découvre progressivement qu'en plus de son handicap et sa mystérieuse maladie, il est fondamentalement différent. Ni vraiment humain, ni vraiment non humain, il dispose de la capacité de survivre à l'air vicié qui pollue la planète et de se « mouvoir » à l'extérieur de l'abri sans mettre ses jours en danger.

Deux hommes qui semblent frères, Qanik et Qatik, ont été formés pour aider Horkaï à accomplir sa périlleuse mission. Surnommés les « mules », leur raison d'être est de porter ce dernier jusqu'au lieu où la précieuse capsule est cachée et de le ramener sain et sauf en possession du trésor tant convoité. Tout entier revêtus de combinaisons protectrices, ils quittent les lieux en portant sur leurs épaules le héros « immobile » de ce roman aux allures de cauchemar.

Le lecteur féru de S.F. retrouve dans le roman de Brian Evenson les tropes du roman post-apocalyptique. Une planète terre dévastée par une série sans fin de conflits. Des humains apeurés et regroupés en communautés dirigés par des chefs à l'intégrité douteuse. le surgissement d'êtres « intermédiaires », tels que le héros, qui ont développé une capacité de résistance étonnante aux conditions de vie épouvantables du « nouveau monde ».

Et pourtant. L'originalité et la force de percussion de ce roman très sombre tiennent au regard incertain posé par Josef Horkaï sur un univers aux contours mal définis. Notre héros fraîchement déstocké n'est sûr de rien et fait preuve d'une paranoïa évoquant l'un des maîtres du genre, Philip K. Dick. Horkaï accorde une confiance limitée aux dires de Rasmus, au peu d'informations que les « mules » veulent bien lui confier, ainsi qu'à ses propres souvenirs. Pire encore, il ne cesse de douter de ses propres intuitions et de la pertinence de son évaluation du « réel ».

Tout le brio de Brian Evenson réside dans cette économie d'informations communiquées au lecteur qui appréhende une réalité angoissante à travers le regard inquiet de son héros. Si les pièces du puzzle se mettent progressivement en place, une forme d'incertitude persiste. Derrière l'apparence d'une n-ième variation sur le thème du roman post apocalyptique, « immobilité » nous propose une plongée hypnotique au coeur de ténèbres qui nous sont progressivement dévoilées au travers du regard lacunaire et paranoïaque de Josef Horkaï.

Une beauté étrange émane de l'odyssée improbable d'un personnage paralysé, porté par deux improbables « mules », dans un paysage lunaire. le flou qui nimbe une intrigue traversée par l'éclat languide des fleurs du mal offre à « immobilité » un supplément d'âme qui lui permet de transcender le genre « post apocalyptique ».

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Un homme se réveille d'un long sommeil. On l'a sorti de son stockage pour une mission. Laquelle ? Récupérer un objet inconnu dans un lieu inconnu. Dans un monde inconnu depuis une catastrophe qui a laissé la planète, ou, en tout cas, ce coin de planète où se situe le roman, dans un sale état. Ravagé. Atmosphère mortelle. Qui est-il ? Que doit-il faire ? Pourquoi ? La liste des questions est immense. Les réponses vont-elles venir ?

Comme dans L'Aube d'Octavia E. Butler, le personnage principal vient d'une autre époque où la Terre a été dévastée par un cataclysme provoqué par l'humanité. Ici aussi, il est perdu dans ce nouveau monde qu'il découvre progressivement. Mais si chez Octavia E. Butler, la difficulté vient de la présence d'extraterrestres aux us et coutumes étranges pour une humaine, chez Brian Evenson, c'est l'amnésie quasi totale du héros qui crée le problème. Et l'intérêt principal de l'ouvrage. Car le lecteur est comme lui et, avec lui, il va découvrir le monde post-apocalyptique créé par l'auteur américain. Tout va venir progressivement. Et cette attente, ce questionnement continu sur le monde imaginé par Brian Evenson constituent le sel essentiel de ce roman. Comment fonctionne-t-il ? Quels sont ces différents groupes qui semblent s'être constitués ? Mini démocratie ? Tyrannie sans scrupule ? Secte dirigée par un gourou ? L'auteur se montre malin et subtil : les réponses à la situation sont nombreuses. Les choix multiples. Ils laissent du libre-arbitre au lecteur qui peut se faire sa propre idée, ou du moins essayer : quelle voix semble la meilleure pour résister à cette situation ? Sans parler de l'extérieur : pourquoi certains personnages craignent-ils tant de l'affronter et d'autres pas ? À quoi est due cette différence ? Que d'interrogations qui stimulent l'imagination, sans la brider, sans lasser. Une gageure brillamment réussie à mon avis par Brian Evenson. Je ne suis pas (je le répète assez au fil de mes billets) un grand adepte du post-apo. Mais là encore, comme dans d'autres cas récemment (Périphériques de William Gibson, Unity d'Elly Bangs, Resilient Thinking de Raphaël Grenier de Cassagnac, le trilogie Rempart de M.R. Carey, Les Chroniques de Mertvecgorod de Christophe Siébert, ou même L'évangile selon Myriam de Ketty Stewart : en fait, pour quelqu'un qui n'aime pas ce genre, j'en ai lu un paquet !), j'ai été happé par l'histoire. Et mes réticences sont tombées l'une après l'autre. Je ne suis pas encore un fan absolu, mais je ne fuis plus cette étiquette.

D'autant que ce roman est également le creuset d'une vaste source d'interrogation sur l'identité. le personnage principal se réveille amnésique. Il ignore absolument tout. Qui il est, ce qu'il fait là, qui sont les gens qui lui parlent. Et même les raisons de la catastrophe. Voire l'existence de la catastrophe. Qu'était-ce que ce Kollaps, dont même le nom est déformé ? Tout est mis en doute. de plus, sa seule source de renseignement est un homme qui ne lui dit pas tout. Et lui cache sciemment des informations. Ce qui fait que même les pistes qu'il a données peuvent être remises en question. Rien n'est stable. Philip K. Dick, au secours ! Dès qu'il est dans le noir, dès qu'il se réveille sans savoir où il est, Josef Horkaï se demande où il est : est-il encore stocké et est-il en train de rêver ? Est-il à l'extérieur dans une nuit absolue, sans lumière artificielle ? Est-il dans une grotte ou un bâtiment dont les parois ne laissent pas filtrer la moindre lumière ?

« Ça voulait dire qu'il ne pouvait pas se fier à ses sens, qu'il ne pouvait pas se fier à ce qu'il éprouvait et, par conséquent, ne pouvait pas se fier à ses propres pensées. L'esprit est un maître illusionniste. » (page 42) Josef Horkaï (mais est-ce vraiment sont nom ?) est-il un être libre de ses mouvements ou un simple pantin dirigé par d'autres ? Est-il même humain ? Lui résiste à l'atmosphère empoisonnée de l'extérieur alors que les autres, humains semble-t-il, ne survivent pas longtemps, malgré des combinaisons protectrices. L'humanité a-t-elle évolué ? Ou ces êtres sont-ils des créations artificielles ?

Le doute permanent doit être terriblement usant pour lui. Mais pas pour nous. C'est une autre facette de ce roman qui me fascine : il m'a passionné, j'ai tourné les pages avec envie, alors que le sujet est grave et pourrait être pesant. le traitement de Brian Evenson est simple dans ses phrases, dans ses interrogations, mais terriblement efficace car on veut connaître la suite, on veut comprendre ce qu'il s'est passé, on veut découvrir qui est vraiment le personnage principal.

Or, malgré cette simplicité apparente, les réflexions sont profondes et m'ont touché. Outre la réflexion sur l'identité, on trouve encore ceci : « Des noms, des catégories, des divisions. Dès que vous désignez une chose, vous apprenez à la haïr. » (page 217) Créer des catégories est une bonne façon de créer des divisions. Et en ces temps de guerre proche, de montée des tensions entre les différents bords de l'échiquier politique et social, cette citation a porté.

immobilité m'a surpris, mais m'a aussitôt emporté dans son rythme et son univers. J'ai pris fait et cause pour Josef, souffrant avec lui physiquement et intellectuellement, ressentant ses doutes et ses interrogations, me demandant sans cesse comment cela allait bien pouvoir se terminer. Ce road-movie post-apo sans voiture a su me séduire par sa simplicité apparente et par sa profondeur réelle. Il est déjà une de mes lectures marquantes de 2023.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Ce monde est irrespirable, empoisonné. Plus aucune plante ou animal, à part des cafards.

Celui qu'on dit s'appeler Josef Horkaï revient à lui, dans la douleur. Amnésique ou presque. Il était stocké, cryogénisé et ceux qui l'entourent le réveillent avec peu de douceur, et beaucoup de questions. Ils sont claquemurés, pour survivre à l'atmosphère mortelle.

immobilité est un roman à classer dans le genre post-apocalyptique, pour le moins étrange. On ne sait rien du « quand » ni du « où », et on va rapidement se retrouver face à des interrogations sur le « qui ».

Oui, l'ambiance générale est vraiment atypique. Brian Evenson a l'art de nous faire perdre nos repères, à travers les yeux de son personnage et son rapport d'étonnement à ce « nouveau » monde qui se révèle à lui. Avec une imagination qui dérive souvent vers des idées pour le moins surprenantes. Dérangeantes, parfois déstabilisantes.

Son univers post-apo sort souvent des canons du genre par le caractère pour le moins insolite des réactions physiques et interpersonnelles des protagonistes.

Josef Horkaï se retrouve donc à devoir faire confiance aux hommes qui le raniment sans ménagement. Et il se retrouve coincé dans une certaine immobilité, lui qui n'a pas l'usage de ses jambes.

On va lui confier une mission énigmatique, dont il ne comprend ni le sens, ni la portée. Il va pourtant l'accepter, en se faisant porter. Par deux hommes qui vont sacrifier leurs vies pour l'emmener loin dans ce monde toxique du dehors.

Un monde qui va se dévoiler à lui, étranger, presque mort. Où il devra avancer, quitte à ramper. Pour découvrir peu à peu qu'il semble immunisé contre le poison ambiant, et qu'il possède même d'étonnantes facultés.

Il se pose des questions, en pose à son entourage, sans obtenir beaucoup de réponses. Comme le lecteur, poussé à imaginer pour comprendre.

Il est différent, mais en quoi ? Qui est-il ou même qu'est-il ? Lui dit-on la vérité, quand on veut bien lui répondre ?

Evenson développe de manière singulière la notion d'identité, vaste question qui semble imprégner en profondeur son oeuvre. Pour preuve la novella L'antre, publiée en parallèle chez l'éditeur Quidam, sur une thématique approchante.

Le lecteur prend parti pour ce personnage étonnant, partant avec lui à la découverte des caractéristiques et fonctionnement de l'environnement, et de sa mission mystérieuse. Où il doit accepter de se perdre aussi.

La narration est, elle-aussi, déviante, à l'image des nombreux dialogues, où il faut savoir puiser le sens caché, alors qu'ils semblent parfois tourner au non-sens. Presque des dialogues de sourds, mais dont on comprend des pans, en creusant. Effet volontaire, bien évidemment, pour accentuer encore davantage l'étrangeté de l'ambiance.

L'auteur semble souvent aller à l'essentiel, et pourtant, des sujets de fonds sont traités, en arrière-plan, subtilement. Au lecteur de chercher la voie, comprendre les voix.

immobilité est un roman post-apocalyptique mouvant, remuant et parfois émouvant. Brian Evenson est une voix singulière, sombre et étrange.
Lien : https://gruznamur.com/2023/0..
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critiques presse (3)
Actualitte
20 mars 2023
Tout au long de cette lecture, c’est une promesse de déséquilibre que nous fait l’auteur. Une terrible promesse d’incompréhension, d'appréhension. Que s’est-il passé ? Quelles horreurs ont mené l’humanité à ce point de non-retour ?
Lire la critique sur le site : Actualitte
OuestFrance
06 février 2023
Paru en 2012 aux États-Unis, Immobilité est l’une de ses œuvres les plus radicales. Dans un monde postapocalyptique, Josef Horkai, le narrateur, se réveille paraplégique et confus. « Se souvenait-il de tout ? Pas sûr. Et quels souvenirs étaient vrais ? Comment s’appelait-il, au fait ? » Horkai a été « stocké » telle une vulgaire marchandise, puis méchamment réveillé, rendu à un univers de douleur perpétuelle.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
LeMonde
09 janvier 2023
Certains romanciers font tout pour que le lecteur sache à chaque page où il se trouve, qu’il se sente en sécurité dans le récit. Avec Brian Evenson, c’est l’inverse.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Jamais plus, disons-nous : Dieu ne le permettrait pas. Nous disons non à la torture, et nous trouvons une raison pour torturer au nom de la démocratie. Nous disons non à des milliers de morts par l'explosion d'une seule bombe lâchée sur une ville étrangère sans défense, puis nous recommençons, avec cent milles bombes cette fois-ci. Nous disons non à des millions de morts dans des camps d'extermination, puis nous revenons à la charge, avec des millions de morts dans des goulags. L'homme est un poison. Peut-être vaudrait-il mieux que nous n'existions pas du tout.
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Nous sommes une malédiction, un fléau. Nous avons commencé par donner des noms à toute chose puis nous avons inventé la haine. Puis nous avons commis l’erreur de domestiquer les animaux, une erreur presque aussi grave que la découverte du feu. A partir de là le lien est facilement fait avec l’esclavage, et une fois qu’on considère les hommes comme des animaux -comme des mules, par exemple, continua-t-il en lançant un regard à Horkaï -, nous devenons un bien jetable, la guerre devient monnaie courante. Ajoutez une religion majoritaire qui prêche la fin des temps et des livres sacrés utilisés pour justifier une atrocité après l’autre, et de là l’annihilation, il n’y a qu’un pas. Il est préférable de ne pas laisser la société se développer du tout, d’abandonner chaque personne à son propre sort, seule, tremblante, et effrayée au milieu des ténèbres.
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Comment pourrais je aimer ou ne pas aimer quelqu'un dont je ne comprends la raison d'être qu'imparfaitement ? Je peux parler de vous, par contre, avec plus de compétence. Vous êtes la charge. De ce que je saisis de cette portion là de votre raison d'être, vous l'accomplissez admirablement bien. Vous êtes résistant sans être excessivement lourd. Vous ne vous débattez pas lorsqu'on vous porte, vous ne criez pas sauf si vous êtes blessé, et vous ne tombez pas bien que vous ne soyez pas attaché. Charge, j'apprécie la manière dont vous accomplissez votre raison d'être.
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La vie commence à revenir, doucement mais sûrement. D'ici cinq ans, on pourrait même voir apparaître de l'herbe. Une décennie ou deux de plus, et des plantes fleuriront. Ajoutez cent ans, il se peut qu'on commence à voir des arbres. Tout cela continue à exister d'une manière ou d'une autre. La seule chose que nous autres humains avons réussi à détruire est nous-mêmes.
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– Vous souvenez-vous pourquoi vous avez été stocké ? lui demanda Rasmus.
Horkaï ne se donna pas la peine de répondre. Rasmus déglutit. Il avait l’air nerveux, curieusement. Pourquoi ? se demanda Horkaï. Qu’est-ce qui m’échappe ?
– Manifestement, il y a quelque chose qui cloche en vous, dit Olaf.
– Vos jambes, par exemple, fit Oleg.
Rasmus hocha la tête.
– Le problème ne se limite pas à vos jambes, admit-il.
Il se passa la langue sur les lèvres.
– C’est mon père qui m’a tout expliqué, ajouta-t-il en détournant les yeux un instant. De plus, c’était il y a de nombreuses années, alors que j’étais très jeune. Si je me trompe sur certains détails, en voilà la cause.
– Entendu, dit Horkaï.
– À un moment donné, vous avez été exposé, continua Rasmus. Et pas qu’un peu, pas juste exposé brièvement comme nous l’avons été à l’instant. Selon Lammert, vous étiez assez proche pour que l’éclat lumineux traverse votre peau. Si proche en fait que vous auriez dû y rester.
– Mais vous n’êtes pas mort, dit Olaf.
– En tout cas pas complètement, ajouta Oleg.
– Silence, vous deux, interrompit Rasmus. C’est moi qui parle. Il s’est passé que vous avez perdu tous vos cheveux, jusqu’au dernier, continua Rasmus en se tournant vers Horkaï. Sur le flanc exposé à la déflagration, votre peau s’est trouvée complètement calcinée. Puis vous êtes resté au sol. Pendant combien de jours et de nuits, personne ne sait. Jusqu’à ce que quelqu’un vous découvre.
– Votre père, fit Horkaï, tout en pensant : Est-ce vraiment ce qui s’est passé ? Que s’est-il vraiment passé ?
Rasmus acquiesça.
– Lammert. Il vous a d’abord pris pour un cadavre, mais vous avez remué. Il portait une combinaison, mais il ne fallait pas qu’il s’attarde trop longtemps s’il tenait à sa vie. Pourtant vous gisiez à ses pieds, le corps à moitié carbonisé, exposé des jours durant, inconscient, et toujours en vie.
– Et après il…, commença Oleg.
– La ferme, Oleg, interrompit Rasmus, avant de se tourner de nouveau vers Horkaï. Il vous a relevé et vous a porté sur ses épaules, voilà ce qu’il a fait. Il vous a installé dans un centre de soin sécurisé – nous en disposions encore à l’époque, ajouta-t-il, à l’intention d’Oleg et Olaf. Il vous a mis sous perfusion et a attendu votre mort.
– Mais je ne suis pas mort.
– Pas exactement. Dans un certain sens, vous n’êtes pas mort. Mais dans un autre, vous êtes mort répétitivement. Votre trachée s’engorgeait souvent. Votre respiration devenait d’abord sifflante puis grasseyante et finissait par s’interrompre complètement. Parfois des heures durant, il faut croire. Puis, quelques minutes plus tard, quelques heures plus tard, vous crachiez soudain des caillots de sang et vous respiriez de nouveau. C’était un spectacle affreux, selon mon père. Comme si la mort s’amusait avec vous, vous tuait pour vous ramener ensuite à la vie. Il m’a souvent raconté comment il veillait sur vous, qu’une fois même il avait traîné votre carcasse dans le but de s’en débarrasser avant de se rendre compte, au beau milieu du hall, que vous n’étiez pas mort. Ça s’est prolongé comme ça pendant des jours et des jours, et après des semaines d’hésitation et de cafouillage à la frontière entre la vie et la mort, quelque chose en vous s’est transformé. Ça l’a affolé. Rapidement, votre peau ravagée a mué pour révéler une chair sous-jacente rose, glabre et sans imperfection aucune. Un jour ou deux plus tard, vous ouvriez les yeux et vous causiez, comme si de rien n’était.
Horkaï hocha la tête.
– Qu’est-ce que vous avez pensé ? demanda-t-il.
– Moi ? Je n’en ai rien pensé. je n’étais pas là. Je n’étais qu’un enfant.
– Qu’est-ce que votre père en a pensé ?
– Mon père a été surpris, répondit Rasmus.
Son débit donnait l’impression qu’il récitait une histoire par cœur.
– Il s’est dit que cette exposition prolongée avait dû vous endommager l’esprit, que dans le meilleur des cas, ç’avait dû vous griller le cerveau et vous rendre fou.
– Mais votre esprit était intact, dit Olaf.
– Vous alliez bien, admit Rasmus. Vous aviez l’air d’être en bonne forme.
Il fixa ses mains.
– Si c’était arrivé aujourd’hui plutôt qu’à l’époque, vous auriez été dans le pétrin. On vous aurait décapité ou brûlé. Mais mon père n’était pas superstitieux.
– On disposait d’explications, dit Olaf.
– La science peut tout expliquer, ajouta Oleg.
– Ou le pouvait, maugréa Rasmus. De nos jours, qui sait ? La science n’existe plus vraiment, en tout cas pas comme auparavant. Elle n’a pas été conçue pour notre monde mais pour celui d’avant.
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Vidéo de Brian Evenson
À l'occasion de la 33ème édition du festival "Étonnants Voyageurs" à Saint-Malo, Brian Evenson vous présente son ouvrage "immobilité" aux éditions Rivages.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2678777/brian-evenson-immobilite
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