II existe encore de nos jours des peuples que des situations locales ou des circonstances fatales ont éloignée des bienfaits de la Religion et de la civilisation, chez lesquels l’infortune de la femme s’est perpétuée. La manière dont elle y est traitée ne peut être racontée sans dégoût. C’est moins la compagne de l’homme que son esclave ; moins un être humain qu’une bête de somme. La plus belle moitié du genre humain, celle que la Nature semble avoir pris plaisir à former pour le bonheur, y a perdu jusqu’à l’espérance. Leur sort y est tellement déplorable qu’il n’est point rare d’y voir des mères que la compassion rend dénaturées, étouffer en naissant leurs filles, pour leur épargner l’horrible avenir qui les attend.
Un auteur moderne a déjà remarqué, avec beaucoup de sagacité, que les hommes, portés naturellement à embellir le passé, surtout quand ils sont vieux, ont agi en corps de nation, précisément comme ils agissent en simples particuliers ; ils ont toujours fait l’éloge des premiers âges du monde, sans trop réfléchir que ces premiers moments de leur existence sociale furent bien loin d’être aussi agréables qu’ils le prétendent.
L’égalité animique est donc, dans l’actualité des choses, une chimère encore plus grande que l’égalité des forces instinctives du corps. L’inégalité est partout, et dans l’intelligence encore plus que dans tout le reste ; puisqu’il y a parmi les hommes existants, et surtout parmi ceux dont la civilisation n’est qu’ébauchée, un grand nombre d’hommes dont le centre intellectuel n’est pas même encore en voie de développement. Quant à l’inégalité politique, nous verrons plus loin, dans l’ouvrage qui va suivre, ce qu’on doit en penser.