J'ai eu envie de le serrer aux épaules et de lui transmettre ma vie. Parfois, comme dans un film de science fiction ou dans une cour de récré, où règne la magie enfantine, on peut passer sa vie d'un corps à l'autre, et puis chacun repart de son côté et suit son propre chemin.
Un mot ne tue pas. Un mot tue accompagné d’un protocole de soins, de discussions à voix feutrée dans le bureau du chef de service, avec les internes, les infirmières, les aides-soignantes. Il a voulu qu’on en parle ensemble. Il avait plusieurs scénarios. Dans combien de temps allait-il rentrer à la maison ? Ils ne lui avaient pas tout expliqué. Il était déjà descendu pour l’irm, les scanners. Ils lui avaient pompé pas mal de sang… Il voulait partir bientôt. Il voulait reprendre le cours de sa vie.
On se croit toujours plus ou moins important qu'on ne l'est vraiment dans la vie des autres. Les autres font de longs chemins sans nous, et finalement, un jour, on se rejoint sans crier gare, comme si c'était prévu depuis toujours, comme si c'était fait exprès.
S’il faut bien mourir un jour, il avait dû se dire, il faut au moins mourir chez soi. Je me souviens qu’on a rougi de se revoir parce que c’était nouveau, entre nous, de se retrouver ici. Il n’avait pas le cœur endurci, ou en tout cas, pas dans toutes les circonstances. Chez moi on venait de rentrer de vacances. Il avait sans doute passé l’été dans sa maison, à bricoler. Il avait beaucoup de choses à faire dans la maison à la campagne, là où il s’était installé
C’est idiot. Il ne pourrait plus s’asseoir pour attendre le tram vers la gare du Mans. Il ne pourrait plus allumer une cigarette en regardant autour de lui, les nuages distraits dans le ciel clair. Il ne chercherait pas des yeux une fenêtre de l’hôpital pour deviner quelqu’un, qui aurait pu être lui, un autre, moi, n’importe lequel d’entre nous.
La mort est quelque part dans le code couleur, pas à l’affût, mais dans une sorte de possibilité diffuse. Elle est à portée de nous, pas ici, pas là, mais là. Quand on la voit on voudrait la congédier d’un coup d’épaule parce qu’on a des choses à faire, on a un ami à voir.
Ce nouvel hôpital est très propre. On imagine qu’il a été construit en temps de paix, loin de l’idée de mourir, de dire adieu, même si on sait qu’un jour nous devons tous dire adieu et que c’est terriblement difficile. On attend toujours le dernier des derniers moments. Et parfois, à ce moment-là, on devient interdit de mots, de paroles, on ferme les yeux ou on pleure en regardant par la fenêtre. En tout cas, cet hosto n’évoque pas ça. Il évoque au contraire une mort apprivoisée avec un code couleur d’un bâtiment à l’autre.