Attention, voici un auteur qui devient culte, et une critique avec de vrais morceaux de cervelles et de Grands Anciens dedans... car
Anders Fager revisite la mythologie lovecraftienne, tout autant qu'il lui rend hommage. Mais pas seulement à
Lovecraft. C'est un corpus entier de l'horreur que Fager saisit à pleines mains.
La Reine en Jaune fait référence à un livre de 1895 écrit par
Robert W. Chambers, et désigne Hastur dont le nom apparaît pour la première fois sous la plume d'
Ambrose Bierce en 1891.
Et le jeu de piste ne s'arrête pas là. Car Fager (ex-geek, ex-dyslexique, ex-punk, ex-rôliste... euh non, toujours rôliste en cheville avec
White Wolf) a écrit pas mal de recueils de nouvelles, dans lesquels Mirobole puise pour composer les deux tomes actuellement disponibles. On peut supposer (vu les tonnes de mégalomanie et de misanthropie qui suintent de son site web) qu'
Anders Fager a marqué son accord pour ce mélange. Cette attitude de l'auteur n'est pas sans rappeler
James Ellroy, àmha.
Parenthèse... en 1991 paraît le jeu de rôle le plus glauque et malsain de l'histoire du JdR. KULT. Un jeu de rôle suédois. Fager ne semble pas y avoir participé, mais il a réussi à tirer un jeu de rôle, un roman graphique et une pièce de théâtre de son oeuvre.
Alors, faut-il avoir lu
Les Furies de Boras, le premier recueil paru chez Mirobole, pour comprendre
La Reine en Jaune? Non. Peut-être cela aide-t-il, mais ce n'est même pas certain, tant l'auteur aime brouiller les pistes.
En quoi consiste le recueil? 5 nouvelles entrecoupées de Fragments numérotés... mais dont certains manquent. Les Fragments forment une trame qui a des liens avec les nouvelles. Deux des cinq nouvelles concernent une galeriste qui tombe sous la coupe d'un cercle de riches vieillards adeptes des Grands Anciens (qui servent de base à la pièce de théâtre). Les trois autres sont indépendantes, mais il y a des évocations de certains personnages et/ou événements dans les Fragments. Les Fragments jouent sur l'ellipse, c'est au lecteur qu'il incombe de retracer ce qui se produit entre les textes.
Exprimé comme cela, on dirait que c'est un peu prise de tête. Mais pas du tout... C'est très fluide.
Anders Fager a une écriture directe. Dure, tendue. Mais dépourvue de vulgarité et d'obscénité. Un sexe est un sexe. Et pas mal de scènes se déroulent sous la ceinture. Mais sans que Fager en rajoute. Eventration, décapitation, fellation, etc. tout cela est dit sans tourner autour du pot. Il y a une précision chirurgicale dans la manière dont il décrit les situations. Pas de recherche d'effets supplémentaires. S'il y a un truc qui se passe, Fager le décrit. Pourquoi, en effet, laisser deviner une éventration alors que l'on peut décrire la scène? L'horreur en pleine lumière est tout aussi abominable que dans la pénombre.
Ce souci du détail dans les nouvelles, couplé avec l'art de l'ellipse dans les Fragments et entre les nouvelles, fonctionne bien. Mais cela peut lasser aussi. Dans la dernière nouvelles où deux rejetons de Yog-Sothoth vont de Suède en Roumanie chercher leur Grand-Mère et la ramènent ne nous épargne aucun détail de la route, des stations-service, etc. J'ai trouvé cela un peu longuet. Même si j'ai bien compris qu'il s'agissait de construire la nouvelle comme s'il s'agissait d'une incantation, je suis resté un peu à quai. Cette nouvelle a quand même été primée.
On a parfois l'impression que si Fager estime qu'il faut dix minutes pour trancher une tête, il va écrire la scène de telle manière que cela prendra dix minutes au lecteur pour la lire...
Mais Fager peut aussi jouer le registre de la poésie. Dans la nouvelle éponyme, il y a de nombreuses images poético-macabres sur le jaune et sur les mouvements de My, la galeriste devenue
la reine en jaune...
La première nouvelle est un choc, avec cette galeriste dépourvue de scrupules et qui veut créer de l'art éphémère, basé sur l'effroi et l'instantané. On se dit qu'il y a un message social... et puis les nouvelles suivantes diluent cette impression. Pour moi, Cérémonies, la nouvelle se déroulant dans une maison de repos où les pensionnaires se livrent à de macabres et sanglants rituels est encore meilleure, et le summum est atteint dans la troisième nouvelle où une opération commando sur une petite île scandinave fait long feu. Humour, dérision, cynisme, tout cela fait aussi partie de la panoplie de Fager.
A mon avis, l'écriture n'est effectivement pas sans rappeler
Ellroy. le récit est plus important que la manière d'y arriver, mais le style contribue à l'effet produit. Tous les effets pompiers, les redites, les lenteurs de
Lovecraft (qui m'avaient éloigné de l'oeuvre) ont disparu et laissent la place à l'horreur, mais celle-ci prend place dans la tête du lecteur, pas sur le papier. C'est bien vu. Et si on regarde toute la production en suédois de Fager, on se dit que l'on va encore entendre parler de lui longtemps. Tant mieux.