Après un premier tiers du livre bien laborieux du fait de voix entremêlées évoquant des évènements présents et des traces de souvenirs rattachés à des personnages non identifiés - nous comprenons assez rapidement tout de même que, parmi ces voix, s'exprime celle d'un chat Rahul, et que celle de sa maîtresse est difficile à suivre car noyée dans les vapeurs de whisky -, j'ai finalement accepté de suivre les divagations, les bribes de monologue de l'actrice vieillissante et alcoolique Rosa Ambrosio, le puzzle de sa vie prenant forme au fil de ses remémorations et de celles du témoin Rahul.
Rosa pleure sa beauté, sa jeunesse, son succès et ses amours perdus. Elle se vautre dans les regrets et les remords. Tous les hommes de sa vie sont partis, son père envolé après être allé s'acheter des cigarettes, Miguel son premier amour, Gregorio son mari torturé pendant la dictature qui a maquillé son suicide en infarctus, ce que seul le chat sait, Diogo son assistant qui est devenu son amant.
Ne reste autour d'elle qu'une poignée de femmes avec lesquelles elle entretient des relations ambigües, teintées de rivalité, Cordilia, sa fille, qui, à son grand désespoir, ne fréquente que des hommes âgés, Dionisia, sa fidèle employée de maison, et Ananta, jeune psychanalyste, sur le divan de laquelle elle déverse son flux de paroles, et qui, pour des raisons obscures, va bientôt disparaître.
Les destinées et les voix de ces femmes se croisent dans cet immeuble de standing dans lequel elles demeurent et travaillent.
Nous sommes au sein de la bourgeoisie de Sao Paulo, au sortir de la période de la dictature militaire dont les effets délétères sont encore bien présents. Les femmes tentent de s'émanciper et se regroupent pour lutter contre les violences qu'elles subissent.
Rosa, personnage attachant, se cherche dans les lambeaux de son passé et de sa gloire évanouie, en quête d'une image que ses miroirs ne lui renvoient plus. L'heure est nue et Rosa n'est plus en représentation. Elle doit, seule, affronter ses démons et ses chagrins.
Lygia Fagundes-Telles, dont j'avais apprécié les nouvelles du recueil
Un thé bien fort et trois tasses, nous offre ici, à huis clos, un beau et nébuleux "Portrait d'une enfant déchue". Un livre exigeant, dont les recherches formelles supposent de lâcher prise et de se laisser bercer par les confessions de Rosa.