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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Erwin Sommer est-il un crétin ? Quelque part sûrement... un homme que le manque d'assurance, la soif de reconnaissance tant au niveau professionnel que personnel rend bête, tendance paranoïaque. Il le dit lui-même, il est mou, il l'a toujours été. Il s'en accommode de façon illusoire et finit par développer envers sa femme "active", "compétente" comme il dit, une aversion irraisonnée, un malaise et une souffrance que le premier verre de vin va apaiser de façon soudaine et inattendue. le piège s'est refermé. Soudain Erwin Sommer se sent invincible, brillant, sûr de lui, conquérant et.... niais. Il "s'évade", il "vit", il ne mesure plus la conséquence de ses actes, ou il s'en fiche. Il tombe amoureux d'une serveuse d'auberge qui n'a que mépris pour lui et qui le roule dans la farine. ll se laisse berner par un logeur filou qui le tient par l'alcool, il se fait voler, dépouiller, il cambriole sa propre maison. C'est drôle et pathétique. Derrière les "idioties" de Sommer se profile l'aliénation de la dépendance, l'illusion de l'alcool, la déchéance physique et morale, la souffrance psychique des drogués, le désespoir ténu de ceux qui se savent dépendants et qui tournent en rond dans leur cage de verre, se sentant prisonniers de leur "poison" le réclamant et le reniant. Après la case prison, c'est la case maison "de santé", asile plutôt. Sommer est interné pour "désintoxication", en fait il est jugé irresponsable, déchu de ses droits élémentaires, mis sous tutelle. "Sans autre forme de procès" comme dirait La Fontaine. Quand Hans Fallada aborde les pages de l'internement, le ton s'assombrit encore plus. Les pages sont magnifiques, cruelles et désespérées. Malgré sa "crétinerie" on espère de tout coeur qu'Erwin Sommer" s'en sortira. Mais comme il le dit, il est dans la maison des morts. Hans Fallada, dépendant lui aussi de l'alcool, dépendant de la drogue a connu l'internement sur une période assez courte, mais est-ce vraiment "assez court" ? La lucidité de Sommer est la sienne, la lucidité sur sa propre déchéance, sur sa situation présente et future, sur la nature humaine. Et toujours comme un leitmotiv blessant, revient sur la fin du récit, cette soif de reconnaissance et d'amour jamais assouvie et jamais concrétisée. Ce manque terrible qui a scié ses nerfs et sa raison et l'a précipité dans les paradis artificiels pour supporter la charge de son existence. J'aurai aimé savoir d'où venaient ce manque d'assurance et ce besoin impérieux d'approbation sociale et intime de Sommer. Que c'était-il passé avant pour qu'il développe ce désamour de lui-même et cette frénétique quête ? D'une belle écriture ample, simple et pourtant tourmentée, avec cette pointe d'acidité et de dérision qui caractérise la lucidité et la désespérance d'un être, Fallada nous brosse un portrait intimiste et universel d'homme blessé.
Pour tout dire, je voulais lire "Seul à Berlin" mais j'ai eu envie de commencer par un autre livre de Fallada, moins "emblématique". Je ne regrette nullement, c'est un livre superbe ou tout est dit et abordé dans cette histoire absurde d'un bourgeois en mal de reconnaissance qui décide un jour de plonger son nez dans un verre de schnaps...
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La déchéance blesse souvent moins celui qui en est affligé que ses proches. Comment en est-il arrivé là ? se demandent-ils en regardant le décrépi, pendant que lui savoure la transfiguration de ses plaies à même le corps :

« Quand à l'occasion je me regardais dans le miroir, je pouvais observer mon visage avec une volupté cruelle, couvert d'une vieille barbe de poils drus, qui semblait gonflé et pourtant décharné, oui, comme consumé. C'est ainsi que l'on s'autodétruit, me disais-je alors, jubilant. »

Comment en est-il arrivé là ? Avec une bonne petite femme, une jolie petite maison, un bon emploi et un bon salaire ? Certes, les affaires ne marchent plus très bien, et la petite femme commence à devenir un peu brise-burnes, mais est-ce une raison suffisante pour se mettre au schnaps ? Mais bien sûr ! et d'ailleurs, il n'y a vraiment pas besoin d'avoir une bonne raison.

Cette histoire est assez jubilatoire : on reconnaît immédiatement la mauvaise foi que suscite l'addiction à l'heure de prendre de bonnes résolutions. Ça sent le vécu et les connaisseurs apprécieront cette authenticité : « Donc, je veux à partir de maintenant être tout à fait honnête avec moi-même : je ne peux pas renoncer complètement à l'alcool tout de suite, mais à partir de maintenant je vais boire en toute modération, peut-être seulement une demi-bouteille par jour, ou peut-être même juste un tiers. Un tiers, je devrais pouvoir y arriver. Déjà maintenant, un seul tout petit trait de schnaps me rendrait heureux, un minuscule petit godet, à peine une gorgée me suffirait. »

Dans le fond, inutile de savoir pourquoi Erwin passe d'une sobriété respectable à l'alcoolisme. Comme dirait Jacquot : la forme du symptôme n'est pas signifiante, ça aurait très bien pu être n'importe quoi d'autre. On se saisit toujours de ce qui nous traîne sous la main. de ce qui nous fournit de l'inspiration. En amour, c'est un peu pareil d'ailleurs.

Ça commence par un petit schnaps à la brasserie pour se remonter le moral et pour faire comme un grand et quand Erwin rentre pour dîner avec sa femme, il se rend compte qu'en picolant, ça va tout de suite mieux. Un autre jour qu'il doit lui annoncer que les affaires vont mal, paf, un coup dans le pif, mais il s'endort comme un veau dans le canapé. Sa bonne femme découvre le pot au rose alors Erwin se barre chez un polack qui le loge et lui fournit du schnaps tous les jours – c'est curieux cette manie du schnaps venue du jour au lendemain. Je ne vous raconterai pas toutes les péripéties de cette trépidante histoire mais sachez que c'est vraiment drôle – car on s'y reconnaît – de voir qu'il suffit d'une petite pierre sur la voie ferrée pour que le train déraille. Quand même, un autre détail est assez marquant, c'est que lorsque Erwin finit dans une maison de santé pour se remettre d'aplomb, et bien à partir de ce moment-là, il ne pense plus du tout à l'alcool. le schnaps, ça lui est sorti de la tête. Vraiment, y avait pas de quoi en faire tout un fromage.

Voilà, Erwin est guéri. Maintenant il veut retourner dans la société, chérir sa petite femme, s'occuper de son petit jardin, faire fortune dans un autre domaine…il a plein de bonnes idées ! Vraiment, ce n'était pas vilain de faire un petit tour en enfer. Bien sûr, comme 97% des gens (environ), Erwin a toujours un petit temps de décalage avec la réalité. Et il se rend compte, mais un peu trop tard, que passé un certain point, quand tu es condamné, c'est pour la vie.

Allez, à plus.
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Que ce livre est terrible ! J'ai dû en interrompre par moment la lecture, prise d'un véritable vertige dans cette descente infernale, comme si l'auteur m'emportait sur un véhicule sans frein, pris de vitesse sur une pente verglacée...

L'écriture est maîtrisée, claire, si claire, et si sombre.
Quoi qu'il décrive - et avec quelle virtuosité - le trait est juste, le regard tolérant et presque tendre, même dans la pire bassesse (et là, il suffit d'un mot pour y basculer). Aucun mépris et beaucoup d'empathie envers ces pauvres hères, rebus de la société.

Un homme nanti, notable qui se repaît d'appartenir à la "bonne société" de sa petite ville va sombrer dans l'alcool.
Qu'a-t-il fait pour mériter cette vie facile ? Naître dans une "bonne famille", faire de "bonnes" études, et surtout épouser une femme compétente et discrète qui a hissé son entreprise à un stade florissant. La renvoyant dans ses foyers, lui, le mari qui essaie de la maintenir dans un état de soumission, il va, par son incompétence et son apathie, perdre un juteux marché. Par lâcheté, il n'osera l'avouer à sa femme et découvrira l'alcool. Commence alors sa dépendance et sa chute dans l'ignominie.

C'est un récit autobiographique, et l'auteur décrit l'alcool comme un magicien, qui illumine une vie ressentie un peu terne. Tout est possible grâce à l'alcool, et surtout, on peut se croire très malin, irrésistible de charme et d'intelligence. Sauf que…

Le roman s'articule en deux parties : si la première décrit la vie du héros Herr Sommer, et le processus par lequel il devient un ivrogne patenté, la seconde partie, le montre, plongé dans un monde dont il ne connaît rien : celui des prisons et des hôpitaux pénitentiaires.
A ce sujet, le choix du patronyme Herr Sommer (Eté) est complètement adapté à sa vie de notable. Mais, est-ce un hasard, si Herr Sommer rencontre un certain Herbst (Automne) dans l'hôpital psychiatrique ?

Ce qui frappe à la lecture, c'est l'inconséquence de cet homme, qui prend toujours les mauvaises décisions, qui est incapable de se contrôler, qui ignore avec suffisance et naïveté tous les conseils avertis. Il s'illusionne beaucoup plus sur lui-même que sur les autres.
Dans la description de ses codétenus, il est lucide, sans jugement sur les brigands, meurtriers, déséquilibrés qu'il rencontre. Sa lâcheté et son instinct de survie lui permettent de trouver sa place dans la hiérarchie sociale de ces lieux d'enfermement.
Et puis aussi, il apprécie de ne rien faire, de se laisser porter. Il découvrira, en prison, le bonheur et la sérénité qu'apporte la satisfaction de réaliser un travail humble et bien fait.
Les actions d'envergure, il n'est capable de les concevoir qu'en rêve ou sous l'emprise de l'alcool.

Malgré tout, le personnage est attachant : par sa faiblesse, sa naïveté et son immaturité. A la fois il comprend les mondes dans lesquels il évolue, il s'y adapte avec une certaine efficacité mais son autosuffisance le fait se complaire dans une irréalité. Il appartient aux rêves, aux illusions, et l'alcool consommé vite et à fortes doses est la clé d'accès à ces mondes.

Mais il est agité par une passion : sa femme.
Ou il la haït et construit dans sa tête les scénarios les plus fous, les plus échevelés pour s'en venger ou il se répand en tendresse et mots d'amour quand il a besoin d'elle.
A l'inverse, sa femme avec sa douceur, sa fermeté et son dynamisme saura réaliser sa vie, alors que lui la perdra au fond d'une cellule.
Incapable d'accepter, de reconnaître la vérité énoncée par le médecin « votre femme, dans votre couple, est celle qui mène et qui domine. Elle a été votre bonne étoile ; lorsque vous vous êtes détourné de votre femme, tout s'est retourné contre vous. Habituez-vous plutôt à l'idée que votre femme ne veut vraiment que le meilleur pour vous, soumettez-vous un peu à elle…». Je pense que cet aspect du roman est aussi important puisqu'écrit en 1944. A l'époque, on ne demandait aux femmes qu'être des ménagères, et, sauf erreur de ma part, ce devait être embarrassant pour un notable de reconnaître cette autre dépendance, celle aux compétences de gestionnaire de son épouse.
Cet assujettissement de fait à sa femme il s'y dérobera par son addiction, voluptueuse et sensuelle à l'alcool.

Et c'est un hymne au pouvoir de l'alcool qui termine le roman.
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Voici une démonstration de ce que peut donner une crise de la quarantaine dans ses aspects les plus tragiques. Une crise qui se traduit par une vraie "mise en quarantaine" : du monde, de soi, et enfin, des autres. On pense un peu à "La faim" de Knut Hamsun dans cette recherche méthodique de la déraison, cette folie maitrisée, cette descente aux enfers consciente et contagieuse. Un roman plein d'allégorie mais d'une simplicité et d'une justesse touchante.
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Erwin Sommer arrive à la quarantaine, c'est à ce moment qu'il rencontre des difficultés dans son couple, sa vie personnelle et son entreprise.
Une simple bouteille de vin durant un repas fera tout changer.
Erwin s'enfoncera progressivement dans l'alcoolisme, et apprendra à ses dépens que l'on peut perdre bien des choses.

On a ici un regard honnête sur l'alcoolisme, qui reflète une partie du passé de l'auteur.

Ici, on ne voit pas seulement l'effet de l'ivresse, beaucoup de mécanismes sont fidèlement repris, celui de la dépendance qui vient de manière incidieuse par exemple.
Beaucoup d'autres aspects m'ont marqué également, notament la perte de discernement ou encore les pulsions de colère dont fait part l'auteur.
Des symptômes qui en disent long sur l'état de santé physique et mental d'Erwin, qui sombrera lentement mais sûrement.

Un roman sombre, qui gagne à être lu, et qui met en lumière un mal encore bien présent dans notre société.
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